samedi 3 février 2018

L’antique médina, une curiosité qui ravit la vedette au métro tant attendu

Exhibé aux passants, le site archéologique situé au milieu de la place des Martyrs à Alger est assailli quotidiennement par les Algériens qui découvrent ainsi les vestiges de plus 2000 ans de l’histoire de la médina. Bien préservées sous terre, des villes entières font voyager les passants à travers les différentes civilisations qu’a connues Alger depuis bien avant les Phéniciens jusqu’à la colonisation, en passant par les périodes ottomane, ziride, byzantine et romaine. Ces découvertes ont ravi la vedette au métro, pourtant très attendu, et qui pourrait être inauguré incessamment… Située au bas de la vieille médina d’Alger, dont elle était, il y a si longtemps, le prolongement, la place des Martyrs a désormais un nouveau visage. La suppression de l’immense clôture métallique qui l’entourait depuis le début des travaux du métro, en 2009, a délivré aux regards des Algérois d’importants vestiges archéologiques qui les font voyager à travers 2000 ans d’histoire, depuis Ikosim, la phénicienne, jusqu’à El Djazaïr, en passant par Ikosium la romaine. Un véritable musée à ciel ouvert, devenu depuis quelques jours la curiosité non seulement des habitants de ce quartier historique, qui attendent avec impatience l’ouverture incessante de la station de métro dédiée au patrimoine, mais aussi aux nombreux passants. Djamel est étudiant. Il habite à quelques pas des lieux. Il a ramené ses copains de l’université pour voir ce que les entrailles de ce quartier commerçant conservaient. «Je savais que les maisons de La Casbah s’étendaient jusqu’à la mer mais que les Français les avaient toutes détruites. Mais jamais je n’aurais imaginé que cette terre recelait un trésor aussi inestimable. J’ai eu beau expliquer à mes camarades de promotion à l’Ecole polytechnique, mais je n’arrivais à leur faire admettre que sous la place des Martyrs il y avait un trésor fabuleux…», nous dit-il. Imad en perd la voix. Il est émerveillé. «J’étais loin de penser à une telle découverte. Regardez ces ruelles romaines en pavés, ces boutiques, cette mosaïques. Dans aucun pays au monde vous ne verrez autant de richesse…», nous lance-t-il, avant qu’une femme, la soixantaine dépassée, s’arrête : «Ce sont les restes des maisons de La Casbah que la France a détruit lorsqu’elle a envahi le pays. Regardez comment ces constructions ont bien été conservées. Nos enfants doivent savoir que l’Algérie ne vient pas du néant. C’est une civilisation…», déclare-t-elle aux jeunes étudiants, en les sommant de «bien préserver cette histoire». Durant des heures l’endroit ne désemplit pas. Il faut se frayer un chemin au milieu de la foule pour pouvoir lire le contenu des quelques panneaux illustrés accrochés au filet qui entoure le site, donnant les détails des fouilles, les vestiges trouvés et leur histoire. Dès les premières fouilles, les fondations de la mosquée Essayida sont apparues Ammi Ahmed vient de boucler ses 80 ans. C’est la troisième fois qu’il vient «admirer» les vestiges. «Je savais qu’il y avait des villes entières sous terre. Les Français ont tout détruit. J’étais tout petit quand je venais avec mon grand-père qui vendait des légumes au marché Djamaâ Lihoud (Ndlr, le marché jouxtant la synagogue à la Basse Casbah). Ici,  c’était la place de la Régence, et là où est édifiée la station de métro il y avait l’hôtel de la Régence. Durant toute ma vie je réparais les fuites d’eau à La Casbah. Je connais parfaitement les canalisations. A l’époque, elles étaient en argile, il n’y avait ni métal ni plastique. Les Français ont opéré des changements dans les quartiers qu’ils ont construits au milieu de La Casbah,dans la Haute Casbah et à la Basse Casbah pour introduire l’eau dans les robinets. Lorsque je vois cette ville enfouie sous terre, j’ai les larmes aux yeux…», note Ammi Ahmed. Nous avons du mal à marcher. Trop de monde envahit les lieux. Un agent de l’Office de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés (OGEBC) vient juste d’accrocher un panneau sur lequel sont mentionnées de nombreuses explications sur l’une des plus vieilles mosquées de La Casbah, Essayida en l’occurrence, détruite dès l’invasion des troupes française en 1830. Aujourd’hui, cet édifice est bien apparent, avec les traces de ses colonnes en marbre arrachées, sa mosaïque et ses dépendances. Une pure merveille qui s’étend jusqu’à la ruelle qui mène vers la mosquée Ketchaoua. Une bonne partie des fondations de ce lieu de culte sont visibles, et un peu plus vers le bas on voit les dallages des voies romaines et d’une basilique byzantine, mais aussi une très belle fontaine. Chacune des strates en cascade conserve un pan de l’histoire du quartier. Enseignant de son état, Mourad traduit les informations qu’il consulte à un jeune chômeur du quartier qui disait : «Ce sont de simples pierres qu’ils ont déterrées juste pour justifier des dépenses inutiles.» Des propos qui irritent l’enseignant. Il s’exclame : «Nos aïeux n’étaient peut-être pas instruits, mais ils avaient du génie. Cette mosquée devait être très belle avec toute cette faïence, ces fresques et ces colonnes. C’est dommage que les autorités n’aient pas pensé à une reconstitution de la bâtisse pour servir d’exemple à ceux qui construisent les mosquées. Ces pierres racontent la grandeur de nos ancêtres.» Salaheddine, un commerçant de la rue Bab Azzoun, se situant à quelques centaines de mètres plus loin, trouve l’idée de Mourad très intéressante. «Son exhibition au grand public sera un atout considérable pour le tourisme. J’habite à la Grande Poste, mais de toute ma vie je n’ai vu de vestiges archéologiques aussi bien conservés. A chaque fois que je viens pour ouvrir ma boutique, je commence par faire un tour ici, et je ne peux m’empêcher de penser à la vie d’antan…», nous dit-il. Sofiane, à peine 22 ans, n’en est pas à sa première visite et à chaque fois, précise-t-il, «je découvre des choses nouvelles et je m’informe plus sur mon histoire. Ils devraient organiser des visites pour les écoliers et les lycéens. Ils doivent s’imprégner de leur histoire magnifique. La place des Martyrs est devenue un lieu magnifique avec son kiosque à musique, ses vestiges historiques, ses commerces, ses immeubles peints en blanc qui dégagent une lumière fascinante, et la mosquée de Ketchaoua qui a retrouvé sa splendeur…». Noureddine, la cinquantaine dépassée, coiffeur de son état, vient de Boumerdès pour faires des courses. Il profite de son temps libre pour visiter le quartier. «Franchement, quand j’ai vu ces vestiges, j’ai senti une fierté indescriptible. Ce lieu me réconcilie avec l’histoire millénaire de notre pays. J’espère que nos enfants vont en prendre soin…», nous dit-il. Un peu plus loin de ces vestiges, un immense jardin a vu le jour, et à côté la station métro. Les grandes plaques métalliques qui l’entouraient ont été enlevées vers la fin de la semaine écoulée, pour laisser apparaître un immense bâtiment gris-beige, décoré d’une mosaïque verdâtre. La construction ne cadre nullement ni avec l’architecture de la médina, et encore moins avec son histoire ancestrale. La façade de cette station est le seul point noir de ce quartier. La place des Martyrs retrouve toute sa splendeur… A l’intérieur,  c’est une véritable fourmilière, alors qu’aux alentours de nombreux ouvriers, entre algériens et subsahariens, s’activent à apporter les dernières retouches. Les autorités leur mettent la pression pour pouvoir l’inaugurer incessamment car, nous dit-on, la préparation de cette cérémonie s’accélère. Déjà, on a constaté qu’un passage pour chaise roulante couvert d’une moquette rouge a été aménagé et qui ouvre l’accès à la mosquée Ketchaoua. Drapé de l’emblème national et de celui de la Turquie (qui a financé l’opération de restauration), ce lieu de culte classé et protégé attend depuis des mois son ouverture aux fidèles. Il faudra tout de même attendre la fin des travaux d’achèvement de cette première station-musée en Algérie. Il faut préciser également qu’elle est vraiment unique. Chacun de ses trois étages sera dédié à un pan de l’histoire de la médina, tel que le racontent les vestiges retrouvés sous terre. Toutes les mesures ont été prises pour allier ce projet de développement avec la nécessité de préserver le site archéologique. «En fait, la station a été décalée de son tracé initial. Elle a été construite sous l’emplacement de l’hôtel de la Régence, édifié au début de la colonisation après la destruction de tout ce qui était en dessous. Le plan a connu des aménagements dans le seul but de préserver l’endroit. D’abord au niveau de la superficie, qui est passée de 8000 m2 initialement prévue à 3250 m2 seulement. Le tunnel du métro n’est plus à 18 mètres de profondeur, mais à 35 mètres sous terre. Une partie des objets déterrés sera exposée dans un musée classique à l’extérieur, doté d’une ou plusieurs salles. Mais les vestiges immobiliers, eux, seront présentés dans un musée in situ, pour certains à plus de 7 mètres sous terre et sur 1200 m2. C’est un travail titanesque, mais l’histoire n’a pas de prix et tout le monde a joué le jeu, à commencer par la société portugaise de réalisation du métro», explique un des agents de l’OGEBC. De grandes fresques représentant des intérieurs de maisons de La Casbah et les premières destructions opérées au début de la colonisation embellissent les murs, alors que de nombreuses photos racontent le parcours des fouilles, l’emplacement des nombreux objets, leur histoire et leur datation. En se promenant dans les couloirs de cette station, les usagers du métro vont certainement voyager à travers le temps pour remontrer jusqu’à deux siècles avant l’ère chrétienne. Il faut dire que les fouilles n’ont pas été faciles. Cependant, le chantier reste une grande école pour de nombreux étudiants et chercheurs algériens en archéologie, d’autant que les travaux étaient chapeautés par un groupement mixte du Centre national de recherche en archéologie (Cnra) et de leurs collègues français de l’Institut national des recherches archéologiques préventives (Inrap). Des lampes, des amphores ou encore des fragments de plats et assiettes remontant à l’antiquité ainsi que des perles en pâte de verre datées de la période byzantine, des ossements humains retirés d’une nécropole byzantine, des chandeliers, des cruches, de la faïence et des tomettes de terre cuite ottomanes, des pipes en céramique, des creusets servant à la fusion des métaux, des boulets à catapulte en pierre, des boulets de canon en métal et des balles de mousquet en plomb, etc. Bref, plein d’objets de la vie courante, les différents habitants de la cité durant 22 siècles, prouvant encore une fois l’importance du choix de son emplacement stratégique. Une première pour les archéologues algériens qui ont su accompagner le développement pour permettre la réalisation du métro, très attendue par la population, même si les vestiges archéologiques lui ont ravi la vedette ces derniers jours, en devenant le site le plus visité de La Casbah.  

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