lundi 25 janvier 2016

Procès Sonatrach 1 : La défense de Saipem conteste les accusations

L’avocat de Réda Meziane affirme que Contel-Funkwerk a «gêné des intérêts» en apportant des équipements très développés dans le domaine de la télésurveillance. Le procès Sonatrach 1 entame sa dernière semaine, avant le verdict, avec la poursuite des plaidoiries de la défense devant le tribunal criminel d’Alger avec les derniers avocats (sur les sept constitués) de Nouria Meliani, directrice du bureau d’étude CAD. Mes Fatma Zohra Chenaïf et Menaouer Mejhouda ont ouvert hier l’audience. Ils récusent tous les faits retenus contre Meliani et rappellent que l’ouverture d’une enquête complémentaire (le dossier Sonatrach 2) «dans laquelle Réda Hamech a été accusé, au même titre que Meliani, de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment, a été faite avant l’arrêt de la chambre d’accusation qui a conduit à ce procès». De ce fait, «l’accusée ne peut être poursuivie deux fois pour les mêmes faits». Me Chenaïf passe à son deuxième mandant, Benaâmar Zenasni, ancien vice-président de TRC (Activité par canalisation) poursuivi dans le cadre du dossier du gazoduc GK3. La plaidoirie, précise-t-elle, «sera purement technique», avant de faire une rétrospective sur TRC, mais aussi l’histoire depuis le 1er gazoduc, Hassi-Rmel-Arzew jusqu’au 25e, avant d’arriver au Galsi, (gaz Algérie-sardaigne) qui relie l’Algérie à la Sardaigne, au sud de l’Italie, dont l’objectif est d’alimenter ce pays en gaz, mais aussi l’Europe. Ce Galsi porte le nom de Mettei, le premier patron de l’Eni, groupe pétrolier italien qui avait aidé la révolution algérienne, mais aussi la création de Sonatrach. La réalisation du GK3 par Saipem a été, selon l’avocate, un «défi». Il devait alimenter la centrale électrique de Koudiet Edraouech, «qui a coûté à l’Etat 1,2 milliard de dollars. Aujourd’hui, il exporte plus de 5 milliards de m3 de gaz, qui rapportent à l’Algérie 2 milliards de dollars». «Le trou noir est l’absence d’expertise» Me Chenaïf indique que l’accusé était sur le point de partir à la retraite, lorsque «le ministre en personne a fait appel à sa compétence. Il est arrivé à TRC alors que Saipem était déjà attributaire du marché. Elle était la moins disante. Il a refusé de signer le contrat avec un tel prix, mais il ne pouvait l’annuler en raison des répercussions financières qui pouvaient en découler. Il a écrit à son ministre, lui disant que Siapem est la moins disante, mais que son prix était trop élevé. Il l’a convoqué pour lui signifier qu’il n’était pas question d’annuler. Il lui a demandé de négocier. Zenasni écrit au PDG pour l’informer de la décision du ministre pour lui demander l’accord pour exécuter les consignes. Puis, il a entamé les négociations pour un rabais de 30%, puis de 25%. A ce moment, le ministre demande de couper la poire en deux pour arriver à une baisse de 12,5%. Il est arrivé à 15% de réduction, à savoir l’équivalent de 43 milliards de dinars». Pour Me Chanaïf, le vrai problème ce n’était pas dans les pipes, mais dans leur pose sous terre. «Rappelez-vous l’affaire de l’autoroute. Le volet qui a le plus retennu le débat c’était le relief de la partie Est du pays, tout comme pour le GK3. Il faut préciser que Saipem a installé 350 km de fibre optique qui n’existaient pas, contrairement aux autres gazoducs». Elle insiste beaucoup sur l’absence d’expertise technique qui aurait pu déterminer le côut du projet, mais aussi le «prétendu» préjudice. A propos du recours aux sociétés nationales, l’avocate rappelle «les nombreux contentieux» que celles-ci auraient laissé derrière elles, puis exhibe plusieurs correspondances relatives aux retards enregistrés dans la réalisation des projets, «faute de capacités». Elle cite comme exemple le cas de Cosider qui, selon elle, simulait des incidents avec ses sous-traitants, suscitant des contentieux auxquels Sonatrach a fait face. «Je dis à Zenasni que vous aviez mal fait de récupérer plus 100 millions de dollars auprès de Saipem», lance Me Chenaïf, qui ajoute que l’accusé «était venu en pompier pour éteindre le feu à Sonatrach. C’est Abdelhamid Zerguine, son prédécesseur, qui avait décidé de la poursuite de la consultation avec deux sociétés. Il y a un trou noir dans ce dossier qui suscite un grand point d’interrogation. N’y a-t-il pas d’experts chez nous ? L’Algérie recèle de nombreux experts dans le domaine. Je peux citer Ahmed Ghozali, Belaïd Abdeslam, Aït Al Hocine, Hocine Zouieche, etc. Ils sont consultés à l’étranger, pourquoi ne le seraient-ils pas dans leur pays ? Nous aurions pu profiter de leur expérience.» «Que le parquet ait le courage de s’attaquer aux personnes impliquées» L’avocate s’adresse au procureur général, lui demandant de révéler «la cascade de contentieux» avec des sociétés étrangères qui ont recouru à l’arbitrage. Elle plaide l’acquittement, avant que Me Hamidi Khodja, l’autre avocat de Zenasni ne lui emboite le pas. Il conteste toutes les accusations, et durant plus d’une heure, il va tenter de convaincre le tribunal du lien entre cette affaire et l’opération «mains propres» menée par «l’homme aux sales besoignes» contre les cadres durant les années 90’, avant de déclarer : «Nous aurions aimé que le parquet général ait plus de courage pour s’attaquer directement aux personnalités visées, au lieu de traîner ces cadres devant la justice.» Pour lui, cette affaire a poussé «2000 cadres de Sonatrach à déposer leur demande de départ à la retraite. Elle a eu de graves conséquences sur la compagnie, mais aussi sur l’opep» qui, selon l’avocat, «n’a pu se réunir à cause de l’Algérie qui y jouait un rôle important». Me Khodja surprend l’assistance en lisanr une instruction de l’ancien ministre de la Justice, Mohamed Adami, ordonnant la remise en liberté des personnes placées sous mandat de dépôt sans qu’il n’en soit informé. Le procureur général l’interrompt : «Cela remonte à plus de 20 ans…» Remarque qui fait réagir le juge : «Vous n’avez pas le droit d’intervenir». Le procureur général réplique : «C’est une déclaration publique. Elle va être reprise par la presse. La précision est importante.» Le juge demande à l’avocat de poursuivre. Me Khodja continue à faire le lien entre cette affaire et celle des cadres incarcérés, puis passe au «au volet lié au droit». Pour lui, l’ouverture de l’information judiciaire «est entachée d’illégalité» parce qu’elle a ciblé des personnes physiques et non morales «étant donné que les contrats ont été signés entre sociétés et non pas entre personnes». L’avocat va jusqu’à exiger l’annulation de la procédure comme cela a été fait, précise-t-il, «pour les personnes qui ont été poursuivies au niveau international sous prétexte qu’il y a eu non-respect de la procédure. Toute l’affaire devrait tomber parce que la nouveau code de procédure pénale promulgué en juin 2015 conditionne toute poursuite contre les cadres par une plainte préalable de la société. Or, celle-ci n’existe pas.» Il rappelle que «Sonatrach n’obéit pas au code des marchés publics et que ses cadres dirigeants ne sont soumis qu’au règlement intérieur, à savoir la directive de l’époque qui était la R15.» «L’état de droit dont se réclame Amar Saadani» Il évoque l’Etat de droit dont «se réclame Amar Saadani», suscitant un éclat de rire dans la salle. «Il ne fait pas partie du dossier», réplique le juge en laissant apparaître un large sourire. L’avocat : «J’y arrive. Je tiens à préciser que je viens de déposer plainte contre Amar Saadani et le ministre de l’Intérieur. Saadani est secrétaire général du FLN, dont le président d’honneur est Abdelaziz Bouteflika.» Le juge le recadre autour de l’affaire en lui faisant remarquer qu’il lit «trop la presse ces jours-ci». Me Khodja réclame l’acquittement, avant que les avocats de Saipem, Mes Fatima Laâdoul et Mohamed Bachi n’interviennent. Me Bachi focalise sur le contrat, précisant que Saipem a déposé une caution garantie de 2 millions de dollars, et que Sonatrach avait toute la latitude de déclarer l’infructuosité de la consultation avant la signature. «Elle ne l’a pas fait. Durant les 4 mois d’attente, Saipem aurait pu se retirer, mais elle ne l’a pas fait. Elle était la moins disante, donc attributaire du marché. Elle a baissé son prix de 103 millions de dollars, et à la fin elle se retrouve poursuivie.» L’avocat regrette «qu’aucune» expertise ne soit venue conforter «la cherté des prix» de Saipem. Selon lui, la société a fait l’objet d’une procédure de gel de ses comptes, y compris ceux qui n’avaient aucun lien avec le contrat, sur demande écrite de la police judiciaire, alors qu’elle était toujours témoin. «C’est une grave violation de la procédure. Un juge qui exécute les ordres de la police judiciaire et non l’inverse», lance Me Bachi, ajoutant : «C’est vrai que le recrutement du fils du PDG par Saipem peut être contraire à l’éthique. Mais est-ce que la loi punit ce qui relève de l’éthique ? Non. Elle ne punit que ce qui est illégal. L’article de la loi sur lequel repose le délit de surfacturation dit clairement que le surcoût doit être déclaré par rapport aux prix pratiqués habituellement par le concerné. Y a-t-il dans ce dossier une seule preuve que Saipem a augmenté les prix qu’elle pratiquait habituellement ? Il n’y a rien. Saipem a réalisé le projet et l’a remis à Sontrach dans des délais et sans aucun avenant. Saipem l’a réalisé alors que ses comptes étaient bloqués. Au nom de l’amitié avec l’Algérie, c’est la société-mère qui a poursuivi le financement. C’était une question d’honneur pour elle. De l’aveu-même de Sonatrach, rapporté dans une lettre adressée au juge d’instruction, il est reconnu que le gel des comptes de Saipem pourrait avoir de graves conséquences sur la réalisation des projets stratégiques pour le développement du pays.» «Le gel des comptes de Saipem a été ordonné par le DRS» Me Laâdoul réaffirme les mêmes argumentations, en contestant les déclarations des témoins à charge, notamment l’ex-PDG de Sonatrach, Abdelhamid Zerguine, et souligne la légalité du contrat de consulting que Réda Meziane avait obtenu auprès de Saipem, et que les 4 millions de dinars dont il avait bénéficiés auprès de Tullio Orsi, ancien responsable de Saipem, ne concernent pas la société. Elle demande au tribunal de lever le gel sur les comptes, avant de céder sa place aux avocats de Mohamed Réda Meziane, Mes Attef Deghmouche et Hocine Chiat. Ce dernier entame sa plaidoirie en commencant par son deuxième client, Mohamed Meziane, ex-PDG de Sonatrach, en disant qu’il suit cette affaire «depuis l’été 2009 à ce jour, avec tout ce qu’elle a suscité comme débat médiatique. J’ai connu Mohamed Meziane lorsqu’il était en pleine gloire. J’ai même dit, lors de ma plaidoirie devant la chambre d’accusation, que Meziane n’était pas le maire d’une commune. La première convocation devant le juge, la seule question qui revenait, c’était : ‘‘Possédez-vous 2% d’une société algéro-portugaise ?’’ En fin de journée, il a fallu une lettre du PDG de cette société, qui affirme que celle-ci a des participations de l’Etat algérien et non pas de Mohamed Meziane.» Me Chiat s’attaque aux représentants de la partie civile, Sonatrach et le Trésor public qui, d’après lui, se sont «réveillés» une fois le dossier devant la chambre d’accusation. Il s’insurge contre l’accusation d’ «association de malfaiteurs» entre «un père et son fils». Il rappelle la rétrogradation de Fawzi Meziane par son père, alors PDG de Sonatrach. Il revient sur les 652 800 euros virés par Funkwerk à Djaafer Al Smaïl et qui ont servi à l’achat d’un appartement à Paris au nom de la défunte Mme Meziane ; il explique qu’il s’agit d’un crédit remboursable dans les 90 jours qui suivent. Me Chiat laisse croire que la société Contel-Funkwerk a touché à des intérêts — en apportant des équipements très développés dans le domaine de la télésurveillance — détenus à l’époque par des sociétés de gardiennage. Il rappelle les propos publics de Chakib Khelil, réfutant toute «affaire Sonatrach», préférant parler d’«affaire de personnes» et que «Sonatrach allait constituer des avocats pour les défendre». L’avocat va plus loin en disant : «Y aura-t-il quelqu’un pour poursuivre ces corrompus comme Farid Bedjaoui qui a pris 12 millions de dollars ?» Me Chiat plaide l’aquittement pour ses mandants. Attef Deghmouche, l’autre avocat de Réda Meziane, lui succède et rend hommage aux magistrats, aux greffiers, aux traducteurs et à la presse. Le président réplique : «Je lis tout ce qui s’écrit avant l’audience.» Il va droit aux points de droit, rappelant que la journée d’hier a marqué l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale. Ce qui lui permet de parler de «quelques graves violations» de procédure qui ont entaché cette affaire. «Benthabet Dorbani a été entendu à deux reprises par la police judiciaire, alors qu’il n’y a pas trace de son procès-verbal d’audition. La directrice de l’audit de Sonatrach a été entendue trois fois par la police judiciaire, sans que sa déclaration fasse l’objet de procès-verbal», dit-il. Me Deghmouche revient sur l’acte de gestion qui diffère de l’acte ; rares sont les personnes qui peuvent discerner entre les deux. Pour lui, il n’y a aucun lien entre les contrats de Saipem et le fait que «Réda travaille chez elle pour la simple raison que ce dernier a été recruté en 2009 et les contrats ont été obtenus en 2008». Il affirme que l’absence d’expertise dans le dossier GK3 est «délibérée dans le but d’éviter de remettre en cause ce qui a été affirmé». Il révèle qu’il n’y a rien, dans le dossier, qui prouve que Réda Meziane ait pu influencer son père, le PDG, pour octroyer les marchés. Me Deghmouche se demande s’il y a une loi qui interdit la négociation sur les prix. Il met l’accent sur le poids du ministre, en sa qualité de président de l’assemblée générale, pour affirmer à la fin que ses instructions sont des ordres. «Pourquoi ne pas avoir cité le GK2 qui était trois fois plus cher ? Tout simplement parce que le ministre n’est pas intervenu», lance l’avocat. A propos du dossier de télésurveillance, Me Deghmouche déclare que les plus grands montants des projets ont été ceux de l’Aval et de TRC. «L’Aval a imposé des pénalités de retard jamais payées qui valent trois fois le montant du marché. Pourquoi ne les a-t-on pas inquiétés», s’interroge-t-il. Il se déclare convaincu que Mohamed Meziane n’a aucun lien avec Saipem ou avec Contel-Funkwerk, laissant cependant le droit au tribunal de se faire une idée sur la relation qui lie Al Smaïl à Réda Meziane, tout en lui demandant de tenter de comprendre pourquoi seulement trois dossiers impliquant les Meziane ont été cités. «Le DRS a orienté l’enquête» Il réclame l’aquittement pour son mandat, en cédant la barre à Kamel Boumahdi, avocat de Fawzi Meziane, qui reste convaincu que «cette affaire repose uniquement sur des supputations et non pas de preuves». Il revient sur le travail du DRS, dont les agents ont présenté les mis en cause à 3h du matin. «Ils étaient capables de tout. Nous le savons bien. Rares sont les dossiers qu’ils ont traités où des accusés nient les faits qui leur sont reprochés. Les déclarations sont en général orientées. Ils ont fait dire ce qu’ils voulaient aux suspects. Ourabah et Dorbani étaient associés et ont obtenu des dividendes sans pour autant être inquiétés  ou que leurs déclarations fassent l’objet d’un procès-verbal. Je dirais mieux : Benthabet Dorbani est le fils d’un colonel du service de la police judiciaire du DRS qui menait l’enquête sur Sonatrach. Le seul tort de Fawzi, c’est d’avoir reçu des dividendes de Contel. Ce qui lui a valu d’être poursuivi pour association de malfaiteurs et son père de chef de cette association.» Selon Me Boumahdi, Fawzi Meziane n’a pas de biens qui pourraient être considérés comme le fruit de la corruption. «A aucun moment les témoins ont affirmé l’avoir vu négocier. Peut-être que certains avaient planifié quelque chose à son insu», conclu Me Boumahdi, en demandant l’acquittement. Mohamed Al Hadi Brahimi, l’autre avocat de Fawzi Meziane, lui emboîte le pas, se basant sur des points de droit liés aux accusations et au fait qu’il ait obtenu 200 actions dans Contel avant de les vendre et d’obtenir des dividendes. «Il voulait créer l’activité de transport de carburant mais après quelque temps, le projet n’a pas marché et il s’est retiré. Est-ce qu’une loi l’interdit ? Quelle responsabilité peut-il avoir ? Il n’a pas la qualité d’agent public tel que stipulé par la loi, qui identifie ces derniers comme les cadres dirigeants. Or Fawzi n’était qu’un agent du service informatique de Sonatrach, comment peut-il influer sur la décision ? Comment peut-il passer des contrats  alors que Contel a un gestionnaire qui s’appelle Al Smaïl Djaafer ? Lui, tout comme Dorbani et Ourabah  n’étaient qu’actionnaires. Il a été obligé de vendre ses actions et de prendre 1,6 million de dinars qui lui ont valu d’être poursuivi et placé en détention depuis 6 ans. Plus grave : pour 1,6 million de dinars, on lui confisque une voiture de 4 millions de dinars et une villa de 60 millions de dinars. Est-ce normal ? Même s’il a volé cet argent, mérite-t-il tout ce qu’il endure ?»  

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