samedi 4 juin 2016

Les Algériens, «une minorité dans la minorité»

Le baccalauréat est un héritage de l’école française. A cette époque, l’instruction n’était pas ouverte à tous les Algériens. Rares étaient les élèves de l’école indigène à rejoindre l’école coloniale et à pousser jusqu’au baccalauréat. Mais ceux qui passaient les épreuves étaient très appliqués et réussissaient haut la main, malgré l’hostilité de leurs camarades et, parfois, de leurs enseignants. Lycéen au collège de Béjaïa, Redha Malek obtient sa première partie du baccalauréat dans la ville des Hammadides, avant de se «transporter», selon son mot, à Alger, au lycée Bugeaud (actuellement Emir Abdelkader), où il décroche la deuxième partie de l’examen avec mention «bien». «Les lycéens algériens travaillaient dur et, en général, ils étaient très brillants. Les lycéens algériens étaient travailleurs. Sur quoi pouvaient-ils compter si ce n’est sur leur propre travail ?» s’interroge celui qui obtiendra sa licence en lettres et philosophie à l’université d’Alger avant d’aller poursuivre ses études à Paris où il sera l’un des membres fondateurs de l’Union générale des étudiants musulmans d’Algérie (Ugema) en 1955. Le futur directeur du journal El Moudjahid et membre de la délégation du FLN aux Accords d’Evian, dont il sera le porte-parole, indique que les Algériens «avaient souvent le dessus sur les étudiants pieds-noirs». Même sentiment de fierté chez une autre lycéenne algéroise. Ancienne membre de la section du syndicat nationaliste d’Alger, Zoulikha Bekaddour se rappelle des moments fébriles d’un examen qu’elle a passé en plein mois de Ramadhan : «J’ai passé mon examen en juin et je jeûnais. On était très studieuses. On n’avait pas de distractions. Le bac, on l’a arraché. Nos enseignants étaient excellents, mais certains étaient racistes. Durant toute ma scolarité, j’étais la seule Algérienne. On était une dizaine au lycée Delacroix (actuellement Barberousse), Hassiba Ben Bouali, que j’ai connue, était en seconde. Elle n’an pas eu le temps de passer son baccalauréat...» Zoulikha Bekaddour déplore la dégradation de l’enseignement à cause des distractions et du manque d’engagement des apprenants et de leurs enseignants. Redha Malek, qui s’est distingué au lycée en obtenant le premier prix du concours en langue arabe, affirme que la «petite poignée qui a pu réussir» grâce à l’effort s’est engagée dans la guerre. «Il y a des bacheliers qui sont encore en vie, d’autres sont morts. Je me rappelle, par exemple, de Benbatouche, commandant de la Wilaya 2 et de Amara Rachid, qui était le contact du FLN avec les maquis. De nombreux jeunes lycéens ont rejoint le maquis, dont 80% étaient bacheliers. La plupart a été décimée», se souvient-il, signant le travail de mémoire «excellent» d’un lycéen tlémcenien, Abdelhalim Medjaoui, dont il a préfacé le livre : Ce Pays est le nôtre (Casbah-Editions, Alger, 2000). Quand Bourguiba passait son bac à Alger Les lycéens algériens étaient une minorité à pouvoir passer le baccalauréat et finalement rares sont ceux qui l’ont obtenu après une scolarité dans les quelques lycées de l’Algérie des «trois départements français» : Bugeaud à Alger, Aumale à Constantine, Lamoricière d’Oran, Philippeville à Skikda, le lycée coloniale de Sétif, ou même pour les filles au lycée Laveran à Constantine. De 1885 à 1962, il y a eu, selon Ali Salhi, ancien directeur de l’ONEC, quelque 180 000 bacheliers algériens. «En 80 ans, les Algériens étaient une infime minorité comparativement aux contingents de bacheliers français. L’Algérie était le centre d’examen des trois pays du Maghreb. Bourguiba, le futur président tunisien, a obtenu son bac à Alger en 1924. Des nationalistes algériens, comme Abane, Benkhedda, ont passé leur examen dans les années 1940», précise M. Salhi, faisant remarquer que sur instruction des autorités, les PV de l’époque avaient été remis depuis une dizaine d’années aux Archives nationales. Fouad Soufi, historien, affirme que les bacheliers étaient «une minorité dans la minorité». S’agissant de l’application des lois du ministre français de l’instruction Jules Ferry, l’historien affirme que les Français avaient «plus besoin de main d’œuvre que de gens instruits». L’historien parle de «parcours individuels». «Le succès des uns et des autres est dû à leur volonté propre. M’hamed Ben Rahel (qui serait le premier bachelier algérien, ndlr), le Dr Nekkache, Bendaoud et d’autres ne doivent rien à l’administration», estime le chercheur. Qu’en sera-t-il de l’après-guerre de Libération ? Selon M. Salhi, comparativement à l’époque coloniale, il y a eu, depuis 1962, plus de 4 millions de bacheliers. Expert en pédagogie, Farid Benramdane  affirme que l’examen était d’abord «élitiste». «Le bac était élitiste jusqu’aux années 1970. Le retard de l’époque coloniale sera rattrapé. C’est un devoir de mémoire. L’école pour tous était notre revanche», assure-t-il. L’accent sera mis durant plusieurs années sur le quantificatif aux dépens de la qualité. Le saut qualitatif, selon lui, devait intervenir plus tard, à partir des réformes de 2003. «Un saut qualitatif est engagé depuis 3 ou 4 ans, particulièrement après l’arrivée de Mme Benghebrit. Cette nouvelle approche repose sur des standards internationaux», précise l’expert.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire