samedi 24 mars 2018

Un black-out et des interrogations…

Dimanche 18 mars. Nous sommes au Parc zoologique et de loisirs de Ben Aknoun. Il est un peu plus de 14h. Il pleut. Le temps est maussade. Malgré les travaux de rénovation annoncés pour les prochains jours, le parc est ouvert au public. Les tarifs n’ont pas changé : 50 DA le ticket pour les adultes, 30 DA pour les enfants de moins de 5 ans. Très peu de monde devant l’entrée, côté Village africain, alors que nous sommes en pleines vacances scolaires. La faute, sans doute, à la météo. Des flaques d’eau se sont formées ça et là du fait des averses qui se sont abattues sur le site. Les manèges sont désertés par les bambins. Le train à roues qui doit relier la partie haute à l’autre extrémité du parc peine à faire le plein, de même que les quelques gargotes ouvertes qui attendent désespérément un client. Des éléphants impressionnants se meuvent mollement dans une réserve protégée par une clôture en bois en agitant leur trompe. Ces mammifères géants pèsent entre 3 et 7 tonnes, peut-on lire sur une pancarte explicative. En face, des nuées de cygnes noirs, d’oies et de Canards colvert barbotent dans une mare grise. Tout un spectacle de la nature dans une totale solitude, une ambiance plutôt inhabituelle surtout quand on sait l’engouement des Algériens pour les sorties en période de vacances. Il n’y a qu’à voir le week-end : à la moindre éclaircie, c’est la ruée vers «El parc», surtout qu’Alger manque cruellement d’espaces de divertissement. Le décret du 23 janvier Depuis plusieurs semaines, l’actualité du parc de Ben Aknoun est dominée par les nouvelles de son changement de propriétaire et de management, passant entre les mains de la Société d’investissement hôtelier (SIH) dirigée par Hamid Melzi, celui-là même qui administre Club des Pins (officiellement : EPIC Résidence d’Etat du Sahel). Le parc zoologique et de loisirs de Ben Aknoun a été créé, rappelle-t-on, en 1982. Il était auparavant sous la coupe du ministère de l’Agriculture, il passe désormais sous la gouvernance du Premier ministère. Et c’est donc l’EPE/SPA Société d’investissement hôtelier qui a hérité de ce joyau en jachère de plus de 300 hectares. C’est ce qu’annonçait solennellement un décret publié le 24 janvier 2018 dans le Journal officiel et signé Ahmed Ouyahia. C’est le décret exécutif n°18-41 du 23 janvier 2018 portant dissolution de l’établissement public à caractère industriel et commercial «Parc zoologique et des loisirs - La concorde civile». Celui-ci annonce clairement en son article 1 que «l’établissement public à caractère industriel et commercial Parc zoologique et des loisirs (…) est dissous». L’article 3 précise : «Les biens, droits et obligations de l’établissement public à caractère industriel et commercial dissous, sont transférés à l’entreprise publique économique Société d’investissement hôtelier (SIH) selon les formes et procédures établies en la matière». L’article 4 ajoute : «Le personnel de l’établissement public à caractère industriel et commercial dissous est pris en charge par la Société d’investissement hôtelier (SIH) selon les dispositions la régissant.» «Disneylandisation» ? Depuis la divulgation de cette info par de nombreux sites et médias, celle-ci a été largement répercutée sur les réseaux sociaux, provoquant même un mini-buzz. Certains y ont vu une menace écologique, d’autres l’ont interprétée comme une volonté d’ériger un grand pôle d’attraction, de dimension industrielle, sur le modèle Disneyland, avec, qui sait, une gamme de loisirs hors de prix et des tickets d’entrée rédhibitoires pour les petites bourses… D’autres se sont inquiétés du devenir des actifs du parc, notamment les établissements hôteliers (Moncada et Mouflon d’Or) et de restauration. L’assiette foncière inexploitée ou mal aménagée a fait émerger le mot «convoitises» comme on a pu le lire dans certains commentaires. Last but not least : associer un parc aussi populaire à «Club des Pins», en termes d’image, a été perçu comme un non-sens ; cela a naturellement éveillé des soupçons de mainmise des milieux d’affaires sur un bien public très emblématique. A toutes ces réactions, il faudrait ajouter l’inquiétude toute légitime des 594 travailleurs du parc qui craignent de faire les frais de cette reprise en main très libérale. «Les travailleurs ont été informés qu’ils allaient toucher leurs salaires des mois de janvier, février et mars sans avoir à travailler», affirme Maghreb Emergent (article mis en ligne le 10 janvier 2018). Une compression d’effectifs semble inévitable ; elle serait accompagnée de «mise en retraite anticipée et de départs volontaires». «C’est le flou total. Jusqu’ici, les travailleurs ne sont pas informés de ce qui se passe réellement», confiait une source au journal électronique. Que cache la SIH ? Nous aurions souhaité aborder toutes ces questions avec le nouveau propriétaire, à savoir la SIH. Nous avons pris attache par téléphone avec ladite société. Nous avons été dirigés vers le nouveau DG du parc, M. Abane. Ce dernier nous a fait savoir qu’il devait se concerter avec la direction de la SIH avant de nous rendre sa réponse. Nous avons repris contact le lendemain, et le nouveau directeur général nous a simplement déclaré : «On préfère s’abstenir de toute déclaration. Nous sommes en phase de transition.» Nous sommes revenus à la charge auprès de la direction de la SIH dans l’espoir d’obtenir des informations auprès d’un autre responsable de la société. La dame qui nous a eu au téléphone a pris le soin de noter aimablement notre numéro en promettant de nous rappeler. Nous attendons toujours l’appel de la SIH… Il va de soi que le nouveau propriétaire du parc de Ben Aknoun n’est nullement obligé de communiquer avec El Watan. Nous estimons néanmoins que, dans un exercice de transparence qui aurait fait du bien à tout le monde, cela n’aurait rien coûté à M. Melzi d’expliciter à nos lecteurs ses desseins et ses intentions pour ce parc qui reste l’un des rares espaces de loisirs dans l’agglomération algéroise. A moins que la SIH veuille nous cacher quelque chose… Juillet 2015 : le constat accablant du ministre de l’Agriculture Les velléités de rénovation du parc de Ben Aknoun, faut-il le souligner, ne datent pas d’aujourd’hui. Cela fait même plusieurs années que l’idée de dépoussiérer un peu ses équipements, jugés vétustes, et de rafraîchir son management, turlupine les pouvoirs publics. Le 2 juillet 2015, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Abdelkader Kadi, avait effectué une visite sur les lieux. Il était manifestement secoué par le spectacle de désolation qui s’offrait à lui pour marteler comme il l’avait fait : «Le parc est dans une situation catastrophique.» (El Moudjahid du 4 juillet 2015). M. Kadi avait inspecté le Village africain, la clinique vétérinaire, le Cirque des Fauves ainsi que les deux infrastructures hôtelières (Le Moncada et Le Mouflon d’or) et les équipements forains. Un examen clinique qui devait le conduire à faire ce constat accablant. «Pourtant, c’est un parc qui devrait financer ou contribuer à la création d’autres parcs», s’était-il lâché selon une dépêche de l’APS, avant d’annoncer : «Le parc connaîtra une vaste opération de rénovation.» «Il y aura du changement pour essayer de remettre en état cette infrastructure qui a été mise à la disposition de la population, mais malheureusement celle-ci n’en profite pas.» Il ajoutait dans la foulée : «Des premières mesures ont été prises suite à un constat de laisser-aller et une grande négligence. D’autres vont venir pour essayer de sauver ce qu’il y a lieu de sauver.» 1555 animaux issus de 137 espèces Une fiche technique du parc zoologique et de loisirs de Ben Aknoun établie par l’APS fait état d’une superficie globale de 307 hectares comprenant trois unités (attraction, zoologie et hôtellerie). Les deux tiers de cette superficie sont occupés par un couvert forestier très dense avec 200 hectares boisés. Le zoo, qui est l’une des plus importantes «curiosités» du site, s’étale sur 70 hectares. Il abrite 1555 animaux issus de 137 espèces. Il a été constaté que le zoo «fait face notamment à un problème d’alimentation des animaux». Autre écueil de taille : la mobilité. L’immensité du parc fait qu’il est difficile pour les visiteurs de se déplacer d’une zone à une autre, notamment du Village africain au Cirque des Fauves, le train et le téléphérique étant non fonctionnels. Les manèges et autres espaces de jeux s’étendent sur 76 hectares. Ils sont déclarés «complètement délabrés». Dans une autre dépêche datée du 7 février 2017, l’agence officielle APS établissait un nouvel état des lieux sur la base, cette fois, d’une étude réalisée par le Bneder, le Bureau national d’études pour le développement rural. L’objet de cette étude technique était précisément de proposer des pistes pour la rénovation du parc de Ben Aknoun en vue de lui assurer une meilleure attractivité et le «hisser au rang des parcs mondiaux». L’étude du BNEDER «Un montant de 24 milliards de DA aura été débloqué à ce projet prometteur pour transformer cet espace en un "pôle sportif, culturel, écologique et de loisirs"», assurait le DG du Bneder à nos confrères de l’APS. Selon TSA, le montant alloué pour les travaux de réhabilitation serait de «70 milliards de dinars qui seront engagés en partenariat avec une entreprise espagnole spécialisée». Le Bneder prévient : «Le parc est vétuste et ne répond plus aux critères requis». Et de faire remarquer que les animaux du zoo nécessitent un «meilleur entretien» en termes d’alimentation, de gîte et de prise en charge vétérinaire, estimant que leurs conditions de vie «ne correspondaient nullement à l'environnement naturel indispensable à leur survie», indique l’APS. Pour ce qui est des manèges, le bureau d’études estime que les jeux mécaniques doivent faire l’objet d’une «modernisation radicale». Selon les chiffres de l’APS, «on dénombre 11 manèges pour adultes, 9 pour enfants, une salle de multi-jeux et un petit train à roues». L’étude recommande «des jeux alternatifs plus modernes en direction de différentes franges d'âge à réaliser à travers un partenariat étranger», rapporte l’APS, avant de préciser : «Une société sud-coréenne a d'ores et déjà été contactée pour la réalisation d'espaces de jeux en vogue de par le monde dont Disney Land. Elle assurera en outre la formation et le suivi.» L’aménagement de voies de passage au milieu de l’immense forêt se révèle également indispensable. «La forêt de Ben Aknoun recouverte de pins d'Alep à raison de 50% exige impérativement l'aménagement de passages et l'équipement des espaces avec des tables et des chaises et, le plus important, l'installation de caméras de surveillance pour veiller à la sécurité du citoyen», souligne cette étude. Pour une meilleure mobilité, le Bneder insiste sur la nécessité de la relance du téléphérique et de la voie ferrée. En même temps, le bureau d’études a plaidé énergiquement contre toute tentation d’ouvrir une route carrossable au beau milieu de la forêt du parc. Cela porterait un coup fatal à tout l’écosystème. Plus d’un million de visiteurs en 2016 A la fin 2016, le parc de Ben Aknoun a accueilli plus d’un million de visiteurs (1 020 960 exactement), affirme l’APS. D’après Maghreb Emergent, le chantier de rénovation s’étalerait sur 30 mois, délai au terme duquel le plus grand parc de l’Algérois serait calibré «aux normes européennes». «Il s’agira, entre autres, de rénover les deux hôtels du parc, à savoir le Moncada et le Mouflon d’or. Il est également question de remplacer les équipements de la partie attraction par des machines aux normes européennes (…) Un jardin botanique, mais aussi des restaurants assurant 50 000 repas par jour seront ouverts, selon les prévisions de la société SIH», assure Maghreb Emergent. «La SIH est entrée en contact avec Marriott Dubaï et avec le Parc des Hautes-Alpes pour bénéficier de leur expertise aussi bien dans le domaine de l’hôtellerie que dans la gestion des parcs naturels», rapporte le même site. Selon un document de la BNA, la SIH est une société par actions dont le capital social est de 17 393 000 000 DA. Son siège social n’est pas précisé. Il est simplement indiqué : «BP n°64. Club des Pins». A noter enfin que la SIH compte 15 actionnaires, à savoir : la BNA (11,77%), le CPA (15,77%), l’Entreprise portuaire d’Arzew (12,28%), l’EP Alger (6,60%), l’EP Skikda (6,60%), l’EP Béjaïa (5,36%), la SAA (6,43%), GEMA (Société générale maritime, 6,60%), la CAAR (6,43%), l’EPRS (5,75%), la SNTA (5,11%), la CAAT (4,39%), l’ERCC (3,71%), la BADR (2,35%) et la CCR (Compagnie centrale de réassurance, 0,85%).

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