vendredi 22 décembre 2017

On classe puis on casse

La statue de Aïn Fouara de Sétif a été saccagée cette semaine. Au-delà de cet acte, El Watan Week-end veut revenir sur l’attachement des Algériens à leur patrimoine et la symbolique des statues. Hormis les «politiques» — les élus s’entend — qui se sont inscrits aux abonnés absents, les Sétifiens pour lesquels Aïn Fouara représente beaucoup et dont la statue qui faisait leur fierté a été saccagée lundi dernier, condamnent l’acte. «Pour la gouverne des obscurantistes, la statue n’est pas témoin de l’histoire contemporaine de la ville pour rien. Elle restera là où elle trône depuis 1899. On l’aime car elle s’est, de tout temps, associée à nos joies et peines. Faisant partie d’un sublime décor, sa nudité ne choque personne. Aïn Fouara n’est pas une momie, sa place est ici. Elle n’ira nulle part. La fontaine est un site touristique de premier plan. Les Algériens et étrangers de passage s’arrêtent pour boire son eau bénite et immortaliser ce moment magique», révèlent non sans colère des personnes d’un certain âge. Toufik Gasmi, président de l’Association des anciens élèves du lycée Mohamed Kerouani, ne décolère pas : «L’obscurantisme a encore frappé et en plein jour. Au cœur de la ville de Sétif, la statue majestueuse et légendaire, jadis lavée et ‘‘soignée’’ par nos mères et grands-mères, à été meurtrie par un intégriste venu de nulle part qui, marteau et burin à la main, a entrepris son œuvre destructrice. Devant cet acte ‘‘ignoble’’, nous anciens et anciennes lycéens condamnons avec tout le mépris cet acte ignoble et appelons à la préservation de tous les sites archéologiques.» Patrimoine L’archéologue et directrice du Musée national, Chadia Kharfallah, n’y va pas par quatre chemins : «Aïn Fouara est un monument classé. Il est protégé par la loi 98-04 relative à la protection du patrimoine national. Lequel occupe une place importante dans l’histoire de la ville regorgeant de vestiges des civilisations anciennes. Ce chef-d’œuvre donne une autre dimension à la beauté du site. On n’a donc pas le droit de le dénaturer, de l’abîmer ou de le vandaliser…» Sans réfléchir, l’archéologue restaurateur Abdelkader Bensalah, qu’on ne présente plus, s’est déplacé de Cherchell où il a restauré de nombreuses œuvres d’art : «Je suis venu par orgueil. On va la restaurer. A l’issue de l’opération, la statue ne sera que plus belle. Et pour perpétuer une coutume sétifienne, elle aura droit à une très belle toilette.» Anthropologue et psychologue à la fois, le Dr Toufik Samai de l’université de Sétif II nous éclaire un peu plus : «Ce qui est remarquable dans cette œuvre, c’est que l’endroit représentait dans la mémoire populaire un espace de rencontres conviviales, de communication et de rituels de purification. La présence donc de cette femme sculptée ne dérangeait nullement, néanmoins elle symbolise, tout de même, une féminité projetant l’idée de la continuité de la vie par l’eau coulant à travers ses quatre côtés. Aïn Fouara englobe d’une part la vitalité de la vie symbolisée par l’eau et, d’autre part, l’aspect éternel de la féminité fertile symbolisée par la statuette, c’est ce qui nous révèle une double symbolique sur laquelle nous nous basons pour déceler et comprendre le caractère mythique que connaît cette fontaine depuis son installation à la fin du XIXe siècle. Aussi, nous pouvons observer qu’elle est présentée comme une femme seule sans le conjoint, comme si elle interpelle le passant pour lui dire : ‘‘Je ne suis la propriété de personne, je suis là exposée et fixée pour accueillir tout visiteur se rapprochant de moi, je suis une perle rare scrutant les humains.’’» Modernisation Défenseur invétérée du patrimoine, Mme Assia-Samaia Bouadjadja, docteur en architecture de l’université Sétif I, s’interroge : «Traversant mer et terre, l’œuvre conjuguée du sculpteur Francis de Saint-Vidal, de l’architecte Eldin, auteur du socle, associés à l’entrepreneur Francione, serait venue corroborer le scénario de la ‘‘Place Nationale’’ dédiée jadis aux ‘‘indigènes’’. Voisine du ‘‘Bureau arabe’’ qui a cédé sa place au siège de la municipalité, Aïn Fouara tente, sans nul doute, de participer au projet d’acculturation pour certains et de modernisation pour d’autres. Faut-il qu’elle reste là pour en témoigner… Au-delà de ces considérations idéologiques, la fameuse statue, gracieusement agrippée à son socle, scrutant l’horizon de l’outre-mer qui l’a vu naître, constitue le fond de perspective, qui est la consécration d’un principe fondamental de l’art urbain, qui a marqué l’image et l’histoire de la ville de par le monde à partir du XVIIe siècle. Faut-il encore une fois, qu’elle reste là pour en témoigner…»

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