mercredi 4 mai 2016

Balise : Autorités-médias : une incessante confrontation

Déployé hier près de la Maison de la presse d’Alger, le dispositif policier était inutile : pas trace de manifestation commémorative du 3 mai, tout comme sur la place toute proche de la «Liberté de la presse». Il fut un temps où c’étaient de hauts lieux de protestation contre les atteintes à l’exercice de la profession. Cela renseigne sur le niveau dramatique de démobilisation du monde des médias. Les coups de boutoir des autorités politiques, allergiques à la critique journalistique et à la liberté de ton, en sont une cause ; l’autre réside dans le niveau de développement désastreux du secteur. La grande majorité des 150 quotidiens fonctionne comme de simples boutiques, loin des normes minimales de gestion moderne, ce qui entraîne un investissement minima ou quasi nul dans les moyens de production journalistique. La rédaction est la première sacrifiée, ce qui conduit à des effectifs extrêmement réduits, dont la première caractéristique est la misère et la précarité sociales. Ces journaux «vivotent» par l’injection de pages publicitaires délivrées par l’entreprise ANEP, contrôlée par les autorités politiques qui se sont rendues compte qu’elles pouvaient, par ce biais, peser sur les lignes éditoriales. Comme ces journaux ont appris à composer avec les pouvoirs publics afin de ne pas se voir couper les vivres, un grand nombre d’entre eux se sont mis à ressembler à El Moudjahid, c’est-à-dire à traduire exactement le discours officiel, ne s’embarrassant pas des méventes de leurs produits, les imprimeries d’Etat qui les tirent étant  peu regardantes. Seule une poignée de journaux, moins d’une dizaine, a entrepris de se hisser au niveau des normes modernes, parmi eux un «quarteron» — ainsi que l’a qualifié haineusement Ahmed Ouyahia — qui a adopté une ligne critique à l’égard des centres de décision politique. A côté persistent des journaux publics sous perfusion publicitaire, sans lectorat réel, coexistant avec un important appareil audiovisuel d’Etat, tous assurant la mission-clé de répercuter le discours officiel. Ces médias sont la composante essentielle de la communication du pouvoir politique qui a un but : le contrôle de la société et la défense du système en place. Au niveau de l’expression, le verrouillage est absolu, les tentatives d’en sortir vite réprimées : la communication publique ne rime pas avec la critique, une tradition installée depuis l’indépendance du pays mais pas d’une manière linéaire. Il y eut des hommes des médias qui ont osé s’opposer à l’ordre autoritaire, des journalistes et des directeurs de presse, citons parmi eux La République au début des années 1970 avec son équipe et le regretté Bachir Rezzoug, une période d’El Moudjahid avec Aziz Morsli, un temps d’Algérie Actualité avec Zouaoui Benamadi et sa rédaction. La télé publique ne fut pas en reste, elle mit à profit le «printemps démocratique» pour émerger, conduite par Abdou Benziane et un groupe de journalistes talentueux. Même le ministère de la Communication releva la tête avec l’excellent Aziz Rehabi avant de sombrer dans la décrépitude avec Hamid Grine, soldat sans épaisseur et dangereux va-t-en guerre. L’Etat finit toujours par se ressaisir, fermer les parenthèses et imposer ses gardiens du temple. Les journaux de statut privé n’y échappent pas, tout comme les nouvelles télés, qualifiées d’informelles car émettant de l’étranger. Contraintes de s’adapter et surtout de survivre financièrement, celles-ci se sont tournées soit vers des segments du pouvoir politique, soit vers des hommes d’affaires. Comme la presse écrite née au début des années 1990, l’audiovisuel privé, même semi-illégal, s’est imposé sur la scène publique. Il est impossible pour le pouvoir politique de remettre en cause ces deux acquis, certes pleins d’insuffisances mais d’essence démocratique. Ils font partie de la société, ce que les autorités politiques ont quelque peu compris. Elles se gardent de ne pas remettre en cause le principe de la pluralité de la presse pour le convoquer régulièrement lorsqu’il s’agit de se confectionner un habit démocratique, notamment vis-à-vis de l’extérieur. Mais cela ne les a pas empêchées régulièrement de sévir contre les médias et les journalistes usant d’un ton libre et critique, y compris en pleine période du terrorisme durant laquelle, malgré ses sacrifices et son engagement pour la défense de la République, la corporation journalistique se vit imposer l’imprimatur, les medias récalcitrants soumis à suspension et au harcèlement judiciaire et des journalistes livrés à l’emprisonnement. Cédant quelques peu aux luttes des journalistes et aux critiques internationales, les autorités finirent par abandonner un tant soit peu cette stratégie d’affrontement direct pour privilégier l’arme économique, notamment le mécanisme de distribution de la publicité publique. Quelques journaux, à l’image d’El Watan et d’El Khabar, en furent carrément exclus. Le ministre actuel de la Communication «innova» en sommant les annonceurs privés, nationaux et étrangers, avec lesquels les pouvoirs publics entretiennent d’étroites relations (Djezzy, Ooredoo) de tourner le dos à ces journaux, en y ajoutant le quotidien Liberté appartenant au grand investisseur Issad Rebrab, cible des autorités sur tous les fronts, cette fois en tentant de bloquer le rachat par l’une de ses filiales du quotidien El Khabar, excellent quotidien arabophone. Celui-ci a été contraint de se redéployer financièrement ne pouvant plus faire face aux blocages de la publicité imposé par Hamid Grine qui vise, dans la lancée, à atteindre El Watan, le partenaire stratégique d’El Khabar. D’une pierre deux coups, faire disparaître deux voix majeures de l’expression journalistique critique. En ce 3 mai 2016, jour de la liberté de la presse, c’est le sale boulot de ce ministre, porte-voix et sombre exécutant d’un pouvoir politique oppresseur en fin de règne, englué dans ses contradictions et s’enfonçant inexorablement dans une désastreuse impasse économique et sociale.

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