Ghilas intègre l’équipe de Charlie Hebdo dix mois avant l’attaque terroriste perpétrée par les frères Kouachi contre ce journal satirique français, faisant treize victimes dont cinq dessinateurs, Cabu, Charb, Honoré, Tignous, wolinski et le correcteur algérien, Mustapha Ourad. Cinq mois plus tard, c’est lui-même qui devient l’objet de menaces sur les réseaux sociaux. Sa plainte déposée à Béjaïa le 19 janvier 2015 n’a eu aucune suite. Aujourd’hui, inquiet, il livre ses craintes à El Watan et parle de son expérience humaine à Charlie Hebdo.
- Qui sont, selon vous, ces gens qui vous menacent sur les réseaux sociaux ? Et pour quel objectif ?
Comment puis-je le savoir ? Ils ont toujours agi en anonymes, des gens qui ne peuvent s’exprimer à visage découvert, qui agissent sous des pseudos, n’affichent jamais leur identité véritable. Ce sont des individus qui n’ont rien à voir ni avec la religion ni avec la patrie.
C’est à croire que leur occupation se limite à harceler tous ceux qui vont à l’encontre de leurs idées. Ils n’ont que cela à faire à longueur de journée.
Leur objectif, bien entendu, est de jouer sur le moral du destinataire. Faire pression, créer un climat de peur permanent pour déstabiliser leur supposé adversaire. Qui se cache derrière ? Des manipulateurs zélés qui profitent de l’innocence et de l’ignorance de certains de nos jeunes pour les induire en erreur. Il suffit qu’on leur désigne une cible pour qu’ils s’acharnent dessus sans prendre la peine de réfléchir. Maintenant tuer, violer, lapider, menacer en direct à la télé au nom de l’islam, cela passe inaperçu, cela devient acceptable. Par contre collaborer avec Charlie, cela devient un crime contre l’humanité ! Une aberration !
- En dehors des réseaux sociaux, avez-vous été déjà menacé dans la vie réelle, notamment après avoir affiché vos photos avec les défunts caricaturistes de Charlie Hebdo assassinés par des islamistes en janvier dernier ?
Oh, oui ! Des menaces à peine voilées par des gens qui prétendent détenir le monopole sur la religion et sur le patriotisme. Au début, je n’ai pas pris cela au sérieux, mais au fil du temps, j’ai compris que ces énergumènes étaient bien remontés contre Charlie et tous ceux qui gravitent autour. L’intolérance est de retour. La liberté d’expression pour laquelle les Algériens ont payé le prix fort est aujourd’hui révolue. Plus de 120 journalistes, à l’instar de Tahar Djaout et Saïd Mekbel, des artistes comme Matoub ont payé de leur vie pour l’avènement d’une société libre. Leur sacrifice ne doit pas être vain.
- En tant qu’artiste caricaturiste, pensez-vous que l’islamisme constitue encore une menace pour l’art en Algérie ?
Bien sûr que oui ! La preuve, je ne cesse de recevoir des menaces et des insultes de la part de ces intégristes. Ces derniers jours, à Béjaïa, des fanatiques sont montés au créneau pour demander l’interdiction des galas en plein air durant le Ramadhan. C’est l’attaque aux non-jeûneurs, aux robes courtes... N’importe qui peut décider de ce qui est «halal» et de ce qui est «haram» en l’absence des autorités publiques. Cela fait diversion, car c’est ce qui permet de détourner l’attention des véritables problèmes.
Pour ce courant bien fourni en pétrodollars, ce qui ne va pas dans son sens est à éliminer. Chez ces gens-là, on ne réfléchit pas. On se contente d’exécuter les ordres de pseudos muftis. Désormais Daech peut compter sur ses appuis salafistes en Algérie qui gagnent du terrain et qui n’attendent que leur heure pour frapper.
- Selon vous, pourquoi cette idéologie s’oppose-t-elle à l’art ?
L’art est un rempart contre l’obscurantisme. De ce fait, il ne peut être que mal vu par les obscurantistes de tous poils. Leur but est de créer du vide dans les esprits, au sein de la société et ensuite procéder au remplissage programmé. Le terrain est miné de toutes parts et nos dirigeants ne semblent pas s’en inquiéter.
Des bombes à retardement qui se multiplient de jour en jour au vu et au su de tout le monde. Le Coran est fait de calligraphie et la calligraphie, c’est de l’art. Donc, le Coran rime avec art et ces intégristes sont contre l’art. La preuve que ces fanatiques ignorent bien des choses. Ils n’ont rien à voir ni avec la religion ni avec l’art.
- Vous savez très bien que le fait de rejoindre l’équipe de Charlie Hebdo constitue en soi un danger. Mais vous l’avez fait. Qu’est-ce qui a motivé votre choix ?
Charlie Hebdo pour un dessinateur de presse est comme le Real Madrid ou le FC Barcelone pour un footballeur. J’ai toujours rêvé de travailler à Charlie. J’ai rencontré de grands noms de la caricature (Cabu, Wolinsky, Charb…), auprès de qui, le jeune caricaturiste de 25 ans que j’étais (en mars 2014), a trouvé des qualités humaines incroyables : simplicité, compréhension et encouragements ; des gens auprès de qui je me suis beaucoup amélioré. Par conviction et par respect pour eux je n’ai pas le droit de céder à la peur et aux menaces. Mais aussi, j’ai pour souci de me perfectionner.
Car arrêter avec Charlie serait une lâcheté et une trahison de ma part. J’ai perdu des amis qui, je l’ai toujours répété, n’ont rien contre l’islam en tant que religion. Bien au contraire, je l’ai constaté de moi-même. Durant le Ramadhan, ils ne mangeaient jamais devant moi. C’étaient de bons vivants plein d’humanisme. Ils se souciaient beaucoup plus pour moi que pour eux. Pour moi, ce sont des victimes innocentes qui sont mortes dans le dur combat pour la liberté d’expression.
- Vous qui avez côtoyé les caricaturistes de Charlie, quel souvenir gardez-vous d’eux ?
J’ai gardé de très bons souvenirs. Au siège, c’était toujours la bonne ambiance, du rire à longueur de journée. Ils étaient tous profondément humains et d’une grande simplicité. Des encyclopédies vivantes qui aimaient vivre terre à terre avec leurs semblables. Il n’y avait que de l’amour chez eux, la haine n’avait pas droit de cité.
- Sont-ils réellement anti-islam comme beaucoup le disent ?
Archifaux ! C’est juste une étiquette. Défendre la laïcité, être différent ce n’est pas de l’anti-islam. Ils avaient du respect pour toutes les religions. Ils ne faisaient que dénoncer l’hypocrisie religieuse et tous ceux qui utilisaient la religion à des fins personnelles. Pour eux, les religions ont pour synonymes la fraternité, la paix, la tolérance et liberté.
Elles ne doivent jamais être associées à n’importe quel type de violence. Ce sont certains médias et des ignorants n’ayant peut-être jamais lu Charlie, n’ayant pas le sens de l’humour, qui ont donné cette image d’eux. Ceux qui assassinent, massacrent, torturent, menacent au nom de l’islam, comme Daech et compagnies, sont les véritables ennemis de l’islam, de l’humanité et salissent cette noble religion.
- Quel est l’objectif de la caricature selon vous ?
Rire, réfléchir et agir, voilà ce qui résume parfaitement la caricature. Par la satire, elle sert à dénoncer au quotidien les travers de la société et les dérives de ses acteurs à tous les niveaux.
- Et quels sont les vôtres (objectifs), vos rêves et vos projets d’avenir ?
Mon objectif premier est de rester d’abord en vie (rire) et faire en sorte de continuer à vivre de ma passion. Sinon, tant pis, Lah Yarhem ! (rire). Une chance pour moi d’exercer le métier qui me tient à cœur, le dessin de presse étant devenu ma raison d’être. Mon rêve est de vivre dans un monde sans violence, un monde de paix et d’amour. Quant à mes projets d’avenir, je ne parlerai que d’un seul pour le moment. Il consiste en l’édition d’un deuxième recueil de mes dessins, le premier ayant déjà vu le jour il y a une année.
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