Le professeur Jamal Mimouni, diplômé de l’université de Pennsylvanie (Etats-Unis), enseigne au département de physique de l’université Frères Mentouri (Constantine1). Il estime qu’avec le lancement du satellite Mohammed VI-A, le Maroc a pris une avance sur ses rivaux régionaux en matière d’observation et de renseignement. Le 10 décembre dernier, l’Algérie a lancé un satellite de télécommunication Alcomsat 1. Il permettra au pays de disposer d’un réseau de transmission performant et sécurisé même en cas de catastrophe naturelle. Concrètement, pourra-t-il nous fournir une autonomie en matière de technologie ? L’exploitation par l’Algérie d’un satellite de communication hautement performant est un saut qualitatif pour notre pays en matière spatiale. Elle procure à l’Algérie une autonomie en termes de communication et non en technologie, vu que le satellite a été conçu, monté et lancé par la Chine. Il permettra cependant la formation, la gestion et l’utilisation commerciale et technique d’un vrai satellite de communication. Ce n’est pas le premier satellite ; donc, peut-on dire que notre pays dispose réellement d’un programme spatial ? Pourquoi y a-t-il très peu de communication autour ? Ce cinquième satellite est le premier satellite de communication algérien, les précédents étant tous dédiés à la télédétection. Effectivement, l’ASAL (Agence spatiale algérienne, ndlr), créée en 2002, dispose d’une vraie politique spatiale et se donne progressivement les moyens de sa politique. Elle dispose d’un savoir-faire et d’un potentiel humain dans le domaine du spatial qui la place en quatrième position en Afrique après l’Egypte, le Nigeria et bien sûr l’Afrique du Sud qui est en fait hors catégorie. Il est vrai que l’ASAL n’est pas le roi de la communication malheureusement, et ses activités ne percolent que difficilement au niveau du grand public. Un exemple qui illustre ce fait de manière poignante était lors du concours national «Race to Space-2016» organisé par l’association Sirius en collaboration avec le consulat des Etats-Unis, le représentant de l’ASAL dans le jury final pour la sélection des heureux lauréats fut surpris qu’à sa question récurrente si l’Algérie avait une agence spatiale, aucun des douze finalistes, la crème des 300 postulants, ne put y répondre ! La mise en orbite des précédents satellites a été conduite par les Indiens. Pour Alcomsat 1, cela s’est fait avec les Chinois. Le choix de la Chine est-il dicté par le fait que c’est la 3e nation spatiale, après les Etats-Unis et la Russie, ou c’est en lien avec d’autres considérations, quand on sait que c’est le premier partenaire économique de notre pays ? Le choix de la Chine est dicté par différentes considérations, mais la raison prépondérante pourrait être stratégique : réaliser ce projet avec un partenaire allié et de confiance, les Etats-Unis et l’Europe ne répondraient probablement pas à ces critères. De plus, des contraintes d’utilisation auraient pu être imposées ainsi que le bridage de certaines fonctions. Il y a sûrement aussi une question de coût, la Chine, qui est dans une phase de capture de marchés dans le domaine spatial, a pu faire à l’Algérie une offre alléchante avec même un certain niveau de transfert technologique que les autres n’avaient pas envisagé. La conquête de l’espace n’est pas une vue de l’esprit, elle est réelle et beaucoup de pays ont investi ce domaine. Même sur le plan régional, on peut saisir les prémices d’une rivalité avec le lancement, il y a deux mois, d’un satellite marocain qui a d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre... Effectivement, depuis l’ouverture de l’ère spatiale en octobre 1957 avec le lancement de Spoutnik par l’Union soviétique (URSS), le spatial est devenu une entreprise qui, au-delà de son aspect humain, a des enjeux économiques, scientifiques, technologiques, mais aussi géostratégiques pour ne pas dire militaires. La possession d’un satellite de reconnaissance, d’observation et de renseignement par le Maroc est un épisode à portée régionale. Le lancement de ce satellite, baptisé Mohammed VI-A, est le fruit d’un accord secret passé en 2013 entre le roi du Maroc et le président Hollande. Il a été conçu, construit et lancé par la France de sa base spatiale de Kourou en Guyane. Il sera suivi d’un deuxième satellite du même type cette année. Ce premier satellite de renseignement (ou espion en langage courant) dans sa mission principale et construit par plusieurs consortiums français est capable de prendre en haute résolution atteignant les 70 cm des images de n’importe quel point du globe. Il sera notamment utilisé, selon un responsable marocain, pour la «surveillance des frontières» et la bénigne «lutte contre l’immigration clandestine». En fait, ses capacités le désignent pour être une arme redoutable en tout conflit armé dans la région. Il est à noter aussi que le ministère de la Défense des Emirats arabes unis a commandé à la France deux satellites espions du même type que ceux des Marocains pour ses différents terrains d’intervention dans le monde arabe et dans la Corne de l’Afrique, et qui devraient tous deux être lancés en 2019. Notons cependant qu’il serait naïf de penser que leur utilisation n'est pas l’objet de restrictions quant à la prise de vues de régions «sensibles» en Europe, aux Etats-Unis et au-dessus d’Israël. Le financement de ce programme pour la bagatelle comprise entre 350 à 500 millions de dollars (ce dernier chiffre étant l’estimation la plus courante) n'est pas connu, mais un montage financier avec certains pays du Golfe n’est pas à exclure. Il est important de placer cette affaire dans un contexte plus large, celui de la prise en charge financière par l’Arabie Saoudite, suite à un accord signé en janvier 2016 avec le Maroc, du développement d’une industrie de l’armement marocaine à hauteur de 22 milliards de dollars, dont les partenaires industriels sont quasiment tous Français. Rappelons aussi le financement en 1975 par certains pays du Golfe de l’achat des chasseurs Mirages par le Maroc au début de la crise du Sahara occidental et plus récemment des Rafales, et ce pour soi-disant préserver «une parité militaire» dans la région. Tout cela pointe vers une certaine duplicité algérienne dans ses rapports avec la France. Cette transaction secrète concernant les satellites espions marocains est un geste dont le moins que l’on puisse qualifier d’inamical, et en toute logique, aurait dû avoir des conséquences quant à nos rapports commerciaux et politiques avec l’ancienne puissance coloniale. Pourtant, aucun signe de mécontentement algérien n’est apparu lors de la visite subséquente du président Macron à Alger en décembre dernier. L’Algérie semble donc être entrée dans une politique d’apaisement, voire d’effacement tous azimuts, et les dossiers communs ne sont pas traités avec notre propre intérêt en vue et la fermeté nécessaire avec nos «amis» français et nos «frères» du Golfe. Quant à la rumeur que le lancement d’Alcomsat-1 est la réplique algérienne pour le lancement du satellite espion marocain, elle est absurde. D’abord, parce qu’Alcomsat1 était prévu en 2014 et fut retardé pour des raisons diverses dans le calendrier de lancement des fusées chinoises Longue Marche -3. Mais aussi et surtout parce que c’est un satellite de communication avec aucune capacité d’imagerie optique, contrairement au satellite marocain. Il est donc sur une orbite équatoriale dite géostationnaire à 36 000 km d’altitude, contrairement aux satellites espions ou de télédétection qui eux sont placés sur des orbites quasi polaires basses (700 km pour le satellite marocain) et peuvent donc défiler au-dessus de toute la surface du globe. Selon l’Agence spatiale algérienne, Alcomsat1 contribuera aussi au renforcement de la souveraineté nationale. Qui sera aux commandes et qu'en est-il de l’exploitation des données ? A-t-on les compétences pour cela, sachant que l’université algérienne n’assure pas encore de formation en astrophysique ? Il renforcera certainement la souveraineté nationale de par sa capacité de communiquer sans passer par des pays étrangers. De plus, une politique commerciale ambitieuse, mais qui implique une maîtrise technologique de la communication spatiale permettrait d’engranger des dividendes, pour peu qu’aucune clause secrète ne l’interdise. Elle sécurisera partiellement internet en mettant à la disposition de nos opérateurs et agences gouvernementales un certain débit indépendamment des câbles sous-marins. Enfin, elle facilitera la gestion de catastrophes par une mise en place d’un réseau de communication d’urgence pour une certaine zone, quel que soit l’état des infrastructures au sol. L’exploitation des données est cruciale pour le succès du programme. Nous espérons que les équipes techniques déjà formées ou en voie de formation sauront être à la hauteur des défis, et que surtout l’AVAL ne soit pas victime de la fuite de cerveaux qui a été un fléau au fil des ans pour les spécialistes qu’elle a formés. Alcomsat1 est un satellite de communication et il n’a donc aucune vocation scientifique. Ceux le précédant avaient un intérêt pour les chercheurs en sciences de la terre. Pour l’astrophysique, il faudra attendre longtemps encore pour que l’Algérie puisse développer des satellites tournés vers le «ciel» et donc pour l’étude de l’univers. Entre-temps, nos astrophysiciens devront se contenter d’utiliser les données des différentes sondes spatiales scientifiques existantes, dont certaines mettent d’ailleurs leurs données à la disposition de la communauté scientifique quasi immédiatement !
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