vendredi 24 juin 2016

«Je suis prête à entrer en action»

Nadia Matoub. Le retour. Elle avertit contre le classement de la villa du chanteur. Elle dépose plainte contre Hassan Hattab. Elle promet de retourner à Taourith Moussa où elle était interdite depuis l’assassinat de son mari. - Depuis l’assassinat de Matoub Lounès, vos déclarations publiques se sont faites rares. Vous vous êtes retirée et aujourd’hui, nous avons l’impression que vous revenez pour remettre un peu d’ordre... Depuis 1998, je ne me suis pas totalement retirée. Mais peu de temps après, je me suis rendu compte que même si je parlais, personne ne m’écouterait. C’était un constat. Il y a eu une campagne de dénigrement contre moi. En 2008, avec mon retour au pays, après cinq ans d’absence, je suis allée m’enquérir du dossier d’assassinat et de tentative d’assassinat. C’est là que j’ai vu que l’instruction s’était dirigée envers ceux qui étaient déjà en prison. Et c’est à cette époque que j’ai fait les démarches avec l’avocat Me Salah Hanoun, pour porter plainte conte X. C’est une façon d’ouvrir un autre dossier. Mon souhait était de reprendre toute l’instruction depuis le début. Mais ma plainte a été rejetée, car pour la justice, il s’agissait encore du même dossier. Je ne pouvais donc rien faire. Puis en 2011, il y a eu le procès. Mais ce que les gens ont tendance à oublier, c’est que je suis victime avec mes sœurs de cet attentant qui a visé Lounès. Ce n’était pas facile de se reconstruire et de savoir ce que je devais faire ou pas. Je ne me suis pas éloignée de la scène publique. De plus, les circonstances ont fait qu’on ne m’a pas trop laissé le choix. Je n’avais que 22 ans au moment des faits. Et ce n’était pas facile de remonter la pente. J’ai gardé un œil sur ce qui se passait autour de toute cette affaire. Il y a eu beaucoup de dérapages autour de la mémoire de mon défunt mari. Entre 2011 et 2016, c’était un moment de reconstruction. 18 ans, ce n’est pas aussi loin, même si je mesure le temps passé. Ma sortie actuelle est surtout motivée d’abord par la tentative de classement de notre maison à Taourirth Moussa, à Tizi Ouzou, comme patrimoine culturel local. Je me suis dit, si je n’ai pas su me défendre moi-même, il y a tout de même des choses qui ne doivent pas se passer. - Vous faites donc opposition au classement de la villa de Taourirth Moussa comme patrimoine national ? Je ne pouvais pas me taire. Notre maison comme patrimoine de l’Etat, non. Ce n’est pas normal. Ce qui n’est anormal, c’est que la direction de la culture de Tizi Ouzou décide de ce projet sans mon avis préalable, alors que je suis ayant droit. C’est incroyable. En avril dernier, j’ai déposé mon opposition auprès du wali et de ladite direction. Ce qui est bizarre dans cette histoire, c’est que lorsque j’ai été voir la directrice de la culture, en demandant un document officiel pour ce projet, je ne l’ai jamais eu, même si verbalement la directrice me l’a confirmé. Pour le moment, je n’ai toujours pas eu de réponse de suspension ou de suite à donner à ce dossier. Pour moi, en ma qualité d’ayant droit, tant que je n’ai rien signé, l’affaire est en suspens. - Qu’en est-il du patrimoine artistique et matériel de Matoub Lounès, d’autant que vous n’avez de relation ni avec la Fondation ni avec sa famille ? Tout ce qui concerne les droits d’auteur et autres héritages est soumis au principe de frédha. C’est très compliqué. Et là c’est un autre débat, mais je tiens seulement à préciser que j’ai été lésée dans mes droits. Entre notaires, éditeurs et l’Onda, des sommes faramineuses ont été déboursées, sans que je sache la destination des fonds. - Vous avez déposé plainte le 2 juin devant un tribunal d’Alger pour «assassinat et tentative d’assassinat» contre Hassan Hattab. Quel est le but de cette démarche, 18 ans, après l’assassinat de Matoub Lounès ? La démarche vise à essayer d’ouvrir une nouvelle instruction. Pour moi, la vérité n’a pas été faite. C’est un élément exploitable juridiquement. Hassan Hattab est quelqu’un qui a revendiqué l’attentat, mais n’a jamais été inquiété. Il se trouve actuellement sous la surveillance des autorités à Alger. - Pensez-vous que la justice algérienne accepterait d’ouvrir le procès du chanteur en convoquant Hassan Hattab qui a bénéficié d’une amnistie judiciaire en vertu de la loi sur la charte et la réconciliation nationale ? J’ai pensé que selon l’article 02 de la charte de la réconciliation nationale, ceux qui avaient du sang sur les mains n’en bénéficieraient pas. Et s’ils bénéficient de cette réconciliation, c’est très grave. Il faut reprendre les éléments dès le début. C’est pour cela que je vous dis que je veux une nouvelle instruction. C’est une façon de dire que nous n’avons pas oublié, et la vérité sur l’assassinat de Matoub Lounès ne sera pas enterrée. Le procès a traîné depuis des années. Nous pouvons faire plusieurs lectures par rapport à cela. Mais surtout je tiens à affirmer que je serai là pour relancer. Si cela n’aboutit pas, j’envisagerais d’autres pistes et si cela n’aboutit pas encore, cela traduit forcément un problème ou un blocage. Je ne sais pas qui est Hattab, il a seulement revendiqué l’attentat, et aujourd’hui, je porte plainte contre lui. Et j’ai délégué mon avocat Samir Sidi Saïd pour cette affaire. - Le procès sur l’assassinat de Matoub s’est tenu en 2011, mais celui-ci a été boycotté par sa famille ainsi que par vous-même. Un commentaire ? J’ai déclaré effectivement que j’étais vraiment déçue. En 2008-2009, j’étais auditionnée par le juge d’instruction chargé de cette affaire, qui nous avait promis de tout reprendre. Je pense qu’il y a des volontés individuelles qui veulent bien faire. J’ai bien compris cela plus tard. Mais il existe des ordres supérieurs, puisque quelque temps après on annonce un procès. - A ce propos, vous avez déclaré en 2008 que le dossier Matoub est politique et son règlement doit être politique. Que vouliez-vous dire ? Ma démarche actuelle se base sur des faits, je ne sais pas si je peux exclure ma démarche politique dans l’avenir. Hassan Hattab a revendiqué l’attentat, je veux savoir ce que la justice fera. Ma sœur blessée, qui était avec moi au moment des faits, a dit au juge d’instruction qu’elle était prête à identifier deux personnes. C’est un renseignement sans suite. Mais jamais des photos ne lui ont été proposées. - Désormais, pourra-t-on voir la veuve de Lounès Matoub organiser des hommages en sa mémoire ? En parlant d’hommage, il faudrait que les gens comprennent certains détails. Pour la première année de la commémoration de son assassinat, j’ai appelé à l’organisation d’un rassemblement à Paris. Et... j’ai été agressée verbalement et presque physiquement. On m’empêchait d’agir. A un moment donné, je tenais à faire des choses et j’ai compris que je dérangeais et je n’avais pas la force de me battre. J’ai même été menacée de mort. Et puis il y a aussi la grandiose propagande orchestrée autour de moi. On m’a causé du tort. Imaginez, perdre Lounès, vivre l’attentat et voir mes sœurs souffrir autant, et nier tout cela. C’était coup sur coup. Du statut de victime, on a essayé de me faire porter le chapeau de l’affaire. Dans la situation où je me trouvais, ma sœur et moi aurions dû être entourées et non attaquées. Je me suis toujours mise au service de la justice. Maintenant, après ces quelques années, je suis prête à entrer en action. - Nous avons l’impression que vous êtes aujourd’hui plus forte, prête à relever le défi et à casser toute les barrières mises sur votre chemin jusque-là... En tant qu’ épouse, celle dont Lounès était très proche et avec laquelle il voulait fonder une famille, me retrouver dans cette situation relève du roman fantastico-dramatique. Je n’ai pas compris comment nous en sommes arrivés là. Vous parlez de défi, moi je parle de continuité des choses. Nous pouvons lui rendre hommage de plusieurs façons. A Taourirth Moussa, où j’ai été empêchée de me rendre, je repartirai là-bas un jour. Mais je n’ai pas envie de forcer les choses et de me retrouver dans une confrontation. Le plus important pour moi est de préserver la mémoire de Lounès même s’il y a des tentatives de la détourner. Je suis partie intégrante de cette mémoire et je fais partie de ceux qui veulent en être les gardiens.  

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