mercredi 22 juin 2016

Le bug du gouvernement

Mme Feraoun annonce solennellement que «des mesures sévères seront prises à l’encontre des fraudeurs utilisant ces techniques, ainsi que les artisans de cette machination». Dans un entretien accordé à nos confrères de l’APS, la ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication, Imane Houda Feraoun, est revenue sur les dernières perturbations qui ont brouillé la connexion internet et sur le blocage partiel des réseaux sociaux. Ces dysfonctionnements sont la conséquence, rappelle-t-on, d’un black-out imposé par le gouvernement à l’occasion du déroulement des épreuves du «bac-bis». «Dans l’objectif de protéger nos candidats au baccalauréat contre les tentatives de déstabilisation via de faux sujets et des rumeurs malveillantes, nous avons procédé, en relation avec l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications ainsi que l’ensemble des opérateurs de télécommunications, à la restriction de l’accès aux principaux réseaux sociaux pendant des horaires limités liés à ces examens», a indiqué Mme Feraoun. Alors que l’opinion s’est montrée peu convaincue par cette contre-offensive électronique jugée clairement «disproportionnée» et que nombre d’experts ont mis en doute son efficacité technique, la représentante du gouvernement assure que «ces mesures ont permis l’avortement de tentatives criminelles qui visaient à mettre en péril le devenir des milliers de candidats au baccalauréat». «Je comprends parfaitement, concède-t-elle, qu’être privé de réseaux sociaux pendant quelques heures soit une source de désagrément, notamment dans une société dynamique composée d’une majorité de jeunes portés sur les TIC, comme la nôtre, mais je pense que le devenir de nos enfants et concitoyens candidats au bac nous oblige à faire le sacrifice et à céder un peu de notre bien-être personnel pour contribuer au bon devenir de toute la société. Je suis sûre qu’en dépit des réactions compréhensibles de certains de nos concitoyens mécontents, les Algériens, connus pour leur sens de la citoyenneté et de la responsabilité, qui se révoltent contre la fraude, qui souhaitent voir nos enfants à l’abri de toute surenchère, qui militent pour l’égalité des chances entre candidats, sont satisfaits de ces mesures et acceptent dans la bonne humeur d’être privés quelques heures du loisir de surfer sur facebook ou autre.» Interrogée sur le caractère inédit de cette mesure (au point que même des médias internationaux s’en sont fait l’écho), la ministre de la Poste et des TIC a tenu à préciser : «Tout d’abord, il ne s’agit pas de coupure car nous avons seulement réduit le trafic, et ce, juste pendant la première moitié du premier examen, afin de déjouer les desseins de certains groupuscules qui activent pour perturber le déroulement des épreuves. Le blocage pendant la nuit ne concernait que les réseaux sociaux.» Et d’ajouter : «Je dois rappeler, à ce titre, que rien n’est plus important que l’avenir de nos enfants, eux-mêmes avenir de notre pays.» Couvre-feu 2.0 Quitte à donner une piètre image de l’Etat et laisser l’impression (comme cela a été à juste titre ressenti) que l’autorité publique est complètement vacillante, Imane Houda Feraoun défend mordicus le plan antifraude de l’Exécutif en soulignant le caractère urgent de la situation : «Le gouvernement a toute latitude de prendre des mesures conservatoires lors de  situations d’urgence, tant que l’intérêt public l’exige.» Dans son argumentaire, la brillante physicienne fera remarquer que «l’Algérie ne fait pas exception». «Il y a eu des restrictions de certains réseaux sociaux dans d’autres pays pour diverses raisons, y compris celles liées au baccalauréat. Il faut ajouter que les réseaux sociaux ne sont qu’une partie de ce qu’on appelle les applications OTT (Over The Top). Il s’agit d’applications qui utilisent les réseaux déployés par les opérateurs de télécommunications à des fins commerciales et sans contrepartie pour ceux-là, aboutissant à la saturation de la bande passante en plus de la concurrence sur le segment de la voie pour les propriétaires mêmes des réseaux. La problématique de leur existence fut l’objet de batailles entre opérateurs de télécommunication, sociétés civiles et opérateurs OTT dans la quasi-totalité des pays européens, américains et certains pays asiatiques. Il s’agit en l’occurrence de la remise en question du principe de la neutralité du Net. Divers pays ont autorisé leurs opérateurs de télécommunication à bloquer temporairement ou définitivement les OTT, voire même à négocier avec ceux-là les conditions tarifaires du maintien du service.» Enfin, invitée à s’exprimer au sujet du recours au VPN (Virtual Private Network) pour contourner les restrictions imposées aux réseaux sociaux, Mme Feraoun a affirmé que ses services ont résolu de ne pas les bloquer : «Le blocage des VPN, qui sont des réseaux virtuels privés, donc cryptés, se fait moyennant le filtrage de tout le trafic crypté et nuirait donc sérieusement aux échanges internet non incriminés, notamment les courriers électroniques. Nous avons donc préféré surseoir à ce mode de blocage.» Et de charger les «fraudeurs VPN» qui seraient loin d’être, à l’écouter, de petits geeks sympas : «Il faut reconnaître que cette machination qui a visé à généraliser entre les jeunes l’usage du VPN dépasse de loin le stade des simples fraudeurs ordinaires.» Voilà qui vient conforter la thèse du «complot anti-Benghebrit». Si «machination» il y a, il est légitime de subodorer que celle-ci aurait des ramifications au sein même de l’appareil d’Etat. A défaut de confondre les sombres commanditaires de cette cabale, Mme Feraoun annonce solennellement que «des mesures sévères seront prises à l’encontre des fraudeurs utilisant ces techniques, ainsi que les artisans de cette machination». Au passage, elle «regrette le fait de voir des médias inciter les jeunes à en faire usage». «Je dois également préciser que l’usage de proxy pour contourner le blocage est hautement préjudiciable à l’intégrité des données personnelles stockées sur leurs ordinateurs ou smartphones.» De la tricherie au bac, nous voici donc confrontés à une nouvelle «infraction» de masse : le «délit VPN». Reste à savoir sur quel texte de loi de telles sanctions vont se baser ? Quel est le corps du délit ? Que nous sachions, il ne s’agit pas d’une foucade de hackers ou d’un acte de piratage de données, mais d’un contournement de cet encombrant… «couvre-feu 2.0» que le gouvernement avait, décidément, bien du mal à assumer publiquement.  Erreur système. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : on se souviendra longtemps de ce bac 2016. Un bug d’Etat…

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