mardi 20 mars 2018

Abderrahmane Moussaoui s’intéresse aux «recompositions dans la pratique religieuse»

Abderrahmane Moussaoui s’intéresse à la recomposition du champ de la pratique religieuse et c’est dans le cadre d’un nouvel ouvrage en préparation qu’il est revenu à Oran présenter quelques axes de réflexion sur le sujet. Invité par le CEMA, la communication qu’il a donnée a suscité un large débat parmi l’assistance. La question de savoir si les années 1980 constituent une rupture reste ouverte, mais c’est à partir d’un postulat lié à cette période qu’il a été amené à poser sa problématique. «J’ai voulu savoir comment, en un laps de temps très court, certains traits ont été exacerbés, et ce qui était auparavant discret est devenu tout d’un coup manifeste autant dans le langage que l’apparence vestimentaire, en résumé des manières d’être qui se sont transformées très vite», indique-t-il en introduction. L’anthropologue parle de légitimation par le fait religieux, quitte à ce que cela soit fallacieux, mais met en avant la construction d’un discours. Pour lui, les pratiques religieuses n’ont pas de frontières étanches telles qu’on a tendance à le croire car elles subissent elles aussi les conséquences du contact avec l’autre, avec les autres cultures. Le concept de globalisation et les opportunités qui s’offrent aux individus dans le domaine de la communication, des transports, etc., facilitant les contacts, est pris en compte au même titre que celui de la modernité, synonyme d’hétérogénéité. Pour ce dernier cas, Abderrahmane Moussaoui ne conçoit également pas qu’il puisse exister de frontière étanche avec le concept de la tradition car elle aussi est sujette à une évolution et même parfois une accélération. Il ne croit pas aux ruptures, mais aux constructions qui s’échelonnent dans le temps. En évoquant, à titre illustratif, le phénomène des conversions, il met en avant le fait que les convertis viennent eux aussi avec une histoire personnelle propre mais qu’ils intègrent dans leurs nouvelles croyances, une preuve que l’espace religieux n’est pas imperméable. Sur un autre registre et sur le plan collectif, certains traits culturels qui se sont accommodés avec la religion ont fini par être dénoncés ou remis en cause par certains savants qui les qualifient de «bidaâ». L’origine de certains rites peut remonter à la période d’avant l’avènement de l’islam, et l’universitaire algérien considère que l’islamisation a été graduelle et qu’elle a été, dans une certaine mesure, caractérisée par «l’intégration de la différence». Etablissant une distinction entre ce qui relève de la conquête militaire et ce qui relève des processus d’intégration religieuse, il avance le fait qu’il arrive «qu’on repousse le conquérant tout en restant musulman». Chiffres à l’appui, il rappelle que les deux tiers des musulmans dans le monde sont en Asie et donc de cultures et de langues asiatiques, et les 16 millions qui sont basés en Europe occidentale vivent en contact permanent avec les autres religions. Le chercheur estime grosso modo à 10% la proportion du courant chiite qui, au passage, ne concerne pas uniquement l’Iran et donc le monde perse. Le courant sunnite majoritaire est lui-même historiquement subdivisé en quatre grandes écoles (les ’’madahib’’ que sont le hanafisme, le malikisme, le chaféisme et le hanbalisme) et leurs ramifications adoptées çà et là par les musulmans du monde. Prévu dans le concept de «l’ijtihad», il considère que l’identité religieuse peut évoluer et s’oppose donc aux tenant d’une pratique de l’islam rigoriste, figé et monolithique. A suivre ce raisonnement, selon une question posée dans le débat, un crédit peut être donné au concept de «référent national» avancé par les autorités algériennes dans le cadre de la pratique religieuse. Cependant, pour l’anthropologue, les choses ne sont pas aussi simples car l’introduction du processus de construction nationale, qui suppose des frontières géographiques, renvoie à d’autres considérations. Par ailleurs, voulant sans doute adopter une posture universelle, une bonne partie de l’intervention du chercheur enseignant à l’université française Lyon II concerne les contenus comparables, notamment les figures marquantes, citées dans les trois religions monothéistes. Il rappelle à ce propos que la religion musulmane a été révélée dans un contexte où il y avait déjà d’autres croyances religieuses. Evoqué, le groupe de musulmans des premières années de l’avènement de cette religion, pourchassés chez eux et accueillis comme il se doit par le négus d’Abyssinie, est un épisode célèbre. Pour revenir à la réalité algérienne, il suggère aux jeunes chercheurs de s’intéresser à ce qui se passe dans les mosquées. Il part de sa propre expérience, quand il est allé récemment prier dans une mosquée à Alger et qu’il a constaté que sa manière de se tenir (la position des bras), héritée de la tradition depuis qu’il était enfant, n’était plus adoptée par tout le monde. La forme ne remet pas en cause le contenu, mais il estime que ces changements opérés dans les attitudes méritent d’être pris en considération. Dans le même contexte, il s’est étonné du fait que, pour la prière du vendredi, beaucoup de fidèles prennent avec eux leur tapis individuel de prière. Il voit là un phénomène d’individualisation, mais en réalité cet aspect des choses est dû simplement au fait que, à un moment, probablement pour des raisons démographiques et de concentration des populations dans les villes, les salles de prière des mosquées se sont retrouvées débordées et que les fidèles se retrouvent souvent, et c’est une réalité, à prier à même les trottoirs et les chaussées. Le tapis individuel paraît donc comme une nécessité qui ne remet pas en cause le principe de «la prière du groupe» et où l’attachement à la solidarité subsiste encore à travers les plats de couscous collectifs qu’on continue, notamment à Oran, à servir aux abords des mosquées.

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