mercredi 20 décembre 2017

Cachez-moi ces statues…

Le geste de l’illuminé qui s’en est pris avant-hier à la statue de Aïn El Fouara nous renvoie à l’idéologie salafiste, ce courant extrémiste qui a servi de terreau à la création de groupes extrêmement violents à travers de nombreux pays musulmans, comme les talibans, ou encore El Qaîda et plus récemment Daech, qui ont semé mort et désolation. L’Algérie n’a pas été épargnée par cette déferlante qui a pris son envol avec l’arrivée du parti dissous au début des années 1990. Durant cette période, toutes les statues qui embellissaient les halls des immeubles de la capitale avaient été arrachées, certaines volées et beaucoup abandonnées dans les entrepôts du défunt CPVA (Conseil populaire de la ville d’Alger), alors présidé par un élu du parti dissous, qui avait lancé une campagne pour cacher au regard ces magnifiques créations artistiques. A l’Ecole des beaux-arts, située au boulevard Krim Belkacem, toutes les statues qui ornent les allées verdoyantes de ce bel établissement ont été recouvertes d’un drap blanc ou carrément habillées de «kamis», pour bien respecter «les mœurs» salafistes désormais dictées et imposées par «une police parallèle». La chasse aux couples, à la mixité dans les établissements, aux femmes qui ne portent pas le voile, etc. était devenu le vécu quotidien de nombreux Algériens, et les réfractaires étaient souvent malmenés, tabassés, voire menacés de mort. L’incident de Aïn El Fouara aurait pu être un simple fait divers, si l’auteur n’avait pas exhibé son appartenance idéologique, et mieux encore, ne s’était pas attaqué aux parties du corps (les seins) les plus problématiques — pour ne pas dire source de fantasme — dans la logique des islamistes. Cette statue, faut-il le rappeler, a déjà fait l’objet, en 1996, d’une attaque terroriste à l’explosif, qui avait suscité l’indignation de la population sétifienne. La colère que cet acte ignoble avait entraînée a poussé les autorités à entreprendre sa restauration. Vers la fin des années 1980, des imams de la ville, par des prêches virulents, faisaient pression sur les autorités pour qu’elles recouvrent le corps de cette magnifique statue. Trente années après, c’est un prédicateur, autoproclamé mufti d’une chaîne de télévision privée, qui reprend le flambeau. Il y a quelques mois, utilisant cette émission intitulée «Conseillez-moi», qui passe quotidiennement sur une chaîne privée, il avait interpellé le wali de Sétif, lui demandant de couvrir la statue en l’habillant avec une «djeba (robe) sétifienne» ou en recouvrant «ses parties intimes», faisant référence aux seins dénudés. «Le cheikh» s’est montré outré par la vue de cette statue devant laquelle, avait-il déclaré, «les bonnes familles sétifiennes détournaient le regard». Or, si à ce jour, cette œuvre se dresse toujours au milieu de la ville, c’est justement grâce à ses habitants qui la protègent. Elle continuera à être la cible des extrémistes qui ne voient en elle que le symbole de l’adoration et les formes d’une femme. L’homme qui l’a saccagée à coups de marteau et de burin ne diffère en rien de ceux qui ont mis à terre, à coups de hache et de bâton, les statues d’une grande valeur artistique, protégées depuis des centaines d’années à Mossoul, en Irak, ou ceux qui ont détruit la ville syrienne antique de Palmyre, ou encore ceux qui ont fait exploser les Bouddhas de la ville de Bâmiyäne en Afghanistan. Ils sont nourris à l’idéologie extrémiste de l’ignorance et de la bêtise humaine. Malheureusement, ce courant dévastateur pèse encore au sein de la société pour de multiples raisons, à commencer par la propagande wahhabite diffusée par de nombreuses chaînes de télévision, une présence assez importante dans les réseaux sociaux, des mosquées qui échappent totalement à l’Etat, où des novices s’autoproclament muftis, et un environnement plombé par le conservatisme rampant…  

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