jeudi 4 janvier 2018

Béjaïa : Merzoug Touati reprend sa grève de la faim

Le blogueur Merzoug Touati est une nouvelle fois, depuis samedi soir dernier, en grève de la faim au fond de sa cellule dans la maison d’arrêt de Oued Ghir, à 10 kilomètres de la sortie sud de la ville de Béjaïa, où il croupit depuis presque une année sans être jugé. Merzoug Touati reprend ainsi une action qu’il avait interrompue fin octobre dernier après 41 jours de grève de la faim, suite à laquelle l’instance judiciaire a promis de programmer son procès. «Il sent qu’on est en train de lui mentir. Il m’a affirmé que cette fois-ci il n’arrêtera pas la grève jusqu’à ce qu’ils le rétablissent dans ses droits», a rapporté, hier à El Watan, la mère du détenu. Dans deux semaines, il bouclera une année de «détention provisoire». C’est la quatrième fois qu’il est poussé vers cet ultime recours, après deux premières grèves de 12 et 7 jours pour réclamer de la justice algérienne de respecter ses droits et de programmer un procès équitable. Par cette action, il dénonce le maintien de sa détention «arbitraire», en violation de l’article 123 du code de procédure pénale, qui stipule que «l’accusé reste libre pendant la procédure d’instruction». Merzoug Touati a été arrêté, en milieu de journée le 18 janvier, alors qu’il emmenait son petit frère chez un médecin. Les deux frères ont été interceptés dans la rue par des policiers qui les ont conduits au commissariat. «Vers 17h, trois policiers sont arrivés chez moi pour perquisitionner, détenant avec eux mon fils aîné. Ils ont libéré mon petit fils qui a subi un choc, c’est lui qui a couru pour m’avertir de l’arrivée de la police. Depuis ce jour-là, ça ne va pas», témoigne encore Mme Touati. Selon elle, son jeune fils, âgé de 9 ans, garde toujours les séquelles de la scène de son interpellation en compagnie de son grand frère. «Son médecin a remarqué qu’il éclate en sanglots à la moindre discussion avec lui», ajoute sa mère. Affecté, le pauvre enfant, scolarisé dans une école primaire, est aujourd’hui pris en charge par une psychologue à l’unité de dépistage scolaire dépendant du lycée Chouhada Annani, dans la ville de Béjaïa. «Pourquoi n’y a-t-il pas de suite à la plainte déposée depuis octobre dernier contre le journal Ennahar ? J’ai dû pourtant payer six millions de centimes de frais de justice, j’ai le bon», s’interroge, perdue, la mère du blogueur. Les avocats de Merzoug Touati ont déposé une plainte, le 25 octobre dernier, contre le groupe Ennahar, accusé de divulguer un secret d’instruction et de diffamation pour avoir écrit, entre autres, que le blogueur est un juif et s’être attaqué aussi à sa famille et à l’un de ses avocats. Le procès n’est toujours pas programmé. Le blogueur est passé devant le juge d’instruction pour la confirmation du dépôt de plainte contre Ennahar. «Des deux affaires, il n’y a aucune suite», se désole la mère Touati qui tente de s’informer continuellement auprès du parquet. «S’il y a du nouveau, vous le saurez», lui répond-on. A la prison de Oued Ghir, Merzoug Touati est dans l’ignorance concernant son affaire. Désespéré, il demande du soutien. «Il veut la solidarité des gens, d’ici et de l’étranger, pour le faire sortir de cette misère», indique sa mère qui lui rend régulièrement visite. Elle avait demandé vainement au tribunal de lui changer sa journée de visite pour pouvoir s’occuper aussi de son jeune enfant scolarisé. «Qu’a fait mon fils ? Il n’est pas voleur, il n’est pas traître, c’est un diplômé de l’université…», s’interroge-t-elle. Merzoug Touati est accusé d’«intelligence avec l’ennemi» pour avoir publié sur son blog une interview avec un Israélien qui avait témoigné, entre autres affirmations, de l’existence, dans les années 2000, d’un bureau de liaison israélien à Alger. Depuis son arrestation, ses avocats réclament la convocation de deux témoins dont les propos écrits sur Facebook sont pris dans le dossier de l’instruction. L’un des deux témoins est un internaute, «ami virtuel» qui s’est présenté comme «un juif de Tlemcen». Pour les avocats de la défense, ce n’est là qu’un «personnage imaginaire». Les demandes de la défense pour convoquer les témoins sont refusées par le juge d’instruction par des ordonnances que confirme la chambre d’accusation, tout comme pour les demandes répétées de liberté provisoire qui subissent le même sort. Contacté en octobre dernier, Me Dabouz Salah s’était dit convaincu que son client est victime d’un «complot». «S’il y a intelligence avec l’ennemi, pourquoi alors n’y a-t-il pas de rapport des services des renseignements ?» s’est-il demandé. Merzoug Touati entame une nouvelle grève de la faim pour revendiquer aussi la convocation des deux témoins. Lors de sa dernière action du genre, ses avocats, Mes Dabouz et Hemaïli, ont décrit, à El Watan, un détenu déterminé au point de risquer sa vie. «Par deux fois, on l’avait mis sous perfusion. On avait de la peine à trouver une veine», avait affirmé Me Dabouz qui avait dénoncé «une torture morale» du détenu. A la mi-octobre dernier, la chambre d’accusation a renvoyé le dossier devant le tribunal criminel, «sans prendre en considération les arguments avancés à la décharge de l’accusé», a précisé hier Me Dabouz qui a introduit, à la demande de son client, un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Selon lui, le dossier destiné au tribunal criminel «ne laisse aucune chance à l’accusé de s’en sortir», en lui faisant encourir un minimum de 20 ans de réclusion. «Ce sont les mêmes risques que pour Kamel Eddine Fekhar», indique l’avocat. La requête déposée par la défense souligne des vices de forme et de fond et demande en conséquence, et entre autres, que soit écarté le PV d’audition de la première comparution, qui a eu lieu en l’absence de l’avocat de la défense. La réponse de la Cour suprême risquant de prendre deux ans pour arriver, Me Dabouz a saisi parallèlement le Groupe de travail sur la détention arbitraire, organisme mandaté par l’ONU, sur le cas de la détention de Merzoug Touati. La saisie du même organisme a porté ses fruits dans le cas de Fekhar, dont le procès a eu lieu après deux ans de détention provisoire. Ayant écopé de deux ans de prison ferme, Kamel Eddine Fekhar, qui avait bénéficié d’un large mouvement de soutien, a été libéré en juillet dernier. Il a échappé à une peine plus lourde, la même qui pèse aujourd’hui sur Merzoug Touati.  

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