Très en colère, inquiet et désabusé, l’Aménokal du Hoggar, Ahmed Edabir, est sorti de sa réserve. Dans l’entretien qu’il nous a accordé hier, il dénonce «l’exclusion, la marginalisation et surtout la ''hogra''» que subissent, dit-il, les notables touareg de Tamanrasset. Il menace de jeter le tablier si, dans une semaine, les autorités ne prennent pas en compte les préoccupations des tribus touaregues… Vous avez lancé un appel en direction des autorités du pays les mettant en garde contre ce que vous avez qualifié d’exclusion et de «hogra». Qu’en est-il au juste ? Nous vivons une situation des plus difficiles à Tamarasset. Les notables de la communauté touaregue sont totalement exclus de la gestion de la cité, alors qu’ils subissent quotidiennement les conséquences de tous les fléaux auxquels sont confrontés les habitants du Tassili, comme l’immigration clandestine, la contrebande, la criminalité, le chômage, la bureaucratie, etc. Nos enfants vivent dans des conditions difficiles en raison de la rareté de l’emploi, des activités de loisir, des conditions de vie difficiles, etc. Les étrangers sont plus privilégiés par rapport à nos jeunes et trouvent même des facilités à se faire délivrer des papiers algériens, à trouver un travail grâce à la complicité de certains commis de l’Etat. Nous ne pouvons plus tolérer une telle situation. Cela fait plus de deux ans que je calme la colère des chefs de tribu qui viennent me solliciter. Mais la patience a des limites… Effectivement, il y a quelques années, vous avez lancé le même appel aux autorités. Peut-on comprendre que rien n’a été fait depuis ? Je peux vous dire que nous sommes confrontés à un véritable mur. Les autorités locales ne prennent pas en compte nos préoccupations. Tous les problèmes de la région sont traités en dehors des notables. Est-ce une manière de se comporter avec la population locale qui est garante de la stabilité et de la sécurité de la région ? Je ne le pense pas. Nous n’accusons personne, mais nous avons le droit de nous interroger sur les raisons d’une telle exclusion. A-t-on instruit les autorités locales de nous exclure de toutes les discussions autour des problèmes de la communauté ? Nous ne le savons pas. Raison pour laquelle nous tirons la sonnette d’alarme. Nous disons aux plus hautes autorités qu’il y a urgence dans la cité… Pourquoi avoir attendu aujourd’hui pour tirer cette sonnette d’alarme alors que les problèmes datent de plusieurs années ? En fait, les chefs des tribus n’ont jamais décoléré. Ils viennent régulièrement me faire part de leurs préoccupations de plus en plus importantes. Ma maison ne désemplit jamais. Je fais en sorte de les calmer en faisant appel à leur sagesse et surtout en mettant en avant la sécurité des frontières, la stabilité du pays, etc. Mais la situation ne fait qu’empirer, et parfois je ne sais même pas quelle réponse je dois donner aux chefs des tribus qui viennent en colère. Mais, jeudi dernier, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les notables étaient très contrariés par le fait qu’ils aient été exclus des cérémonies de commémoration de la Journée du martyr. Comment peut-on oublier les notables des tribus du Hoggar qui ont donné de nombreux martyrs à la Révolution dans une manifestation aussi importante ? Est-ce fait que cela a été sciemment ? Peut-on croire qu’il s’agit de directives de la haute autorité du pays ? Mais il y a de nombreux députés de la région qui représentent les Touareg du Hoggar ; ne peuvent-ils pas servir de relais pour faire entendre la communauté ? Cela fait longtemps que la confiance entre les politiques et la population locale a été rompue. Je l’ai peut-être compris un peu tard, mais j’en suis conscient aujourd’hui. J’ai fait trois mandats de député, et j’ai pris la décision de ne pas me présenter lors des dernières législatives. De toute façon, les problèmes auxquels sont confrontés les Touareg ne peuvent pas être une affaire de partis politiques, mais des autorités. Aujourd’hui, il reste encore ce respect que l’on doit à l’Aménokal qui les représente. Mais, nous remarquons que de plus en plus, la communauté se sent marginalisée. Les conséquences d’un tel sentiment peuvent être très graves pour la stabilité de cette région… Pourquoi, selon vous, les notables ont-ils été exclus de cette manifestation ? J’aimerais bien avoir la réponse de nos responsables politiques. Non seulement ils nous marginalisent et ne prennent pas en compte nos préoccupations, mais en plus ils font tout pour nous pousser à l’extrême. Les notables se sont sentis tellement blessés qu’ils sont venus me voir en me disant que c’est trop et qu’il faut maintenant passer à une autre étape. Ils n’ont pas tort. A ce rythme, nous risquons un jour de nous voir expulsés du Hoggar. Je ne sais pas ce qu'il va advenir de notre communauté. Si jusque-là les notables ont pu juguler la colère, c’est parce qu’ils sont conscients de la vulnérabilité de la région et de tous les dangers qui l’entourent. Mais leur voix ne sera pas éternellement écoutée. Des jeunes peuvent se détourner de cette organisation sociale qui entoure l’Aménokal. Jusqu'à présent, j’ai pu maîtriser la situation, mais demain je ne sais pas comment elle va évoluer. Raison pour laquelle j’ai décidé de tirer la sonnette d’alarme. Le climat est intolérable. Il faut le comprendre. Les autorités ont une semaine pour répondre à mon appel… Faute de quoi ? Si notre appel n’est pas entendu, je serai dans l’obligation de réunir tous les chefs de tribus pour leur remettre ma démission. Je ne pourrai plus assumer la responsabilité d’une telle dégradation de la situation. Ceux qui ont décidé d’exclure les Touareg du Hoggar de leur cité doivent prendre conscience de la gravité de la situation et c’est à eux qu’il faudra demander des comptes en cas de dérapage…
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