vendredi 2 février 2018

L’Ecole nationale supérieure de management de Koléa : Les dessous d’un conflit

Falsifications de documents, délivrance de diplômes «non reconnus», des passe-droits, une liste d’attente inexistante et aussi la suppression de Masters. A en croire certaines sources internes, l’Ecole nationale supérieure de management de Koléa, exclusivement dédiée à la post-graduation, semble sombrer dans des «irrégularités». El Watan week-end dévoile certains dessous de ce conflit et donne la parole aux deux parties. Enquête.  «Falsification de documents» Résumé du problème : le conseil scientifique (CS) de l’ENSM est régi par l’arrêté ministériel n°189 du 2 avril 2016. Il porte dans son annexe, la liste nominative des membres du CS et est publié dans le bulletin officiel de l’Enseignement supérieur. Cet arrêté a fait l’objet d’un veto émanant de l’inspection de la Fonction publique de Tipasa en raison de la présence d’un enseignant stagiaire qui ne devait pas figuré dans ce conseil. Selon des professeurs (A. A., R. R., Y. B., N. B.), travaillant au sein de cette école et avec qui nous avons eu une rencontre, «la directrice a remplacé cet enseignant par un autre en lui attribuant un grade qu’il n’avait pas encore atteint. Au lieu de corriger l’erreur par un simple arrêté la modifiant, c’est l’ancien document qui a été modifié et antidaté. Il y a eu donc clairement falsification de document portant le cachet du ministre». Explications : les noms des membres du conseil scientifique de l’Ecole nationale supérieure de management ont été dévoilés le 2 avril 2016 via l’arrêté n°189. Composé de 10 membres, ce conseil est chargé de nombreuses missions. En effet, le conseil scientifique dans une école ou université a une importance considérable, notamment d’émettre un avis et des  recommandations sur les plans annuels et pluriannuels de formation et de recherche de l’université, les projets de création, de modification ou de dissolution de facultés, d’instituts, de départements et, le cas échéant, d’annexes, d’unités et de laboratoires de recherche. Il est aussi en charge des programmes d’échanges et de coopération scientifiques nationaux et internationaux, des bilans de formation et de recherche de l’université ou encore les programmes de partenariat de l’université avec les divers secteurs socio-économiques. Le CS a aussi le droit d’émettre un avis sur les programmes des manifestations scientifiques de l’université, les actions de valorisation des résultats de la recherche et les bilans et projets d’acquisition de la documentation scientifique et technique. En résumé, le conseil scientifique est l’un des poumons d’un établissement. Qu’advienne-t-il alors s’il s’avère que ce fameux conseil scientifique n’est pas en règle ? Logiquement, toutes les tâches précédemment citées seront en suspens et toutes les décisions prises par ce conseil n’auront plus aucune crédibilité ou valeur. Et c’est justement ce qui s’est passé pour le CS de l’ENSM. Les professeurs affirment : «Après quelques mois d’activité ‘‘hors la loi’’, la Fonction publique a interpellé la directrice de l’ENSM sur son conseil scientifique, exigeant d’elle la réélection de ce dernier. La raison : la présence d’un enseignant stagiaire dans ce CS, alors que lui-même doit justement être évalué par ce conseil.» Selon eux, les choses auraient pu être arrangées sans problème et surtout sans violer la loi, mais rien ne s’est passé comme prévu et deux erreurs graves ont été commises. «La première : la directrice a remplacé l’enseignant stagiaire par un autre enseignant en lui attribuant le grade de professeur. Or ce dernier n’est passé à ce grade qu’en juillet 2016. Seconde erreur : le document a été antidaté», expliquent-ils. Autrement dit, et selon la réglementation, tout changement doit faire l’objet d’un arrêté modifiant l’ancien avec un nouveau numéro et une nouvelle date, cela n’a pas été fait. Ainsi, «le nouvel arrêté, qui comporte les noms des membres du nouveau CS, a le même numéro et la même date que l’ancien avec le cachet du ministre de l’Enseignement supérieur», assurent les enseignants. Question : il y a eu un souci avec l’ancien conseil scientifique et la Fonction publique vous a interpellé sur une erreur. Pourquoi l’arrêté portant les noms du conseil scientifique a-t-il été antidaté ? Pourquoi n’avoir pas tout simplement publié un arrêté modifiant ? La directrice Amina Messaid : «Je voudrais avant tout préciser que nous sommes un établissement public sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et que toute notre activité est orientée par notre tutelle ceci d’une part, et d’autre part que nous sommes soumis à deux organes de contrôle, en l’occurrence la Fonction publique et le contrôle financier ; de ce fait les arrêtés des conseils scientifiques ou autres sont établis et transmis par la tutelle.» Délivrance de diplômes «non reconnus» Résumé du problème : l’arrêté n°451 du 9 décembre 2012 définit les caractéristiques relatives à l’attestation provisoire de succès dans les cycles d’étude en vue de l’obtention du diplôme de licence et du diplôme de master. Dans les différents articles de cet arrêté sont énumérées les caractéristiques qui doivent être respectées. Un spécimen est aussi joint à cet arrêté afin d’éviter toute erreur possible. Dans ce dernier, on peut distinctement remarqué la présence de deux signatures obligatoires. «Cependant, depuis la nomination de la directrice de l’ENSM, la seconde signature a sauté et il ne reste que la sienne. Cette attestation devient alors sans grand intérêt et peut même causer des problèmes à l’étudiant car elle est considérée comme faux document», assure le professeur A. A. Explications : dans l’arrêté n°451 du 9 décembre 2012, qui définit les caractéristiques relatives à l’attestation provisoire de succès, on peut notamment retrouver des caractéristiques relatives aux attaches qui regroupent le logo de l’établissement, la domination de la faculté ou de l’institut… ; d’autres relatives aux visas, à la référence du décret portant création du diplôme, date de réunion du jury de délibération… ; caractéristiques relatives au récipiendaire qui comprennent son nom, son prénom, sa date de naissance… ; et enfin des caractéristiques relatives à l’autorité ayant délivré l’attestation provisoire de succès. Par ailleurs, selon cet arrêté, l’attestation doit impérativement porter deux signatures des responsables de l’établissement. En l’occurrence, soit le doyen de la faculté ou le directeur de l’institut et le recteur, ou bien le chef du département et le doyen de la faculté ou le directeur de l’institut. «Si cet arrêté a bien été respecté en 2013 lors du mandat de M. Belmiboub, qui a délivré des attestations comportant sa signature et celle de son directeur adjoint des études comme le stipule la loi, cela n’est plus le cas depuis la nomination de la nouvelle directrice.» En effet, selon les enseignants plaignants, depuis l’arrivée de l’actuelle directrice en 2014, «la seconde signature a tout simplement été supprimée des attestations de succès. La raison ? Absence de recteur ou de directeur des études. En effet, depuis sa nomination, la directrice n’a pas jugé utile de désigner un responsable à ce poste pourtant si important», confient-ils. Question : selon la réglementation et le spécimen fourni, les attestations de réussite doivent comporter deux signatures obligatoires. Pourquoi avoir supprimé la seconde signature, alors que dans l’arrêté ministériel, il est clairement mentionné qu’il faut deux signatures (soit le doyen de la faculté ou le directeur de l’institut et le recteur ou bien le chef de département et le doyen de la faculté ou le directeur de l’institut) ? Amina Messaid : «Nous sommes une école nationale supérieure nouvellement créée, son activité a démarré en 2011 et nous sommes depuis juin 2014 au pôle universitaire de Koléa. Ce qui signifie que les postes de responsabilité sont pourvus au fur et à mesure par des enseignants de grade magistral, il n’y a pas encore de directeur adjoint des études (qui doit être nommé par arrêté ministériel, comme indiqué ci-dessus), de ce fait il n’y a que ma signature qui est apposée.» «Passe-droits» Résumé du problème : présence de candidats au Master non inscrits via la voie exigée et obligatoire à toute inscription, qui se fait via l’internet. Toute inscription de main à main étant rejetée, on en déduit alors que ces candidats ont eu un avantage considérable par rapport aux candidats lambda. C’est ce qu’on appelle un passe-droit. Explication : l’Ecole nationale supérieure de management est une école de post-graduation. C’est-à-dire que c’est une école qu’on ne peut intégrer qu’à partir d’un bac +3 minimum. A son sein, on effectue soit un Master ou un Doctorat. Ainsi, si un étudiant souhaite postuler pour intégrer cette école, il est obligatoire qu’il fasse son inscription via le site internet. Il y dépose son dossier. S’il est rejeté, il n’y aura pas de suites. Si au contraire son dossier est convaincant, il est appelé pour passer l’entretien. «Pourtant, cette année, comme l’attestent ces documents, trois étudiants sont portés sur la liste des candidats admis en 1re année Master alors qu’ils ne sont pas sur la liste des candidats retenus pour passer l’entretien d’accès à l’ENSM. Or, cela est normalement interdit par le règlement de cette école», assurent les professeurs contestataires. Question : selon le règlement de l’école, les inscriptions doivent être effectuées via le site internet. Comment se fait-il alors que dans la liste des candidats admis figurent les noms de trois étudiants non présents sur les listes d’inscription ? Amina Messaid : «En effet, les préinscriptions s’effectuent en ligne durant le mois de juillet. Néanmoins, il y a souvent saturation et donc perturbation à cause de l’intensité du trafic, c’est pourquoi nous avons donné la possibilité aux étudiants (pour pouvoir respecter les délais) de transmettre également leur dossier par mail à une adresse que nous avons indiquée sur le site web de l’école. Encore une fois, tout est consigné dans un PV transmis à la tutelle.» «Liste d’attente inexistante» Résumé du problème : des candidats, dont les dossiers ont été rejetés car n’ayant sans doute pas la moyenne (10/20) pour intégrer l’école, se retrouvent sur les bancs de cette école. Explication : communément appelée l’Ecole de l’excellence, l’ENSM a eu en ses rangs, les meilleurs éléments du territoire national. Seul des étudiants triés sur le volet avaient la chance d’intégrer cette école, et ce, pour une raison très simples : le tri sélectif des candidats. En effet, si le dossier lors de l’inscription via internet est retenu, le candidat doit alors passer par l’entretien qui se fait face-à-face avec l’examinateur. Si ce dernier n’est pas convaincu par le candidat en question, l’intégration de l’école lui est refusée, et ce, même si son dossier est irréprochable et qu’il est major de promotion. C’est pour cette raison que l’Ecole a jouit d’une réputation irréprochable. «Mais ça, c’était avant», se désolent les enseignants. Selon eux, cette année, la directrice de cet établissement a convoqué les candidats dont les dossiers ont été rejetés lors de l’inscription par internet (moyenne de classement inférieure à 10), pour s’inscrire en 1re année Master. Or ces universitaires n’auraient même pas été acceptés dans leurs universités respectives, la moyenne exigée étant de 10/20 minimum. «C’est dans une note d’information destinée aux enseignants que nous avons pris connaissance d’une ‘‘supposée liste d’attente’’ qui n’a jamais existé, et ce, sans même convoquer la commission», assurent les enseignants. Sur cette note, on peut lire : «Il est porté à la connaissance des enseignants que les étudiants qui étaient sur la liste d’attente pour poursuivre les études en première année Master ont été convoqués suite au désistement des candidats reçus. Prière de faire le nécessaire pour les intégrer dans le groupe.» Question : appelée Ecole de l’excellence, l’ENSM a pourtant fait appel cette année à des étudiants dont les dossiers ont été rejetés lors de leur inscription, et ce, sans faire appel à la commission. La raison avancée est que ces derniers faisaient partie d’une liste d’attente, or, selon les sources, cette liste d’attente n’a jamais existé depuis la création de l’école. Estimez-vous normal que cette école de l’excellence puisse accueillir des étudiants qui n’ont pas la moyenne juste pour remplir les bancs car il y a eu des désistements ? Amina Messaid : «Lorsque les détails des opérations sont ignorés, il est clair que tout est possible à affirmer. Le processus de préinscription et de sélection répond à des exigences connues de la tutelle, il s’agit d’une opération très lourde qui débute au mois de juillet pour s’achever au début du mois d’octobre. L’ensemble des phases, avec les listes et les PV, est consigné dans un rapport transmis à la tutelle et jusqu’à l’heure actuelle en cette fin de semestre, nous n’avons été interpellé sur aucune anomalie.» «Suppression de Masters» Résumé du problème : des Masters dans des spécialités très demandées et surtout utiles pour le pays ont été gelés puis carrément supprimés. Explication : un Master en économie industrielle, qui est un Master très en vogue dans le monde et surtout nécessaire pour le pays de manière général, a été gelé. La raison avancée : «Absence de professeurs pour enseigner ce Master.» Or, cette même spécialité était dispensée par le professeur Farid Gasmi, qu’on ne présente plus. En effet, il s’agit d’une pointure reconnue dans le milieu de l’économie. Il est notamment professeur d’économie à l’université de Toulouse et a même assisté le Prix Nobel de 2016. «Farid Gasmi n’est pas un cas à part. En effet, des compétences reconnues mondialement ont été remerciées et remplacées par des enseignants dont certains n’ont même pas le bac», assure un professeur de cette école. Question : qu’en est-il de la suppression de certains Masters ? Pourquoi avoir remercié de nombreux professeurs venus de l’étranger pour apporter leurs expériences de manière gracieuse ? Amina Messaid : «Nous n’avons pas supprimé de master mais gelé un seul master en 2014 en raison du manque d’encadrement en enseignants permanents dans la spécialité et de la faible demande des étudiants. Il faut comprendre que nous n’avons remercié personne (aucune notification par écrit n’existe à ce sujet) et que nous continuons à recevoir des enseignants invités de France, du Canada, d’Angleterre, etc. Parallèlement, nous avons étoffé l’effectif de l’encadrement pédagogique, puisque de 7 enseignants permanents en 2014 nous en sommes à 30 enseignants et à 7 spécialités comparativement au 3 spécialités au démarrage de l’école (les programmes sont visibles sur notre site web www.ensm.dz). Quant à l’effectif des étudiants, il était de 92 étudiants en 2014, il est actuellement à plus de 350 étudiants. Pour information, notre école ne forme que les niveaux Master et doctorat, grâce à la qualité de la formation dispensée nous avons un taux d’employabilité de 90%. Par ailleurs, plusieurs conventions de partenariat ont été signées avec des entreprises et institutions pour des collaborations diverses, dont l’accueil de nos stagiaires, la formation continue des cadres, la mise en place d’équipes mixtes de recherche, etc. Nous demandons à toutes les personnes intéressées par les activités de notre établissement de s’en rapprocher pour avoir de plus amples informations.»  

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