Lors du procès, hier à Milan, de la compagnie italienne Eni et de sa filiale Saipem pour «corruption internationale», des peines de prison ont été requises contre l’ex-patron de l’Eni, Paolo Scaroni, d’anciens responsables des deux compagnies et Farid Bedjaoui, Samir Ouraied et Omar Habour. Un tournant décisif dans le procès Saipem à Milan. Hier, à l’issue d’une deuxième – et interminable – audienzia préliminaire (étape précédent le procès), le procureur du ministère public de Milan, Palma Isodoro, a requis la peine de 6 ans et 4 mois de prison ferme contre Paolo Scaroni, ex-président-directeur général du géant italien des hydrocarbures, ENI, accusé de «corruption internationale» et «fraude fiscale». Personnage central du dossier ENI Algérie, dite affaire Saipem, sur lequel enquêtait jusque-là le parquet de Milan, Scaroni avait été totalement «blanchi» en novembre 2015. Pour «insuffisances de preuves sur une responsabilité avérée ou démontrable (de corruption internationale)», avait décidé alors la juge Alessandra Clemente lors de la première audience préliminaire. L’acquittement de Scaroni ne tardera pas à être annulé par la Cour suprême en octobre 2016. Les procureurs de Milan, ajoutent les agences France Presse (AFP) et Reuters, ont également requis 900 000 euros d’amende contre les compagnies italiennes Eni et Saipem, pour «corruption internationale» visant de hauts dirigeants algériens, dont l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil. La loi italienne considérant toute société responsable des actes de leurs dirigeants. Lundi dernier, le procureur avait déjà évoqué des «éléments de preuve», en particulier des versements corruptifs, pour des activités fictives, à la société de M. Bedjaoui, Pearl Partners, basée à Hong Kong. Ces pots-de-vin étaient un «carton d’invitation payé par Saipem pour évincer ses adversaires» et s’assurer «les faveurs du ministre de l’Energie Chakib Khelil et sa protection lors des appels d’offres» dans l’obtention de sept gros contrats, totalisant 8 milliards d’euros entre 2007 et 2010. Outre les amendes contre Eni et Saipem et la peine de six ans et quatre mois de prison contre M. Scaroni, le procureur Isidoro Palma a requis des peines de 5 à 7 ans de prison pour quatre autres anciens dirigeants d’ENI, parmi lesquels Pietro Tali, président de Saipem (filiale de Eni). Le procureur a requis huit ans de prison contre Farid Bedjaoui, homme de main et «agent fiduciaire» de l’ex-ministre Khelil, quatre ans et dix mois de prison contre Samir Ouraied, un des lieutenants de Bedjaoui, et six ans contre Omar Habour, accusé, entre autres, d’avoir participé au blanchiment et de servir de d’homme-lige et tiroir-caisse pour le clan Khelil. Dans cette affaire, «il y a un groupe criminel organisé avec une composante franco-algérienne et de l’autre une structure organisationnelle à l’intérieur d’Eni et Saipem», a estimé le procureur, en affirmant qu’Eni avait «donné la possibilité à Scaroni de gérer en autonomie totale les rapports avec Farid Bedjaoui». Tous les prévenus ont rejeté les accusations portées contre eux. «Quand les peines requises sont très élevées, c’est pour soutenir des éléments d’accusation très faibles. Dans ce cas, les preuves sont complètement inexistantes», a déclaré à l’AFP l’avocat de M. Bedjaoui, Marco De Luca. «Aucun euro ou dollar des comptes de Farid ou de ses sociétés n’est jamais allé dans les poches du ministre», a-t-il affirmé. Dans le dossier d’accusation, Paolo Scaroni campe le rôle d’interface de Chakib Khelil, le «vis-à-vis» italien avec lequel le ministre traitait les «grosses affaires» dont le contrat MLE (dit l’affaire FCP). Le contrat MLE, bloc 405b renvoie au fabuleux gisement d’huile et de gaz humide découvert par le prolétariat de Sonatrach en 1993 dans le bassin de Berkine, à 220 km au sud-est de Hassi Messaoud, une des plus importantes découvertes jamais réalisées depuis les nationalisations, en 1971. Menzel Ledjemet-Est, MLE, ses périmètres d’extension, 18 puits de gaz humide et/ou de mélange huile et gaz (potentiel évalué à 1,3 trillion de pieds cubes, soit 400 millions de barils équivalent pétrole) a été liquidé pour 41 millions d’euros de bakchichs, encaissés par la bande à Khelil. Le contrat de vente MLE, conclu le 8 septembre 2008, a permis à ENI Holding Canada, filiale du groupe italien, d’acheter, pour 609 millions d’euros (933 millions de dollars), 75% des «actifs» de FCP en Algérie. Il s’agit en réalité de son seul et unique actif en Algérie. Ramené dans les bagages de Chakib Khelil qui l’a présenté comme un «géant pétrolier», FCP rappelle l’autre affaire, celle d’ENI Nigeria, même à échelle réduite, dans laquelle Dan Etete, ancien ministre nigérian de l’Energie, est mis en cause pour avoir empoché une maxi tengent, un pot-de-vin hors gabarit de 1,092 milliard de dollars lors de la vente au profit d’ENI du gisement offshore Opl 245. Tulio Orsi (président et administrateur délégué de Saipem Contracting Algeria), Pietro Varone (directeur des activités opérationnelles Chief Operating Officer de Saipem sa), Tali Pietro Franco (vice-président et administrateur délégué de Saipem spa) mouillent tous leur ancien patron, Paolo Scaroni. Dans le cas de MLE, Pietro Varone a déclaré, entre autres, que les commissions avaient été payées à Pearl Partners pour «obtenir le ok des autorités algériennes» quant à l’acquisition de First Calgary Petroleum par ENI. Il a ajouté que les contacts avec Khelil avaient été tenus au «plus haut niveau» et que les trois personnages-clés : Khelil, Scaroni et Bedjaoui s’étaient «plusieurs fois rencontrés, à Paris, à Vienne et à Milan». Pietro Varone a déclaré par ailleurs que «Chakib Khelil était un des bénéficiaires de la corruption». «A la demande de préciser qui a reçu de l’argent de Bedjaoui, je déclare que la seule personne dont Bedjaoui m’a directement parlée était Khelil. Bedjaoui m’a expressément dit que Khelil recevait de l’argent de lui. Sans m’expliquer les modalités par lesquelles l’argent lui était viré. Il m’a dit seulement qu’il lui donnait de l’argent.»
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