samedi 1 août 2015

«L’instrumentalisation politique peut provoquer des tensions

L’introduction dès 2016 de la licence d’importation est-elle une mesure judicieuse pour réguler le commerce extérieur et réduire la facture des importations ?

Expliquons qu’une licence d’importation fait partie des outils de contrôle a priori du commerce extérieur et qui consiste à soumettre toute opération d’importation de produits autres que ceux libérés, à une autorisation préalablement à la confirmation de la commande.

Ce processus est généralement sous la responsabilité d’une commission interministérielle chargée, entre autres, d’émettre un avis sur le niveau de la production locale estimée pour l’année en cours, les besoins des consommateurs, les contingents susceptibles d’être accordés et la répartition des quotas entre les opérateurs.

Comme toute décision politico-économique, celle-ci comporte du bon et du mauvais. Du bon dans la mesure où, effectivement, il y a besoin de réguler le commerce extérieur algérien, d’autant que pour le seul premier semestre 2015, les réserves de change ont été amputées de 20 milliards de dollars pour combler le déficit de la balance commerciale, ce qui est énorme.

Aussi, il y aurait du bon dans la suite de la logique imprimée par le gouvernement pour encourager la préférence nationale en matière de production et de consommation tout comme cette mesure peut être judicieuse si elle est expurgée d’arrière-pensées politiques ou immunisée d’une quelconque pression.

D’un autre point de vue, ce processus, s’il vient à manquer de rigueur et de contrôle, peut s’avérer exclusif et encourager des positions monopolistiques.

Aussi, l’abus d’un tel procédé peut affecter négativement l’esprit de compétition et de concurrence dans lequel ont été immergées les entreprises algériennes de part leur confrontation aux produits étrangers ; l’esprit de confort et des positions acquises, pouvant s’installer parmi les opérateurs économiques qui se sentiraient immunisés de la concurrence étrangère.

Quelles seraient les conséquences de son application sur le marché local ? Peut-on s’attendre à des situations de pénurie ou à l’amplification de la corruption, phénomène déjà endémique ?

En plus de ce qui est dit précédemment, les conséquences seraient nombreuses : il y aura une incidence sur la balance commerciale surtout si les contingents sont appliqués sur des catégories de produits largement sollicités et dont la facture est élevée, tels que l’automobile, les matériaux de construction, les équipements industriels, etc.

Il y a deux risques liés à une telle démarche : celui de la pénurie si les besoins effectifs en consommation ne sont pas mesurés (ceci peut se produire notamment en l’absence d’un système national de prospective, d’informations et de statistiques fiables) et si les positions monopolistiques sont renforcées pour des opérateurs privilégiés qui agiraient sur la distribution pour provoquer pénuries artificielles et faire jouer en leur faveur la variable des prix.

Ce risque sera aggravé si les capacités de production nationale ne seraient pas suffisantes pour pallier les besoins non couverts par l’importation ; ce qui semble le cas pour les besoins en articles scolaires, par exemple, qui sont couverts en grande proportion par les importations de Chine et si un contingent est appliqué, la rentrée scolaire prochaine sera compliquée d’autant que l’outil de production nationale en la matière est insignifiant.

Le second risque est lié à la capacité des institutions à se prémunir des pressions des lobbys et de la corruption. L’instrumentalisation politique d’un tel dispositif peut provoquer des tensions à tous les niveaux, notamment chez les opérateurs qui se sentiraient marginalisés.

Pensez-vous que le plafonnement du marché des véhicules, un des secteurs qui sera soumis à licences d’importation, à 400 000 unités/an, pourrait produire les effets escomptés par le gouvernement, à savoir l’assainissement de la filière automobile ?

Il faut, je pense, analyser les capacités d’absorption de notre économie en matière d’automobiles pour comprendre la pertinence d’une telle décision.

Combien de nouveaux véhicules notre réseau routier est-il en mesure d’accueillir annuellement ? Quel est le taux de renouvellement du parc automobile national ? A-t-on préparé de nouvelles alternatives au transport des personnes et des marchandises avant de plafonner les importations ? Les concessionnaires auquels l’Etat a exigé, en 2012, des investissements productifs en montage de véhicules ont-ils réalisé ces investissements ? C’est à la lumière des réponses apportées que l’on pourrait mesurer la pertinence d’une telle mesure.

Parce que pour l’heure, nul n’est en mesure de nous dire si l’intention du gouvernement est politique, financière, sociale ou écologique !

A-t-on aussi mesuré l’impact d’une telle décision sur le marché de l’emploi ? Il est important de savoir en quoi ce plafonnement affecterait la création d’emplois et d’entreprises et les besoins en équipement automobiles des activités productives. L’assainissement revient à revoir la réorganisation, le fonctionnement, le positionnement et l’encadrement du marché de l’automobile.

Les récentes révélations du ministre du Commerce sur quelques pratiques commerciales des concessionnaires automobiles sont une preuve que l’assainissement ne passe pas seulement par les contingents mais bien par une refonte profonde.
 

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