dimanche 10 décembre 2017

«Les conditions socioéconomiques favorisent la propagation de l’extrémisme»

Directeur du Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme (Caert), Larry Gbevlo-Lartey évoque, dans l’entretien qu’il nous a accordé, les nouvelles approches qui consistent à aider et accompagner les religieux dans les pays du Sahel, pour qu’ils prennent en charge les communautés, et préserver les jeunes des discours extrémistes et radicaux. Il parle  de la difficulté à contrôler cet immense espace qu’est le Sahara, où évoluent aussi  bien les terroristes que les contrebandiers et les trafiquants de drogue en utilisant la technologie… - Le Caert a organisé, mercredi et jeudi derniers, un atelier consacré aux manuels de l’éducation religieuse dans les écoles des pays du processus de Nouakchott, et auquel ont pris part les membres de la Ligue des oulémas,  des prêcheurs et des imams des pays du Sahel. Qu’en est-il au juste ? La Ligue des oulémas est un groupe d’hommes de religion de la région du Sahel qui existe depuis un certain temps. Nous travaillons avec elle pour voir quelle formation donner aux jeunes et quel contenu ou quel programme doit-on avoir pour préserver la jeunesse de l’extrémisme. Il faut qu’on sache qui enseigne et qu’est-ce qu’il enseigne à nos enfants pour pouvoir s’assurer qu’ils ne sont pas entre de mauvaises mains. C’est important de savoir qui est en train d’enseigner à votre enfant et ce qu’il est en train de lui apprendre. L’atelier permet un échange d’expériences entre les différents participants qui viennent de l’ensemble de la région  du Sahel. - Comment une région comme le Sahel, où la pratique religieuse a toujours été loin de toute violence et proche du soufisme, puisse aujourd’hui devenir le réceptacle de groupes terroristes qui prônent la violence ? Il faut reconnaître qu’il y a eu des conditions  qui ont conduit à cette situation. Dans le premier pilier du fonctionnement de l’Onu, on met l’accent sur les conditions qui favorisent le développement de ce fléau. Le problème ne vient pas de l’Etat-nation, mais plutôt de la communauté. Raison pour laquelle le Caert met l’accent sur le travail en direction des communautés afin de juguler la problématique des vulnérabilités capables de favoriser l’invasion de l’extrémisme. Lorsqu’on travaille avec les Oulémas et les imams, inévitablement on touche de près les communautés qui constituent la base de la société. - Pensez-vous que la propagation de  l’idéologie extrémiste et radicale est due surtout à la manière d’enseigner la religion, ou est-elle également liée à la dégradation de la situation socioéconomique ? Souvent, ce sont les conditions socioéconomiques qui aident à la propagation de l’extrémisme. Mais c’est dans la communauté qu’on peut aider un jeune à mieux vivre. Si vous le laissez entre les mains de l’oisiveté, n’importe qui peut l’entraîner vers l’inconnu et réussira à le convaincre que c’est dans la voie de l’extrémisme qu’il vivra mieux.  Approcher les communautés et leur apprendre à mieux encadrer les jeunes est très productif. - Comment un religieux peut-il se faire entendre par les jeunes de sa communauté qui vivent dans le chômage, l’exclusion, la malvie, voire dans des conditions des plus inhumaines, comme c’est le cas dans une bonne partie des pays de la région du Sahel ? Justement, nous pensons que si les religieux réussissent à capter l’intérêt ou l’attention des jeunes de manière à ne pas les laisser livrés à l’oisiveté, nous pouvons espérer que ces derniers ne puissent pas avoir le temps pour écouter ceux qui prêchent l’extrémisme. Le plus important est de faire en sorte que les jeunes soient occupés par des activités communautaires, que de rester toute la journée à ne rien faire. Si les terroristes veulent mobiliser, ils vont vers les communautés. C’est là où ils vont recruter. Raison pour laquelle nous insistons beaucoup sur elles. Nous les mobilisons contre l’extrémisme et le radicalisme. C’est là que se mène la bataille contre le terrorisme et nous avons beaucoup progressé… - C’est quand même paradoxal de constater qu’au moment où des puissances extrarégionales se déploient sur le continent pour lutter contre le terrorisme, nous assistons à la prolifération des armes de guerre, la multiplication des réseaux de trafic de drogue et le renforcement des capacités des organisations terroristes et du crime transfrontalier. Comment expliquer cette situation ? Pour nous, ce n’est pas un paradoxe. De tout temps, le Sahara et le Sahel ont été un espace traversé par des routes de commerce vers les pays arabes, l’Afrique Occidentale,  l’Orient, l’Europe, etc. Aujourd’hui, le même système fonctionne, mais avec des produits nouveaux  comme la drogue, les cigarettes, les armes, etc.  C’est très difficile comme intérêt. Il y a des routes partout, mais pas de place, ni de contrôle, ni de regroupement de personnes. C’est une place très favorable pour tous ces crimes. C’est difficile de faire des contre-actions. Ils sont en train de profiter de cette donne… - Sauf qu’avant il n’y avait pas la technologie qui permet aujourd’hui d’avoir des informations en temps réel sur tout ce qui se passe dans ce grand désert… La technologie profite aussi bien aux gouvernements qu’aux groupes de terroristes et aux contrebandiers. Avant, les caravanes mettaient des mois pour arriver à destination. Aujourd’hui, avec les moyens de transport, les terroristes mettent un temps record pour passer d’un pays à un autre. Il faut reconnaître que la technologie est à double tranchant. Elle est aussi utilisée par les criminels qui évoluent selon la situation.  Le Sahara est un terrain  très difficile à contrôler. - Bon nombre de spécialistes craignent que les terroristes de Daech, vaincus en Irak et en Syrie, trouvent refuge dans cette région vulnérable qu’est le Sahel, ou dans d’autres espaces du continent, comme l’Afrique de l’Ouest. Qu’en pensez-vous ? Ces gens qui prédisent ce genre de scénario, ont-ils des statistiques ? Qui sont venus au Sahel ? Vers où sont-ils partis ? Et surtout qui sont-ils ? Il faut avoir les réponses à ces questions pour pouvoir avancer de telles thèses. Le crime transfrontalier, oui il existe et il est fort. Il y a beaucoup de trafiquants de drogue, de cigarettes, etc. Les terroristes tirent profit de cette situation pour asseoir leur présence…

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