mercredi 1 juillet 2015

Chronique : Revenir aux précurseurs

Poursuivons aujourd’hui la réflexion sur la laïcité et surtout sur son «infortune» en contextes islamiques. Tout d’abord, bien que les précurseurs et continuateurs du mouvement de la Nahda – dans ses sens premier et historique et non pas dans le sens usurpé par les partis politiques islamistes – aient compris l’importance de la laïcité et aient milité pour son avènement, les problèmes ont surgi suite à des considérations relatives à la traduction.

On a rendu le vocable «laïcité» dans les langues pratiquées par les peuples musulmans et donc véhiculaires de la pensée islamique par quelques approximations, voire des barbarismes. Ce qui a donné en langue arabe, par exemple, l’équivalent de «scientisme» et «mondanité» voire une étrangeté du genre «mondité». Ainsi, la véritable signification du terme a-t-elle été détournée. En outre, les commentaires fusaient et allaient bon train pour expliquer le type de gouvernement qui optait pour la laïcité.

C’était, pour certains, le gouvernement de ceux qui ne professaient pas de religion. Cela a été reçu comme une volonté d’imposer l’incroyance et l’irréligion au lieu d’être perçu comme un principe de neutralité quant aux questions religieuses dans la gestion des affaires de la cité. Or les pères de la Nahda l’avaient bien compris et c’est pour cela qu’ils s’étaient réjouis et s’étaient félicités de l’abolition du califat par la grande assemblée nationale turque en mars 1924. Ils avaient même regretté que ce fût aussi tardif.

Parce qu’ils savaient que le califat n’avait aucun caractère sacral. Il commença par la désignation d’un homme Abu Bakr en 632 et finit par l’action d’un homme Mustapha Kemal Atatürk en 1924. Ce n’est pas pour rien que, ayant saisi l’importance de ne pas mêler les questions religieuses aux affaires politiques, Ali Abderraziq a composé son ouvrage célèbre, un an plus tard, avec le titre L’Islam et les fondements du pouvoir. Un ouvrage qui provoquera tout une ébullition et des réactions tumultueuses.

L’auteur a été porté aux nues par les uns et voué aux gémonies par les autres. Mais on pouvait débattre et ce fut argument contre argument avec comme seul arbitre l’entendement. Et ce n’est pas pour rien non plus que Cheikh Abdelhamid Ben Badis avait demandé l’application de la loi du 9 décembre 1905 portant sur la séparation des Eglises et de l’Etat, aux départements outre-Méditerranée. Il ne comprenait pas pourquoi il y eut une dérogation de dix ans prorogée encore dix ans supplémentaires en 1915 avant que le cas exceptionnel de l’Algérie ne fût prorogé sine die en 1925.

C’est parce que le président de l’Association des oulémas algériens n’avait que trop compris l’intérêt qu’il y avait à libérer la religion de la mainmise de l’administration coloniale. Celle-ci tenait les cadis, les muftis et les imams. Il était requérant auprès du conseil d’Etat pour que la loi fût généralisée à l’ensemble du territoire de la République de l’époque.

D’ailleurs, on retiendra pour la postérité, après qu’il a été débouté, cette phrase : «Il ne nous reste plus qu’à compter sur Dieu et sur nous-mêmes et que ce soit dans un Etat laïque, avouez-le, c’est quand même un peu cocasse.» Ce n’est que de nos jours, soit à cause de la méconnaissance du sujet, soit à cause de la mauvaise foi manifeste, que la notion de laïcité est assimilée à l’athéisme et à l’anti-religion. Nous verrons prochainement en quoi tout cela relève de billevesées et de fadaises.

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