jeudi 6 août 2015

L’avenir flou de la faculté centrale d’Alger

La fac centrale accueillera dès la prochaine rentrée universitaire ses premiers étudiants inscrits dans la nouvelle faculté de sciences. En ce 20 juillet, le va-et-vient de dizaines de nouveaux bacheliers venus confirmer leur préinscription anime les lieux. «J’ai obtenu une moyenne de 10,5/ 20 au baccalauréat et je voudrais  faire des études de biologie.
J’ai entendu dire qu’un département sera installé dans la nouvelle faculté des sciences et j’aimerais beaucoup faire mon cursus ici, près de chez moi», espère Affaf, jeune bachelière pleine de vie. Comme annoncé début mars dernier, par son recteur de l’époque et actuel ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Tahar Hadjar, la nouvelle faculté des sciences devrait ouvrir ses portes dès septembre prochain. Il s’agissait alors de couper court aux rumeurs faisant état de velléités de détournement de ce haut lieu scientifique et historique de sa vocation. Ainsi, la fac des sciences (FS) était destinée à accueillir près de 5000 étudiants dans cinq départements, à savoir : mathématiques, physique, chimie, biologie et architecture.

Mais d’après une source proche du rectorat, les ambitions de l’ancien recteur ont été revues à la baisse. Finalement, elle ne comptera que quatre départements : sciences de la nature et de la vie, sciences de la matière, maths et architecture, accueillant chacun 200 étudiants. Donc ils ne seront pas plus de 800 apprenants en tout, en graduation. C’est bien loin des 5000 étudiants annoncés par Tahar Hadjar.

Un manoir abandonné

«La fac centrale ne satisfait pas à toutes les conditions pour dispenser un enseignement en graduation. C’est une vieillerie qui a atteint dans certaines de ses parties un état de délabrement très important», soutient un chercheur qui a requis l’anonymat. Figurant parmi les 500 signataires et membres du collectif Jamîat Jazaïr pour la sauvegarde du patrimoine scientifique de l’université d’Alger, il assure que sa requête est due à une décision collective pour «éviter le détournement du collectif» et «d’éventuelles pressions de l’administration». «Une faculté des sciences nécessite des moyens importants.

Entre autres, un nombre suffisants de salles de travaux pratiques. Or, il n’y a même pas assez d’amphithéâtres pour accueillir ces centaines d’étudiants. Où vont-ils faire leurs TP ? Ça n’a pas de sens», s’interroge-t-il. Première université du pays, construite en 1909, la fac centrale a vieilli.

Ce lieu empreint d’histoire et d’histoires, celles des premiers diplômés algériens et des militants instruits de l’indépendance, ressemble aujourd’hui, dans certaines parties, à un manoir abandonné. Murs décrépis, rongés par l’usure, bois rompus, éclatés par les aléas du temps qui passe, jardins botaniques où poussent les reliques de mobilier cassé et les restes de déchets non dégradables, les lieux font peine à voir. Car, malgré tout, sous ce désordre, la splendeur des beaux jours saute aux yeux. Des plantes rares tentent parfois de survivre dans ce capharnaüm. Pourtant, depuis des années, ce lieu est objet de convoitises.

Convoité mais abandonné

Repère central de la capitale, les 5 hectares de la fac aiguisent les appétits, particulièrement depuis une dizaine d’années, lorsque des opérations de déménagement ont touché plusieurs départements vers de nouveaux sièges, comme les langues à Bouzaréah ou la médecine vers la nouvelle faculté de Ben Aknoun. «Il y avait une forte rumeur faisant état de la volonté d’un des ministères de l’Intérieur ou de la Défense de récupérer le site.

Car en plus de sa position stratégique, la fac centrale posséderait un important réseau souterrain conduisant vers plusieurs institutions officielles et stratégiques», confie notre source. Malgré ces convoitises, la fac centrale tombe en ruine.
Au plus fort des rumeurs, en mars 2015, des indiscrétions faisaient état de la consécration d’un budget de 50 millions de dinars pour redonner vie au site. «Ils ont construit une clôture métallique sur certaines parties des espaces, engagé des travaux sur les toitures en tuiles et refait un bloc pour accueillir les bureaux de l’administration.

Regardez de quelle manière c’est refait, on dirait un hôpital. L’entreprise qui réalise les travaux n’a pas respecté l’identité des lieux», s’offusque notre guide devant une porte en plexiglas et un faux-plafond banal. «Les bâtiments sont dans un état alarmant. C’est notamment le cas de ceux qui ont été complètement abandonnés parce que les conditions de travail n’étaient plus réunies. Les sites où des équipes ont continué à travailler, parfois avec des moyens dérisoires, sont dans un état relativement acceptable.

C’est le cas d’une partie des collections de paléontologie et de celles de botanique qui ont continué à être enrichies et ont servi à des travaux de recherche. Le musée d’anatomie, qui a bénéficié de moyens grâce à la volonté de l’équipe du professeur Hamoudi, a été ressuscité. Les bibliothèques sont très riches, mais les livres sont parfois endommagés, car depuis 40 ans dans ces lieux, il n’y eu a aucune mesure de conservation. Tout est offert à l’humidité, à la poussière, aux insectes, etc. Il y a urgence de sauver ce patrimoine», écrit le collectif Djamîat Jazaïr.

Pour un pôle muséal

D’une seul voix, ses membres déclarent qu’il est «urgent de parer à l’absence d’inventaire car des travaux vont commencer, des objets risquent d’être déplacés, de nouveaux dégâts sont à craindre». Face à la mobilisation de centaines de personnes, la majorité étant des enseignants chercheurs, le 3 juillet, le ministère de la Culture, en accord avec celui de l’Enseignement supérieur classe la fac centrale comme monument historique sous l’égide du Premier ministre.

Ainsi, «le lieu bénéficiera d’un suivi permanent des services spécialisés du ministère de la Culture dans la restauration, la réfection et le suivi», assure-t-on. Tahar Hadjar annonce également l’installation sur le site de la nouvelle académie des sciences. Le collectif applaudit la décision qui «mettra le site à l’abri d’une destinée autre que scientifique». «Nous insistons sur la création d’un pôle muséal, avec un muséum d’histoire naturelle et des formations post-doctorales de haut niveau ouvertes à toutes les disciplines de cette science.

Aujourd’hui, près de 500 signataires appellent de tous leurs vœux à la concrétisation de ce classement et la réalisation d’un projet déjà formulé : un pôle muséal où une recherche de haut niveau est doublée d’une ouverture au public pour découvrir les richesses naturelles de l’Algérie à travers expositions, conférences et autres méthodes didactiques modernes destinées à faire connaître au public les questions de biodiversité et  de géodiversité», écrivent-ils encore. Convaincue que cette université «ne répond plus aux lourds effectifs de graduation», Jamîat Jazaïr y voit plutôt l’établissement d’un enseignement de haut niveau accueillant des doctorants et des chercheurs «sur des thèmes qui restent à définir».

Manque de transparence

Mais en attendant une réponse à cette requête, l’administration de la fac centrale est loin de jouer la transparence. «On ne sait pas ce qu’ils mijotent. Depuis le classement de la faculté, le nouveau recteur met la pression sur les responsables des laboratoires pour céder les espaces. Il essaye de récupérer chaque mètre carré.

Pourquoi ? Dans quel but ? Mystère», s’interroge un responsable du laboratoire scientifique. Selon ce dernier, une rallonge budgétaire de 170 millions de dinars a été concédée à l’établissement pour sa réfection, «mais l’inventaire n’a pas été fait. Et on ignore sur quelle base ils vont choisir les entreprises de réalisation. J’espère que cet argent ne partira pas comme les 50 millions dans du bricolage», se plaint-il.

Nos interlocuteurs regrettent tous d’être écartés des centres de décision et de ne pas avoir accès à la moindre information concernant le devenir réel de cette institution. «On est là depuis des décennies. On est les mieux placés pour savoir ce qu’il y a et ce qu’il est possible de faire. Mais personne ne daigne prendre en compte nos avis», regrette le chercheur. Pour avoir la version des responsables de la fac centrale, nous avons tenté depuis des semaines, de prendre attache avec le recteur de l’université d’Alger. Un rendez-vous a même été fixé. Mais à l’heure dite, le recteur était sorti…
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire