vendredi 22 décembre 2017

Point de vue : L´art n´a ni religion ni nationalité

Ils en manquent certainement, la faute aux outils idéologiques avec lesquels l´école a sculpté obtus les esprits de légions d´Algériens. La religiosité et sa frangine la superstition débordent sur tous les domaines de la vie et c´est infernal. Même l´Ecole des beaux-arts d´Alger en a été atteinte et elle fut la tombe d´une chance historique de doter le pays d´un département de la sculpture académique d´excellence, mais sous des prétextes artistiques liés à l´«authenticité». Des plâtres, répliques des chefs-d´oeuvre du Louvre, y ont été saccagés à cause de leurs nudités. La tradition islamique a combattu, dans tous les pays conquis, les arts liés au corps. Les premières vraies statues dans le monde sont le fait des Mésopotamiens et des Egyptiens antiques. Toutes les civilisations humaines ont sculpté des figures humaines et animales, la sculpture est donc universelle. Il ne faut pas se laisser complexer par les traditionalistes, les islamistes et autres. L´art n´a ni religion ni nationalité. Il y a un patrimoine qui est là et s´il est là c´est qu´une partie des Algériens y tient. Une autre a entrepris de l´anéantir depuis longtemps et il faut l´en empêcher. C´est un conflit de projets de société. L´obsession qui consiste à effacer les traces de la France a fini par faire de la destruction une fin en soi, à tel point que l´on ne sait même pas construire un trottoir. Une des sculptures emblématiques de ce complexe est un chef-d´oeuvre : «Le monument aux morts de la guerre de 1914-1918» d´Alger, enveloppé d’une chape de béton pauvrement sculptée à la gloire de la révolution agraire et de la Libération. Quand on ne casse pas, on cache. Les esthétiques dominantes dans un pays sont celles des classes dominantes, c´est pour cela qu´en Algérie la quasi totalité des statues érigées depuis 1962 ne glorifient que les hauts faits d´armes. Même quand on consent à représenter un personnage de l´identité amazighe, ce sera un roi, un guerrier et jamais un poète ; question d´identification. C´est pourquoi j´avais décidé de ne sculpter que des poètes…, la seule fois où j´ai consenti à réaliser celle d´un soldat, c´était pour remplacer celle horrible d´Amirouche à Tassaft qui gâche toujours la montée vers At Yanni, le projet n´a pas abouti. La lecture des symboliques des statues, c´est selon la sensibilité et la culture des uns et des autres. On verra dans celle de Aïn Fouara l´innocent éveil à la vie où une jeune femme descendant avec précaution des rochers pour aller se baigner dans l´eau de la claire fontaine. On peut aussi y voir une jeune femme qui fuit une tentative de viol, un islamiste y verra le diable… A Alger, l´épée que brandit la statue équestre de l´émir Abdelkader aux yeux d´un intello de gauche sera celle de Damoclès que le régime suspend sur les têtes insoumises. Un autre dira que cet émir n´est pas représenté dans sa dimension de mystique, mais de guerrier triomphant alors qu´il a fini par se soumettre à la France et qu´elle symbolise la falsification de l´histoire. Un FLNiste y verra la gloire du peuple. Pour revenir au patrimoine ancien, le musée des Beaux- Arts d´Alger et la ville de Skikda en regorgent. A Jijel, se trouve une admirable statue d´un pêcheur. Un hall du théâtre de Bougie est orné de sublimes bas reliefs représentant des danseuses nues et cela n´a jamais dérangé personne. Je suis né et j´ai grandi aux pieds d´une sublime statue «Le Zéphyr», un nu que tous les Bougiotes ont adopté et je rêve de réaliser pour cette ville une fontaine majestueuse, dédiée à l´univers des pêcheurs et des marins. En Kabylie, on observe un engouement populaire et citoyen sans égal pour les statues. Même si la qualité n´y est pas, j´y vois les signes d´une civilisation naissante car quand un tel art est porté avec force par les citoyens, c´est la délivrance qui pousse et s´offre à nous pour peu que l´on se penche pour la cueillir. Les antiquités et le patrimoine abandonné par la France sont autant d´écoles pour accompagner ce mouvement.

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