vendredi 3 juin 2016

FLN : A quelle sauce sera mangé Amar Saadani ?

Déchaîné puis recadré, soutenu puis lâché, Amar Saadani, patron du FLN, semble sur une pente raide. Mais il glissera plus lentement qu’on le croit. Explications. «Rebbi yeghferlli ! Que Dieu me pardonne !» Le sénateur du tiers présidentiel lève les mains au ciel. «A chaque fois que je fais la prière, je demande à Dieu de me pardonner d’avoir contribué à livrer le FLN, notre parti, à Saadani.» «On n’avait pas le choix, à un moment, tu sens le vent tourner, c’est jamais clair, des insinuations, des messages dans la presse ou les sites infos, et puis, boom, ça nous éclate en plein visage : un tel a été désigné par El Mouradia et toi tu suis, au moins en apparence. Mais là, les signaux sont brouillées, pas clair. On ne sait plus où on en est», débite rapidement Akli, la trentaine, membre actif d’une kasma du FLN à l’ouest d’Alger. Entre le sénateur pieux et le jeune loup, un souci en partage : le désarroi face à la posture d’un Amar Saadani, qui a résisté aux assauts de ses pires ennemis au parti et d’ailleurs, mais qui semble subir une discrète opération de bashing ciblé, sinon de lâchage ostensible parfois de la part de ses principaux sponsors : le cercle présidentiel. Que s’est-il passé pour que le bras séculier du clan de Zéralda soit quasi ostracisé par ceux qui ont fait de lui le patron du FLN, le porte-flingue contre l’ex-DRS et le pourfendeur de tous ceux qui osent franchir hors du cercle de feu tracé par les Bouteflika ? «Saadani a commis trois erreurs fatales, explique un ponte du régime qui l’avait pourtant appuyé durant les trois dernières années, même lors du passage en force, en ce août 2013 à l’hôtel El Aurassi, pour le placer patron du FLN. Il s’est trop maqué avec les gens de la chkara, or c’était un argument qu’il avait servi pour destituer Belkhadem à l’époque. Deuxièmement, il a oublié que lorsqu’on n’a plus besoin de lui après l’épisode “tous contre Mediène’’, il fallait qu’il se calme et non en rajouter des couches. Troisièmement, une partie du régime le soupçonne de préparer à son propre compte l’après-Bouteflika, ce qui est presque de l’ordre du haram aux yeux du ‘‘patron’’». Casting Le «patron» ? Bouteflika, ou ses proches et appuis, qui ne supportent pas que les calculs, même astrologiques, concernant la succession, sortent de leur strict contrôle. «En fait, Saadani a oublié qu’il est là pour obéir, pas pour décider ou planifier quoi que ce soit», renchérit le sénateur qui s’auto-flagelle pour expier le péché Saadani. «Il est allé trop loin, commentait déjà sur nos colonnes un ex-supporter du patron du FLN, habitué d’El Mouradia. Avec son opposition surprenante à l’article 51, ses paroles indignes d’un chef de parti majoritaire contre Ouyahia en lui promettant qu’il va ‘‘s’occuper de lui’’ après le vote de la Constitution, ses ambitions présidentiables qu’il ne cache plus en cercle restreint avec ses amis de la ‘‘chkara’’ du parti, ses attaques contre des cadres de l’Etat et des ministres comme s’il était Président du pays, etc.» On pourrait également ajouter les attaques contre le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, Tahar Khaoua, ciblé par des députés pro-Saadani qui ont même imaginé lui interdire l’accès au Palais Zighout Youcef. On pourrait aussi se rappeler les dangereuses et scandaleuses déclarations à l’encontre d’El Watan et de notre collègue Salima Tlemçani… «Il est en train de repasser un casting à distance, ironise sans sourire un cadre du parti. Il veut plaire à Zéralda, alors qu’ils ont commencé, la haut, à se désolidariser avec lui, à lui montrer des signes de lâchage.» Des signaux ? Belkhadem qu’on fait de temps à autre sortir du chapeau, comme lorsqu’il est chargé de transmettre au nom du président Bouteflika, en mars dernier, les condoléances à Khaoua qui venait de perdre sa mère ; les soutiens officiels de plus en plus insistants au rival de toujours, Ahmed Ouyahia ; le nombre de sénateurs ou d’élus qui rejoignent ostensiblement l’opposition interne au FLN ; et discrètement, les petits ennuis que commencent à avoir les appuis financiers de Saadani à l’Est… Pourquoi ce désamour ? «Parce qu’il n’est tout simplement pas dans l’agenda, lui et bien d’autres, nous répond-on. C’est comme ça, c’est une bourse des valeurs où les actions des uns et des autres montent et descendent tout le temps.» «C’est ce qu’on ressent ‘‘en bas’’, appuie le jeune Akli. La base semble figée, les gens ne veulent pas trop parler dans nos réunions locales. Ils veulent être sûrs du sens du vent avant de s’afficher avec l’un ou l’autre. Et plus l’agonie de Saadani va durer, plus ce sera le désarroi à tous les niveaux organiques du FLN. Les gens veulent savoir qui viendra après, qui partira avec Saadani, quels seront les dégâts collatéraux, qui devra se retirer des listes imposées par le SG…» Amin, militant depuis 2009 dans les rangs du parti, continue à assister aux rencontres organisées par son APC FLN à l’est de la capitale. Il garde la tête froide face à ce qui se mijote en haut lieu et tente de calculer les délais de la chute. «Ce n’est certainement pas le moment pour abattre Saadani, assure-t-il. D’abord les élections sont déjà là, on ne peut chambouler le parti de la base à la tête dans ces circonstances. Car il faut convaincre la base de ce changement, redessiner les appareils locaux, faire face aux règlements de comptes entre les parachutés de Saadani et ceux qui se prétendaient lésés… Tout un chantier.» «Avant qu’il ne soit trop tard, il faut que les parrains du FLN, en haut, donnent un signal fort et clair sur leurs intentions, précise Amin. Saadani a placé des gens partout qui eux-même ont fait pareil. Pour le moment, tout ce beau monde se convainc qu’il est dans le camps du puissant. Si le flou persiste quant au sort de Saadani, la situation ne bougera pas, ses relais prendront racine de plus en plus, et il sera encore plus difficile de le dégommer lui, et ses troupes». «Maison de l’obéissance» «C’est-à-dire en clair, nous attendons ce qu’ils vont décider, eux, les gens de là-haut, afin qu’on décide ce que nous allons faire de nous-mêmes. Puisqu’il ne s’agit pas d’une crise interne. D’ailleurs on ne peut même pas avoir le luxe d’avoir des crises internes. Le parti s’est vidé, y a que des petits inérêts et la ‘‘chkara’’ a tout détruit», résume Akli. Déjà, quand Ali Benflis s’est fait saquer de la tête FLN en 2004, le défunt Abdelhamid Mehri observait que «la crise du FLN, en dépit de nombreuses apparences, n’est pas due à des divergences internes au parti. Elle est la conséquence de pratiques extérieures dictées par des cercles qui refusent un véritable multipartisme et les changements qu’il implique dans le rapport du FLN au pouvoir. Les tentatives de faire ramener le FLN à la “maison de l’obéissance’’ n’ont pas cessé depuis le passage formel au pluralisme partisan». Cela n’a pas trop changé, même le pouvoir n’a pas besoin de faire des efforts à imaginer des putschs internes ou des coups «scientifiques» pour mâter le vieux parti. L’allégeance au cercle opaque décideur et l’argent brutal ont totalement réduit les capacités politiques d’un parti qui a donné des Mehri et Bouhara. «Peu à peu, le FLN deviendra un enjeu périphérique, les puissances de l’argent et les lobby étrangers pèseront plus qu’autre chose sur l’avenir», indique un proche de Saadani. «Il est faux de croire que des segments du pouvoir, notamment dans l’armée, soutiennent Saadani ou un autre -ouvertement ou non- car tout ce beau monde sait que rien ne se décide unilatéralement ni complètement en collégialité traditionnelle. Il faut être très malin pour faire avec ces deux logiques qui se chevauchent. Bouteflika a toujours veillé au maintien des deux mécanismes tout en tirant son épingle du jeu quand il le pouvait, observe un ancien ‘‘camarade’’ du chef de l’Etat. La succession est un problème, oui pour un Benflis ou les analystes des ambassades et les chercheurs des think-tanks, mais c’est un processus de liquidation des rivaux actuels et de préparation de l’avenir pour le cercle du président, ses appuis, ses réseaux bâtis depuis plus de quinze ans. Pour le président lui-même, qui, en plus, se porte de plus en plus mal. Personne n’est avec personne, chacun a sa propre vision de l’intérêt suprême de l’Etat, mais selon ses propres ambitions. Et ce n’est pas un discours incendiaire de Saadani qui peut intégrer ce genre de nuances, ni un autre produit politique sur le marché actuel.»  

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