- Vous avez affirmé, au moment où le gouvernement Ouyahia présentait son plan d’action devant le Parlement, que le recours au financement non conventionnel va inévitablement provoquer une inflation à trois ou quatre chiffres. N’est-ce pas exagéré comme prévision ? C’est une prévision que je souhaite ne pas voir se réaliser et mon avertissement se veut une alerte aux tenants du pouvoir décisionnel économique de se préparer à tout faire pour ne pas y arriver. Malheureusement, la gouvernance de notre économie, en particulier depuis 2006, l’a placée dans un processus qui rend fiable cette prévision. Il faut noter que les exportations d’hydrocarbures représentent 98% des recettes totales du pays en devises. La fiscalité pétrolière est prélevée sur ces recettes d’exportation. Elle a représenté les trois quarts des recettes budgétaires en 2007. Au lieu d’en faire une épargne pour des investissements menant à une économie productive au bénéfice des générations futures, elle a été utilisée en grande partie pour financer le budget de fonctionnement, contrairement à la politique suivie dans les années 1970, où la fiscalité ordinaire couvrait la totalité des dépenses de fonctionnement. Chose plus inquiétante, la production d’hydrocarbures était en baisse depuis 2006 et la demande interne pour ces produits était en augmentation. Ce qui fait que le volume des exportations d’hydrocarbures a baissé de 25,6% entre 2006 et 2011 et continue de baisser depuis. Face à cela, la facture des importations est passée de 12 milliards de dollars en 2001 à 68 milliards de dollars en 2014, plus 8 milliards de dollars de bénéfices rapatriés des sociétés étrangères en Algérie, soit un niveau total de dépenses à l’étranger, hors capital, de 76 milliards de dollars. Les dépenses du budget de fonctionnement ont augmenté de 47% en 2011/2010 et de 23% en 2012/2011. Le prix du baril suffisant pour assurer l’équilibre budgétaire est passé de 34 dollars en 2005 à 115 de dollars en 2011. La baisse des recettes d’exportation, que j’avais annoncée avant qu’elle ne se produise, est la conséquence de la baisse continuelle des volumes d’exportation depuis 2006 à laquelle est venue s’ajouter la baisse des prix depuis 2015. Lesquels prix ne dépasseront pas, à l’avenir, 60 dollars en moyenne annuelle dans le meilleur des cas. Ainsi, l’économie algérienne est et restera pour longtemps, en déficit du Compte courant, finançable d’ici 2019 par les ponctions sur les réserves de change qui seront épongées à cette date. Il faut bien considérer qu’au-delà de 2019, l’économie algérienne se retrouvera avec une très forte inflation comme suite aux pénuries importantes des produits en conséquence du déficit non finançable de la balance commerciale ainsi que du financement monétaire, du déficit structurel du Budget de l’Etat par la création monétaire de «la planche à billets» couplée au glissement de la parité du dinar. - Concrètement, c’est quoi «la planche à billets» ? C’est une expression consacrée, lorsque la Banque centrale assure les dépenses du Trésor public, sans considération à ses disponibilités. Elle permet ainsi au Trésor de couvrir le déficit budgétaire sans contrepartie suffisante de recettes. C’est alors la création monétaire avec ses conséquences inflationnistes. - Le gouvernement refuse le recours à l’endettement extérieur. Serait-il contraint de le faire à moyen terme ? Dans le cas de l’Algérie, le déficit se situe au niveau de la balance commerciale, c’est-à-dire au niveau des importations et des exportations de marchandises. Dans ce cas le recours à l’endettement signifie l’achat à crédit des marchandises importées. C’est alors du crédit de court terme qui n’est pas facile à obtenir, quand on est en situation de déficits structurels et non conjoncturels. Le gouvernement va recourir aux réserves de change. Elles ont déjà été utilisées à un niveau de 34 milliards de dollars en 2015 et autour de 30 milliards en 2016. Ainsi, les réserves de change disponibles vont permettre de couvrir les déficits de 2017-2018 et 2019. Que faire après ? C’est la grande question. - Si vous étiez Premier ministre à la place d’Ahmed Ouyahia, quel serait votre choix pour sortir le pays de cette impasse budgétaire ? J’étais chef de gouvernement et j’ai démissionné, parce que j’ai pris conscience, assez tôt, que la solution ne peut se situer au niveau du choix des personnes, lorsque le système de gouvernance est défaillant. Ceci dit, l’impasse n’est pas seulement budgétaire, mais elle couvre de nombreuses dimensions. J’ai, dans un livre publié en 2015, intitulé L’Algérie de l’Espoir en français et Djazaïr El Amal en arabe, fait un diagnostic de l’état du pays et proposé un programme complet de sortie de crise. - Vous plaidez pour un changement du système politique, comment vous l’envisagez en cette crise économique doublée d’une incertitude politique ? J’ai annoncé en 2011, dans El Watan et à d’autres occasions, que l’Algérie allait connaître la pénurie de moyens de financement en 2017. J’ai également dit que quelle que soit la qualité d’un programme et quelle que soit la compétence de ceux qui le mettent en œuvre, les premiers fruits ne peuvent être cueillis qu’au bout de cinq ans. J’ai alors dit qu’il faut le lancer dès fin 2011 ou au tout début de 2012. J’ai proposé une feuille de route en trois grandes dimensions : l’éducation citoyenne, la refondation des institutions, les politiques de développement sectoriel. On m’a accusé de faire peur à la population. Aujourd’hui, c’est déjà trop tard. Encore une autre occasion manquée. Ce qu’il faut bien retenir, c’est que le premier pas vers la solution est le changement de tout le système de gouvernance et non se contenter de changement des personnes. Aussi bien l’environnement international, la situation régionale et les multiples crises internes appellent à un autre profil de gouvernants capables d’innover et de faire face à la situation complexe. Mais ce sera très difficile, compte tenu du retard accumulé.
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