L’Union nationale des opérateurs de la pharmacie (UNOP) organise ses premières Journées pharmaceutiques, pour la première fois depuis sa création, les 29 et 30 de ce mois. Qu’est-ce qui a poussé votre association à ouvrir le débat sur le secteur? Il s’agit d’abord de répondre à une demande insistante de la part de nos membres comme à celle des nombreux acteurs du secteur pharmaceutique national qui ont souhaité aménager un espace dans lequel ils aimeraient mettre la lumière sur les excellentes réalisations du secteur pharmaceutique, discuter des contraintes professionnelles qui affectent leur activité, et tracer les perspectives et les défis à relever. Notre secteur, en dépit des progrès immenses qu’il a enregistrés au cours des dernières années et qu’il est l’un des très rares à avoir gagné des parts de marché significatives par rapport aux importations, souffre toujours d’une image plutôt négative. Cette image est plus volontiers assimilée à la facture annuelle des importations, alors même que sans cette production, elle serait aujourd’hui plus proche de 4 milliards de dollars. Notre secteur est souvent associé dans la presse nationale à la spéculation et à l’appât du gain, alors que c’est quasiment le seul au sein de l’économie nationale à assurer une transparence et une traçabilité complètes de ses transactions. Alors qu’il garantit une qualité de ses produits aux standards internationaux et obéit à un système de prix administrés et de marges contrôlées, il se trouve qu’il est pourtant le seul où les entreprises sont assujetties fiscalement à une ponction additionnelle sur leurs bénéfices annuels. Comment évaluez-vous aujourd’hui la situation de l’industrie pharmaceutique nationale ? Au plan économique, les résultats de l’industrie pharmaceutique nationale sont très satisfaisants. La production nationale a enregistré une évolution remarquable entre 2008 et 2016, avec un taux de croissance annuel moyen de 17,9%, dans un contexte global plutôt favorable si l’on tient compte du fait que le marché national dans son ensemble a connu une croissance annuelle moyenne de 9,3%. Pour cette même période, la part de marché de la production est passée de 25% à 47%. Nous nous réjouissons à cet effet que le plan d’action du gouvernement actuel ait repris l’objectif de couverture de 70% des besoins de notre marché par la production locale à l’horizon 2019. Nous comptons proposer aux autorités une forme de «contrat de développement» à travers lequel nous nous engageons à déployer les efforts nécessaires pour l’atteindre, pour peu que soit menée à bien la transformation en profondeur de notre cadre réglementaire. Nos propositions sont prêtes et nous sommes disposés à discuter des termes concrets de leur mise en œuvre. Il est vrai que notre économie traverse aujourd’hui une période difficile et on peut comprendre que cela puisse quelquefois refroidir les ambitions de nos politiques publiques. L’industrie pharmaceutique nationale dispose de l’ensemble des atouts pour prendre la place éminente qui doit être la sienne sur le marché interne, mais également pour rayonner au-delà sur les marchés de la région. L’effort d’investissement a déjà été fait pour l’essentiel ; les ressources humaines de qualité sont présentes et s’affirment de jour en jour comme un vivier d’une grande richesse et d’une grande compétence ; les liens qui ont commencé à être tissés avec nos universités et instituts de recherche sont de nature, pour peu qu’ils soient davantage stimulés, à offrir un terreau fertile pour l’accueil, la mise au point et le développement de toutes sortes de produits innovants. Les pharmaciens d’officine ont menacé de recourir à la grève cet été, suite à l’annonce de la révision des marges liées directement à la production nationale. Qu’en est-il aujourd’hui ? Effectivement, il y a eu ce projet de mesures initié par les caisses de Sécurité sociale. Elles souhaitaient mettre fin à un mécanisme par lequel une forme de compensation était octroyée depuis plusieurs années pour la vente de médicaments génériques ou de produits fabriqués localement. Il est connu que les prix de ces produits sont plus bas que les produits princeps et, comme dans notre pays la marge du pharmacien est calculée en valeur relative, il est évident que ce dernier se retrouve automatiquement pénalisé et n’a objectivement aucun intérêt à favoriser une telle politique. La majoration ainsi instituée, en permettant d’éviter cet écueil, a favorisé substantiellement la consommation des génériques et a surtout stimulé le développement de la production nationale. Avec ce système, tout le monde était gagnant : les caisses qui ont réalisé d’importantes économies des dépenses ; les pharmaciens qui ont pu préserver leurs revenus ; les producteurs nationaux qui ont gagné des parts de marché ; les patients dont l’accès aux soins s’est amélioré ; et enfin l’économie nationale qui réduit sensiblement sa dépendance externe. Certes, aujourd’hui les caisses de Sécurité sociale sont confrontées à des problèmes d’équilibre financier, mais en prenant cette initiative unilatérale, elles se sont juste dit que le paiement d’une telle majoration n’était plus vraiment nécessaire dès lors que la production nationale est bien implantée, a augmenté ses parts de marché et que le générique n’était plus boudé comme auparavant. Elles oublient, en effet, que les prix du médicament sont étroitement réglementés et que la majoration en question est une part significative du revenu du pharmacien auquel elles demandent donc indirectement de financer leur déficit. Le pharmacien est un partenaire essentiel dans la politique de promotion du générique et de la production nationale et que, en l’affaiblissant, c’est toute la filière qui est menacée, à commencer par les producteurs. Ces derniers ont eux-mêmes vécu la même expérience désagréable puisqu’après avoir servi d’appâts pour faire baisser les prix du médicament et mettre sur pied le tarif de référence, ils sont après coup abandonnés sur le chemin après l’alignement du princeps à ce tarif de référence. Les seuls gagnants sont les caisses de Sécurité sociale. A nos yeux, le problème du financement de la Sécurité sociale ne peut pas reposer sur le seul secteur pharmaceutique, il doit trouver sa solution dans un cadre plus global. Du nouveau à propos de ce dossier ? Pas encore. Il faut souligner que pas moins de trois Conseils interministériels lui ont été consacrés au cours des deux dernières années. Dans le principe, tout le monde admet comme anormal que des marges établies en 1997, voilà plus de vingt ans, demeurent figées alors que les coûts ont explosé entre-temps sous l’effet de l’inflation interne, des augmentations salariales, de l’érosion des taux de change, etc. Le système des marges, il faut le rappeler, a été conçu dans un contexte où les importations pesaient jusqu’à 90% du marché, où la part du générique était réduite et où, par conséquent, les prix des produits étaient sensiblement plus élevés que ceux d’aujourd’hui. Maintenant que la production locale devient prédominante et que les prix des produits ont été fortement abaissés, il devient évident que les conditions de rémunération des distributeurs et des pharmaciens d’officine doivent être révisées en profondeur. Si le principe d’un réaménagement est admis, celui-ci se heurte sur le terrain à de nombreuses résistances et bute singulièrement sur les difficultés financières des caisses de Sécurité sociale. Les caisses de Sécurité sociale tentent de préserver leur pérennité. Comment est la relation avec l’UNOP ? Nous avons toujours considéré que le système de sécurité sociale, dans son ensemble, est un atout pour l’économie de notre pays et pourrait être une chance pour le développement de l’industrie pharmaceutique nationale. La pérennité de ce système suppose à la base un équilibre des intérêts entre tous les acteurs concernés, les caisses bien entendu, les producteurs, les distributeurs, les pharmaciens et enfin les patients. Or, à notre avis, cette relation a commencé à être affectée dès lors que les caisses de Sécurité sociale, préoccupées par leurs difficultés financières, ont commencé à prendre des mesures unilatérales sans se préoccuper vraiment des conséquences négatives sur leurs autres partenaires. Sur le fond, cela a montré surtout à quel point ces caisses sont elles-mêmes juges et parties et cela va au-delà de la question des marges. Cela concerne d’autres aspects aussi importants que les décisions sur les produits à rembourser comme sur les modalités de ce remboursement. En d’autres termes, la politique de remboursement est dépendante de l’approche comptable des caisses avant de l’être de critères plus objectifs et plus globaux liés au développement d’une industrie pharmaceutique puissante, à la politique des soins et au service médical rendu. Selon vous, le Comité de remboursement du médicament (CRM) serait donc une instance qui ne fonctionne pas correctement ? C’est une évidence qu’il y a, à ce niveau, de nombreux et sérieux problèmes d’organisation. Déjà, on ne peut qu’être frappé par le chevauchement de compétences qui est toujours entretenu entre le Comité économique qui, au niveau du ministère de la Santé, se prononce sur le prix de chaque médicament enregistré et le CRM qui, sous l’autorité du ministère, en charge de la sécurité sociale, se prononce sur les termes de son remboursement. Cela fait des années qu’à l’UNOP nous demandons en vain que la décision sur ces deux points soit simultanée et que les deux administrations se coordonnent. Outre que cette approche duale n’aide pas à la cohérence des décisions, cela allonge de plusieurs mois et quelquefois de plusieurs années les décisions, ce qui pénalise lourdement les producteurs nationaux. Comment admettre, à titre d’exemple, que des produits développés dans nos propres laboratoires de recherche et de développement, qui sont fabriqués et enregistrés, dont le service médical rendu est reconnu à travers le monde, soient en bout de course refusés au remboursement, privant ainsi les assurés sociaux des avancées thérapeutiques pour certaines pathologies. Dans le fond, la composition du CRM est elle-même ambiguë. Comment expliquer que les caisses de sécurité sociale y soient représentées et qu’elles soient ainsi juges et parties ? Cette préoccupation est certes importante, mais il faut prendre garde à ce que les fondements du système de Sécurité sociale et de la politique pharmaceutique nationale ne soient pas phagocytés par cette vision strictement comptable qui est en train de prendre des contours démesurés. A notre avis, une refonte du CRM est indispensable, et l’intégration au CRM d’un représentant de l’UNOP est hautement souhaitable, de même que la mise en place d’un collège consultatif d’experts sur lesquels s’adossera le processus de décision concernant le service médical rendu. L’équilibre des caisses est aujourd’hui menacé. C’est ce qui justifie la politique menée pour maintenir cet équilibre ? Bien entendu, et ce n’est certainement pas le chef d’entreprise que je suis qui vous dira le contraire. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les caisses de Sécurité sociale ne sont que les instruments d’une politique que les autorités publiques mettent en place. Il faut se demander sérieusement pourquoi le prix du médicament devrait être l’unique variable d’ajustement de l’équilibre des caisses de Sécurité sociale ? On ne peut que relever aujourd’hui l’indigence des campagnes de prévention et d’éducation citoyenne qui permettraient pourtant d’agir en amont et de réduire fortement la prévalence de nombreuses maladies et, en conséquence, l’impact financier de leur traitement. Sur un plan plus stratégique, il importe que la politique publique en matière de Sécurité sociale ne s’enferme pas dans des approches de court terme et qu’elle prenne un peu mieux en compte des évolutions importantes que le secteur pharmaceutique connaît d’année en année, que ce soit au plan national comme au plan mondial. Ces évolutions se rapportent notamment à toute la masse des produits innovants qui arrivent et qui, malgré leurs prix élevés, ne pourront pas être refusés à nos médecins et à nos patients et ne manqueront pas de faire leur entrée sur notre territoire. Ce sont ces produits que nous devrons nous efforcer de produire et c’est le défi à relever. Nous pouvons d’ores et déjà dire que sans des prix rémunérateurs, l’industrie pharmaceutique nationale sera condamnée à végéter à l’avenir et que la porte des produits innovants lui sera irrémédiablement fermée.
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