samedi 1 août 2015

«Nous sommes optimistes quant à l’avenir de l’amazighité en Algérie»

Le Haut-Commissariat à l’amazighité (HCA) a organisé un  colloque sur la toponymie à Jijel. Quels sont les objectifs de cette rencontre, qui a eu,  fait remarquable, le soutien d’institutions, dont certaines sont concernées par les recommandations qui seront formulées  au terme du colloque (normalisation, revivification du toponyme berbère...) ?

Le HCA convie des chercheurs, de différentes régions du pays à une réflexion plurielle et approfondie en offrant l’opportunité de croiser les réflexions, d’aller vers les questionnements fertiles et constructifs avec la perspective d’introduire de  nouveaux axes de recherche sur les multiples voies d’exploitation de la connaissance sur les toponymes.

Ce colloque est nourri de l’échange d’observations ainsi que du capital d’expériences des uns et des autres. En ce sens, cette rencontre de Jijel est importante par ses recommandations formulées et qui visent une meilleure prise en charge de notre riche et précieux patrimoine toponymique. Concernant les recommandations, nous ne retenons que celles qui cadrent avec les missions dévolues à notre institution dont :

- la mise en place un protocole-cadre engageant les institutions étatiques et universitaires pour la prise en charge du patrimoine toponymique par l’élaboration d’une plateforme unique de réflexion et un plan de charge commun.

Le Haut-Commissariat à l’amazighité, le Centre national de l’information géographique, le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle d’Oran, le Centre national de recherche en préhistoire, anthropologie et histoire, et d’autres secteurs travaillant sur cette problématique sont appelés à œuvrer sur cette voie.

Il y a nécessité de former, au niveau des Assemblées populaires communales, des personnes sources, susceptibles de fournir des toponymes fiables, de les noter (transcrire) de façon précise (notation phonétique) afin d’éviter les approximations dont nous héritons.

Cela permettra d’entamer, dans la sérénité, le lexique toponymique national, et ce, dans le cadre d’une éventuelle mise en place d’une commission mixte HCA- ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales.
 
Vous aviez affirmé que le HCA a mis l’accent sur la formation. Des rencontres sont/seront organisées au profit des enseignants, des associations et même des médias. Pouvez-vous nous en dire davantage ? S’agira-t-il de la généralisation de tamazight dans les radios locales, d’un lexique à mettre à la disposition des professionnels ?

Au HCA, tout converge vers le chapitre ô combien important de la formation au profit de celles et de ceux qui font de tamazight un moyen d’expression et un outil de travail.

D’ailleurs, le plan de charge du HCA axe son action sur la formation destinée à quatre catégories : le corps d’enseignants, les représentants du mouvement associatif, les porteurs de projets inhérents à la pérennité du patrimoine immatériel. Autre préoccupation et pas des moindres, la formation de journalistes envers lesquels le HCA œuvre à apporter la perfection à l’aide d’un cursus qui s’inscrit dans le long terme.

Pour ce faire, le HCA en étroite collaboration avec le ministère de la Communication prendra en charge et de façon périodique les besoins nouveaux en matière de langue, des approches techniques et de la méthodologie.

Concernant les médias, force est de constater que nos journalistes de la presse écrite et audiovisuelle d’expression amazighe sont confrontés, au quotidien, aux problèmes des limites de la langue ; autant d’écueils qui s’ajoutent ainsi à leur tâche principale d’informer.

Mais qu’à cela ne tienne, le HCA s’astreint à lever ces entraves au moyen de l’élargissement des possibilités lexicales de tamazight à même de les aider à faire face  à des situations d’extrême nécessité et d’urgence.

En effet, l’indigence du lexique terminologique et conceptuel s’en ressent dans divers domaines d’activité, notamment : les sciences, la politique, l’économie, l’art, le sport, etc. Les cycles de formation initiés par le  HCA répondent aux besoins pressants de nos enseignants et journalistes à s’acquitter de leur noble mission  d’instruire et d’informer, particulièrement par l’échange d’idées et de débats au sein même de la communauté universitaires, où excellent des praticiens du domaine amazigh.
 
Une décision a été prise par les pouvoirs publics de généraliser l’enseignement de tamazight dans une vingtaine de wilayas à la prochaine rentrée  et dans 6 autres l’année scolaire d’après (2016). Un accord-cadre avait été  signé en début d’année avec le ministère de l’Education pour promouvoir tamazight mais aussi lever toutes les contraintes dans les différentes directions de l’éducation quant aux moyens à mettre en place et aux graphies à utiliser. Une commission mixte a été installée à la faveur de ce partenariat.

Quelles en sont les conclusions (consolidation de l’enseignement dans les wilayas berbérophones, manuels, enseignement des variantes locales, polygraphies, moyens matériels et humains, etc.) ?

C’est l’heureuse issue d’un parcours d’une vingtaine d’années de rude labeur de l’enseignement de tamazight à l’école. S’il en est, tamazight s’est fortifié d’une expérience indéniable en dépit de moult difficultés et obstacles rencontrés.

De ce fait, la volonté du HCA a permis d’évacuer les dysfonctionnements et les lacunes spécifiques à tamazight qu’aucun théoricien n’aurait pu prévoir. Autant de paramètres qui contribuent à une évaluation sérieuse afin de mieux  consolider le capital-expérience du HCA. Nous avons décelé deux types de problèmes d’ordre technique, dont le règlement est relativement facile, puisqu’ils peuvent être réglés à court ou à moyen terme.

Quant aux problèmes de fond, ces derniers nécessitent souvent une approche fondée sur les données de terrain, d’où une solution qui pourrait intervenir également avec le temps.

La généralisation de l’enseignement de tamazight, telle que préconisée par le HCA, doit être progressive et  menée sur deux plans en parallèle : une extension horizontale et une autre verticale assurant une continuité de l’enseignement de tamazight dans les mêmes cycles et entre les cycles dans les 11 wilayas ainsi  qu’une extension géographique qui retient le principe d’aller au-delà de ce nombre.

Nous œuvrons de concert avec le ministère de l’Education  nationale, à asseoir une  cohérence dans la généralisation et l’extension géographique de l’enseignement de tamazight dans les différents cycles.

Ces mesures induiront, en principe, un besoin conséquent en postes budgétaires. L’enseignement  de tamazight doit commencer  à partir de la première année primaire (1AP), dès lors qu’il est annoncé la généralisation de l’enseignement/apprentissage au préscolaire avec entrée par les langues maternelles à l’horizon 2017/2018. Je tiens ici à souligner la volonté de l’Etat, la détermination et l’engagement sincère de Mme Nouria Benghebrit, ministre de l’Education nationale.

De par le haut niveau de la commission mixte MEN/HCA  instituée depuis février 2014, nous sommes optimistes quant à l’avenir de tamazight. Tous les problèmes pédagogiques, bureaucratiques sont passés en revue et étudiés avec soin en préconisant des solutions consensuelles. Les conclusions de cette commission seront connues prochainement.
 
Vous avez parlé de «susciter l’intérêt» pour permettre la généralisation de la langue amazighe, dont la dimension nationale, ainsi que vous l’aviez soutenu, doit être réaffirmée. Comment comptez-vous procéder ?

L’identification de la demande, sa formalisation, sa quantification sont du ressort de l’Etat. Ainsi,  le HCA et le MEN doivent conjuguer leurs efforts pour provoquer l’engouement à l’enseignement de tamazight partout en Algérie. Il est important  de donner des directives précises aux directeurs de l’éducation des wilayas pour œuvrer pour la promotion de tamazight et sa généralisation.

Il est vrai que la demande sociale existe potentiellement, à condition toutefois de l’identifier, la capitaliser et la formaliser avec l’ouverture de classes pilotes. Cette tâche incombe aux DE et  doit se faire là où l’enseignement de tamazight n’est pas encore établi.

Un travail de terrain est mené avec votre soutien par des chercheurs reconnus qui collectent tout le patrimoine immatériel des régions souvent oubliées (Atlas  blidéen, Beni Houa, Grand Sud, etc.). En plus du travail de prospection, que compte faire votre institution en direction de ces populations ?

Le HCA a à cœur d’être ce vivier, voire cette banque de données pour lutter d’abord contre l’oubli et, ensuite, réhabiliter l’amazighité de l’Algérie plurielle. Et à cet effet,   depuis 2014, le HCA a introduit un axe important. Dans son plan de charge annuel qui porte sur «les sorties d’études sur terrain».

C’est un créneau qui a été longtemps négligé. Pour faire aboutir ce projet, nous avons mis sur pied une équipe pluridisciplinaire, composée d’étudiants–chercheurs des quatre départements de langue et culture amazighes Tizi Ouzou, Bejaïa, Bouira et Batna, encadrée par des enseignants universitaires spécialisés dans les enquêtes de terrain. Cette équipe est chargée de faire la collecte du patrimoine immatériel amazigh.

Elle s’intéresse essentiellement au lexique, à la toponymie et à la littérature orale. C’est ainsi que nous avons mené des enquêtes de terrain dans l’Atlas blidéen, Boussemghoune, Chlef, Tlemcen, Souk Ahras, Djanet et Taghit.

La finalité de toutes ces sorties, outre la sensibilisation des populations locales, consiste en la constitution d’une banque de données qui servira de socle au Grand Dictionnaire interdialectal de la langue amazighe.

Je voudrais juste partager avec vous un constat que nous avons fait au HCA après toutes ces sorties : lorsque nous parlons de dimension nationale de tamazight, ceci n’est pas simplement une vue d’esprit, mais bel et bien une réalité palpable sur le terrain à travers tout le territoire national.

Le HCA cherche à «travailler à l’international». On croit savoir qu’un accord sera signé avec la fondation Euro-Arabe des hautes études, dont le siège est situé en Espagne. Qu’en est-il exactement ? Cette coopération sera-t-elle étendue aux pays du Maghreb ou même du Sahel (centres de recherche, colloques communs, etc.) ?

Notre plan de charge est diversifié et nous tentons effectivement de multiplier les voies de  la coopération et de l’échange avec des partenaires universitaires nationaux et étrangers. Actuellement nous nous attelons à concrétiser un partenariat solide avec la fondation Euro-Arabe des hautes études établie à Grenade, en Espagne, autour d’un programme d’échanges ambitieux et fructueux.

La présence du HCA devrait être renforcée à l’occasion du prochain SILA, avec un stand plus «visible». Quel a été le travail de votre institution en direction des éditeurs privés et publics (ENAG, OPU) ?

Le HCA a toujours participé au Salon international du livre d’Alger en animant un stand où sont exposées les publications de notre institution. C’était une participation plutôt symbolique, juste pour dire que nous sommes là !

Donc cette année aussi, le HCA sera présent au vingtième SILA; mais ce sera une participation exceptionnelle avec un pavillon où seront regroupés des éditeurs spécialisés dans le livre amazigh qui n’ont pas les moyens de s’offrir un stand et, surtout, les auteurs qui ont édité à leurs comptes et qui ne peuvent prétendre à un stand. Par cette action, notre souci est de donner plus de visibilité au livre en tamazight qui souffre d’un manque de moyens flagrant.

Toujours dans le cadre de ce vingtième SILA, outre les séances de ventes-dédicaces en présence des auteurs qui seront programmées quotidiennement, nous organisons une journée d’étude dédiée à la littérature amazighe, où sera présentée, pour la première fois, une anthologie des textes littéraires en tamazight et qui est actuellement en chantier. Cette anthologie sera réalisée par des étudiants et des enseignants de tamazight encadrés par des anthologistes spécialisés.

A quand une académie de la langue amazighe ?

Le HCA a toujours plaidé pour la création d’une entité académique pour une prise en charge rationnelle et scientifique des questions liées à l’aménagement de la langue amazighe et de son écriture.

Un projet est présenté par nos soins et nous œuvrons à sa concrétisation. Maintenant, qu’on l’appelle académie, centre de recherche, institut ou autre, cela importe peu dès lors qu’elle répond efficacement aux objectifs et missions qui lui sont dévolus. Quant à savoir quand elle sera créée, le HCA, comme je viens de vous le dire, a fait ses propositions et la décision revient aux hautes instances du pays. 

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