mercredi 6 septembre 2017

«Nous avons perdu 10 ans dans la réforme du système financier»

Pour parer à la crise des liquidités, le gouvernement a été instruit pour mettre en œuvre des financements non conventionnels. D’abord, qu’est-ce qu’un financement non conventionnel ? N’étant ni économiste ni expert en politique monétaire, j’éviterai d’aller sur une définition technique ou académique des politiques et des instruments de financements non conventionnels de l’économie. Il faut savoir que le rôle d’une Banque centrale est d’assurer les conditions de financement durable et pérenne de l’économie, au travers de règles et de mécanismes régissant la création de monnaie, le fonctionnement des banques et le crédit, qu’il soit en direction des entreprises ou des ménages (…). Pour éviter de plaquer des concepts utilisés ailleurs dans des contextes de structure économique différents, il faut vraiment se concentrer sur le contexte algérien. Ce dernier se caractérise par un assèchement des ressources financières de l’Etat, des banques publiques et par l’existence d’une sphère informelle importante, estimée entre 40 et 50% du PIB ; cette situation risque de provoquer une rupture du cycle de croissance dans la mesure où, ces dernières années, les investissements ont surtout été du fait de l’Etat. Un arrêt brutal des investissements publics peut provoquer des déséquilibres socioéconomiques graves. Dans ce contexte, l’instruction de Monsieur le président de la République en matière de recherche de mécanismes de financement non conventionnels doit se comprendre à trois niveaux : 1- Au niveau central, c’est-à-dire au niveau de la définition de la politique monétaire, la question posée est comment injecter de l’argent dans l’économie, donc recourir à la planche à billets, sans en subir les contrecoups et les effets négatifs ? Cela appelle à de nouveaux mécanismes de prise de garanties de la Banque centrale sur les banques commerciales, et à de nouveaux cycles de financement plus longs de manière à impulser la disponibilité de liquidités au service de l’économie. Cela appelle aussi à une nouvelle approche des taux directeurs pour inciter les banques à financer l’économie réelle au lieu de thésauriser les disponibilités. 2- Au niveau opérationnel, c’est-à-dire dans la relation entre les banques et les clients, comme les entreprises, les ménages et les collectivités locales, les approches non conventionnelles visent à inciter les banques à prendre plus de risques, et donc à modifier les règles prudentielles, définir ou impulser de nouveaux modes de garanties, comme les garanties financières et l’assurance-crédit, et creuser les différents modes de refinancement des crédits sur la place financière, c’est-à-dire entre les banques. 3- Au niveau structurel enfin, nous avons dit plus haut que le niveau élevé d’investissement sur fonds publics n’est plus possible en raison de la crise financière que traverse l’Etat. Ce niveau élevé de dépense publique a eu aussi des effets pervers et inverses à ce qui était attendu, car il a été facteur d’inefficacité, de corruption et de bridage du développement du secteur économique, privé en particulier. Aujourd’hui, la recherche de modes de financement non conventionnels doit ouvrir la porte à des pistes, comme la concession de service public au secteur privé, le développement des projets d’investissement public/privé, y compris par des modes de BOT (Build Operate Transfer), le recours à l’émission d’obligations de projets, ainsi que le recours au financement de projets en Bourse au travers de véhicules spécifiques que sont les sociétés de projets. Il faut aussi faciliter le financement des investissements par un recours au financement international. Le Premier ministre a annoncé, avant-hier, la réforme de la loi sur la monnaie et le crédit afin justement de permettre l’existence de ce type de financements. Quelles seraient les dispositions de la loi en vigueur qui ne permettent pas leur existence ? La question est plutôt : quelles modifications apporter pour répondre aux questions citées plus haut ? C’est tout un chantier qui s’ouvre et non pas un petit bidouillage de la Loi sur la monnaie et le crédit (LMC). Par ailleurs, il ne faut pas croire que seule la LMC sera touchée et je pense que  le Premier ministre envisage l’ajustement de la LMC comme le début d’un processus, car ensuite il faut aborder plusieurs sujets sensibles, comme les conditions opérationnelles d’agrément des banques, l’approfondissement de la réforme fiscale pour élargir l’assiette et inclure le secteur informel, la relance de la Bourse et du marché obligataire, la réglementation des Partenariats public-privé (PPP), et la liste est longue. Il faut bien se dire que nous avons perdu 10 ans de réformes non faites et de recul sur les réformes engagées au début des années 1990. Le déficit du budget de l’Etat a atteint 30 milliards de dollars en 2016. Jusqu’où, selon vous, la mobilisation des financements non conventionnels peut parer à ce déficit. Autrement dit, combien d’argent le gouvernement peut espérer mobiliser ? Croire qu’on va résoudre la question du financement de l’économie d’un coup de crayon sur une loi est une vue de l’esprit. Le déficit est à l’image de la structure de notre économie : une économie dépendante des ressources pétrolières, bureaucratisée à outrance et structurée autour de l’accès à la rente. En plus de cela, c’est une économie traversée par une crise de confiance profonde entre les acteurs. Les derniers épisodes de la vie politique ont bien montré le fossé existant entre certains secteurs de l’appareil d’Etat et le secteur privé, de même que l’échec des appels à l’emprunt d’Etat ou à la régularisation fiscale ont montré que la masse de la population ne fait pas confiance à l’administration. Ceci pour dire que le chemin est long et qu’on ne peut pas tabler sur un rééquilibrage des comptes à court terme. Là aussi ce sont des chantiers lourds qui s’ouvrent sur les subventions, sur la diversification économique, sur l’efficacité des programmes et des dispositifs publics et leur gouvernance. La sphère informelle contrôle plus de 40% de la masse monétaire. N’est-ce pas là l’enjeu réel de la mise en œuvre de nouveaux instruments financiers ? Non, ce n’est pas seulement cela l’enjeu. Il est clair que la sphère informelle contrôle une part importante des liquidités. Mais cette sphère informelle participe à l’économie réelle, ce n’est pas de l’argent qui dort. Le problème de l’informel, c’est la perte d’une partie des ressources fiscales par l’Etat, c’est la concurrence déloyale au secteur formel, et le risque en termes de couverture sociale des employés. Dans un contexte de difficultés financières, le poids de l’informel peut devenir catastrophique, car il pèse sur la dépense publique et ces millions de travailleurs non déclarés «consomment» du service public, des produits subventionnés sans contrepartie fiscale ni cotisations sociales. Pourtant, il ne s’agit pas de mener un combat perdu d’avance contre ce secteur informel, mais au contraire, d’avoir une démarche inclusive en réduisant la charge fiscale et parafiscale, élargir l’assiette des cotisants et contribuables par plus de facilités. Sur un autre registre, l’argent de l’économie informelle ne peut aller que là où il y a du rendement financier. Si l’économie formelle n’est pas attractive, tous les discours et toutes les lois du monde ne serviront à rien. C’est un autre sujet à creuser.   La tentation de faire fonctionner la planche à billets pour combler les déficits ne se profile-t-elle pas derrière ce concept générique de financement non conventionnel ? La question n’est pas de recourir ou pas à la planche à billets. D’autres économies ont eu à le faire. La question, c’est celle des garanties qu’on met en place et de la vision de développement économique. Si on recourt aujourd’hui à la planche à billets en ayant une vision claire des avantages et des risques à prévenir, pourquoi pas ? C’est une sorte de décaissement anticipé sur une croissance à venir. Mais si on recourt à la planche à billets en situation de panique, sans visibilité, sans stratégie de réformes, sans mesure de diversification ni d’encouragement des investissements, alors on va droit dans le mur (ou dans l’iceberg pour reprendre une image déjà utilisée). Encore une fois, on ne peut dissocier les mesures de réformes les unes des autres.  

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