samedi 23 décembre 2017

«Nous n’avons plus de devises à gaspiller»

Jeudi après-midi, au Salon de la production nationale, Ahmed Ouyahia s’est montré inflexible sur l’urgence de redresser la balance des paiements qui n’a jamais semblé aussi pressante. Des mots d’ordre ont fini par courir à l’issue de sa tournée dans les différents stands : retrousser les manches pour produire plus, satisfaire les besoins du marché national et tenter impérativement d’investir les marchés extérieurs, réduire la facture des importations et diversifier les ressources du pays en devises. Peu bavard ! Mais les quelques mots émis à certains exposants parmi les producteurs nationaux étaient plutôt lourds de sens. Alors que nombre de concessionnaires attendent fébrilement les nouveaux textes sur le montage automobile et les importations, le Premier ministre tranche dans le vif : il n’y aura plus aucun agrément de plus pour l’investissement dans le montage automobile. «Nous n’allons pas laisser se reproduire l’histoire des minoteries», s’était-il adressé à des concessionnaires retardataires qui semblent pris eux aussi de cette espèce de frénésie pour l’assemblage automobile. Selon le Premier ministre, le nombre d’investissements dans l’assemblage automobile sera limité à cinq pour les véhicules de tourisme et à cinq pour les véhicules utilitaires (camions). Une manière de dire que plus aucune autorisation d’investissement ne sera accordée, étant donné que les cinq opérateurs attributaires d’agrément ont d’ores et déjà commencer à usiner. Ahmed Ouyahia s’est posé comme le tenant d’une réforme «axée» sur l’impératif de rétablir les comptes extérieurs. L’histoire des minoteries auxquelles sont assimilées les chaînes de montage automobile est une caricature lourde de sens. Le Premier ministre fait allusion à la prolifération de minoteries en nombre important, profitant d’une multitude de facilitations accordées par l’Etat et de céréales subventionnées à coups de milliards de dollars sans que le défi de l’exportation ne soit réussi. Du point de vue des ajustements à opérer, Ahmed Ouyahia penche en faveur d’un coup de rabot qui serait de nature à limiter la fonte des réserves de change. Monter en exigence en matière d’importation et d’exportation est l’un des leviers dont le gouvernement compte se servir pour opérer ses ajustements budgétaires. La volonté de remettre de l’ordre dans le secteur automobile répond justement, d’après Ouyahia, à une tentative d’endiguer l’amenuisement des réserves de change du pays. «Si on a arrêté d’importer 500 000 véhicules/an, soit l’équivalent de 6 milliards de dollars, ce n’est pas pour importer 600 000 ou 800 000 kits aujourd’hui. Les 500 000 véhicules étaient importés à l’époque où nous avions 174 milliards de dollars (de réserves de change, ndlr), mais aujourd’hui, à novembre, nous n’avons que 98 milliards de dollars», a-t-il indiqué, laissant entendre qu’il n’était plus judicieux de «gaspiller» les devises dans l’importation des «kits». Il s’agit aussi, d’après les propos du Premier ministre, d’une question de bon sens et de rentabilité économique.   Le défi de l’exportation «Nous n’avons plus de devises à gaspiller et dites-le à vos amis du secteur : aujourd’hui, cela leur semblera une démarche gouvernementale un peu brutale, mais il faut qu’ils pensent aussi que, dans quatre ans, ils risquent tous de baisser rideau», a-t-il lancé à l’égard d’un concessionnaire automobile. Aux concessionnaires, parqués pour la plupart dans le pavillon Ahagar, Ahmed Ouyahia a tenu à dire ses quatre vérités. Son gouvernement court désormais après les réformes budgétaires à grands coups, objectifs de réduire les déficits obligent. Le risque à court et à moyen termes est que le déficit de la balance des paiements se creuse davantage sous l’effet d’une fièvre d’importation qui ne retombe pas, à l’heure où les recettes d’hydrocarbures décroissent conséquemment à la chute des cours du pétrole. C’est le scénario qui inquiète le gouvernement. Car, faut-il le souligner, la fonte accélérée des réserves de change est en lien direct avec l’évolution défavorable de la balance des paiements extérieurs depuis juin 2014. Mardi dernier, le ministre du Commerce avait indiqué que le gouvernement était prêt à agir pour mieux encadrer le commerce extérieur, aujourd’hui sans foi ni loi. Le lancement dès 2018 de nouveaux instruments administratifs et fiscaux, permettant de réduire la facture d’importation de 46 à 30 milliards de dollars l’an prochain, participe justement à cette tentative de réduire le déséquilibre des comptes extérieurs. Dans la boîte à outils dont dispose le gouvernement, le défi de l’exportation y est également. Jeudi, ce propos revenait comme une prière dans les différents échanges du Premier ministre avec les producteurs nationaux. Ahmed Ouyahia a enjoint les concessionnaires qui se sont mis déjà à usiner ainsi que les producteurs d’appareils électroménagers d’en faire une ambition de première priorité. Il a insisté sur le fait que l’Etat était prêt à fournir des efforts importants pour accompagner les producteurs nationaux dans l’acte d’exportation. A fin de donner un essor à ce créneau, le Premier ministre a appelé les opérateurs à se saisir de l’ouverture du fret à l’investissement privé pour réduire les coûts du transport et rendre les produits exportés plus compétitifs. L’idée d’associer plusieurs investisseurs autour de ce projet d’entreprises de fret maritime et aérien fait consensus et pourrait s’avérer concluante, estime le locataire du palais Docteur Saâdane. S’adressant néanmoins à certains managers d’actifs publics, Ahmed Ouyahia a brandi à nouveau l’étendard de la difficulté pour sonner la fin de l’attitude accommodante de l’Etat vis-à-vis de ces entreprises. «L’Etat n’a plus les moyens financiers pour continuer à éponger les découverts», lance-t-il à l’adresse du dirigeant d’une entreprise publique, précisant sur sa lancée que l’Algérie était le «seul pays au monde qui pratique une bonification des crédits de 2,5 points». La messe est désormais dite : il était temps de passer aux choses sérieuses pour rétablir un tant soit peu la viabilité des finances publiques. Avec sa nature corrosive, le déficit des comptes extérieurs a fini par accélérer le déclin des réserves de change, seul élément qui argue de la solvabilité du pays. Pour y faire face, l’Exécutif semble vouloir s’attaquer de front à deux problèmes : il s’agit de freiner l’emballement des importations et d’améliorer la compétitivité de l’économie algérienne.  

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