samedi 23 décembre 2017

Un grand ami de l’Algérie

Quarante jours après la mort subite de son épouse Pierrette, suite à un AVC, Gilbert Meynier, qui luttait contre un cancer depuis un an, vient de décéder à son tour. Nous venons de perdre un historien de qualité, un ami de l’Algérie à qui il a consacré toute sa carrière de chercheur. Ayant passé quelques brèves années en tant qu’enseignants, au début de leur carrière, ils en ont gardé un bon souvenir. Tous les deux, aussi bien Pierrette que Gilbert, mentionnaient leurs appartenances respectives au lycée Hihi El Mekki et à l’université de Constantine dans la signature de leurs courriels. Gilbert lisait et écrivait beaucoup, il avait une capacité de synthèse phénoménale. Au-dessus de son lit d’hôpital (l’Infirmerie protestante, la semaine dernière, quand je lui ai rendu visite, avec ma nièce et son mari), il y avait trois romans, un essai, une revue et Le Canard enchaîné sur la table. La télévision éteinte, il essayait de lire, en étant allongé, il ne pouvait se mettre en position assise. Je lui ai offert la réédition du journal Al Shu’la dont j’ai fait la présentation (Midad University Press, 2016). Je l’ai aidé à en feuilleter quelques pages, il a apprécié la qualité de l’impression, mais comme Beau livre, il est lourd à porter. Gilbert était d’une générosité sans pareille, surtout pour offrir un livre ou diffuser un article. Le couple comptait beaucoup d’Algériens et d’Algériennes parmi ses amis les plus proches. Il avait projeté, depuis deux mois, d’inviter une dizaine d’amis de France et d’Algérie pour la fête des lumières, le 8 décembre, à Lyon. J’étais sur la liste bien avant de recevoir le visa, le fameux sésame pour entrer dans l’espace Schengen. Contrarié par le décès de son épouse Pierrette, le 2 novembre dernier, le projet a été maintenu sur insistance de ses enfants et de ses amis. Ils voulaient (tous les deux) nous permettre de voir la ville de Lyon illuminée depuis le beau balcon de leur appartement. Mais le destin en a décidé autrement. C’est un couple lumineux qui nous quitte. Double perte, car militants des grandes causes, Gilbert et Pierrette Meynier sont partis, ensemble, en laissant plus que des souvenirs, des ouvrages et des travaux à lire et relire, et un engagement à valoriser. Quant à l’œuvre de l’historien que nous venons de perdre, les lignes qui suivent ne peuvent en faire le tour. Après avoir révélé l’Algérie nouvelle du début du XXe siècle aux tenants de la colonisation dans son œuvre de thèse magistrale soutenue à Nice en 1979, «L’Algérie révélée : la guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle», publiée plusieurs fois, Gilbert Meynier a coécrit avec Ahmed Koulakssis un livre référence, Identité algérienne et colonialisme français, en essayant de répondre à la question affirmative : L’Emir Khaled, premier za’îm ? (1987). Interpellé par l’histoire récente de l’Algérie, Gilbert Meynier s’attaque à L’Histoire intérieure du FLN 1954-1962 et il réussit, «en historien», selon M. Harbi, à «en déceler la matrice dans le fonctionnement interne et dans ses rapports avec la société». Cette découverte progressive de l’histoire de l’Algérie coloniale le mène à une prospection dans les origines, pour comprendre la richesse et la complexité de cette histoire millénaire de l’Algérie où la permanence de «certains traits ancestraux» laisse le chercheur se saisir des multiples ruptures historiques. Mais le goût de la recherche et la soif d’en savoir plus encouragent Gilbert Meynier à écrire L’Algérie, cœur du Maghreb classique et clôt son œuvre par un ouvrage publié par l’Harmattan en septembre 2017 : L’Algérie et la France : deux siècles d’histoire croisée. J’attends d’en lire l’édition algérienne sous presse chez Média-Plus, Constantine. «Ce livre tente de synthétiser – selon Tahar Khalfoune – les formes et le fond des répliques à la colonisation, qui aboutissent à la guerre d’indépendance de 1954-1962, sans pour autant effacer l’entrelacement – traumatique certes, mais bien tangible – entre Algériens et Français.» Ce ne sont là que les grands jalons d’une œuvre riche et multiple qui invite à la recherche et au ressourcement dans les tréfonds de l’histoire humaine, avec amour, abnégation et esprit critique. Mes sincères condoléances – en mon nom et au nom des collègues du laboratoire Hipaso (Histoire, Patrimoine et Société) et au-delà – à leurs enfants et petits-enfants qui, pour se consoler, doivent méditer le départ simultané de leurs parents et grands-parents dans la dignité, entourés de leur affection et de leur sollicitude. Comme il aimait à nous souhaiter les meilleurs vœux en arabe pour nos fêtes religieuses, langue qu’il lisait et écrivait, je lui ai exprimé mes condoléances après le décès de Pierrette par la formule islamique rituelle dans pareille épreuve : «Inna lil’Allah wa Inna Ilayhi Raj’iun» Reposez en paix, chers amis. Fatima Zohra Guechi Historienne, université Constantine 2 Abdelhamid Mehri

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire