lundi 15 juin 2015

Ahmed Ouyahia : Vaincre ou mourir

Les sept vies d’Ouyahia. Voilà le titre qui sied à un portrait de ce parfait homme du sérail au profil inédit dans l’échiquier politique national. Les Algériens le découvrirent un jour de l’année 1994 au JT de 20h, quand il annonça l’échec des négociations avec le FIS en sa qualité de directeur de cabinet du président Zeroual.
Depuis, ce visage tantôt martial, tantôt avenant, a crevé l’écran. Il est incontestablement l’un des hommes politiques les plus en vue de ces vingt dernières années. Qu’on l’aime ou pas, l’homme ne laisse jamais indifférent. Son nom est associé, à tort ou à raison, à toutes les intrigues et manœuvres du régime. Drapé de son armure de «serviteur de l’Etat», Ouyahia semble prêt à tout pour plaire ou pour se faire pardonner quelques embardées qui lui valurent de récurrentes mises à l’écart. Sans état d’âme.

Son grand retour, jeudi dernier, à la tête du RND, d’où il a été chassé il y a deux ans, confirme son pedigree. Tout le monde aura compris qu’Ouyahia n’agit jamais seul. Mais il assume personnellement les conséquences de ses choix politiques, fussent-ils contradictoires, au nom d’une certaine culture de l’Etat. Plutôt du régime, voire parfois du clan. En bon soldat discipliné, il évite de faire des vagues quand le silence s’avère nécessaire. Il disparaît des radars sur la pointe des pieds et la presse s’empresse de prononcer une oraison funèbre sur son avenir politique. Mais c’est compter sans l’insondable capacité de l’homme et de ses mentors à faire le mort avant de revenir avec fracas.

Un profil très recherché

A croire que le destin de l’Algérie est à ce point lié à cet homme qu’on a trop vu mais dont a du mal à se séparer. Un mariage de raison dans lequel Ouyahia trouve, non sans délectation, son compte, lui qui nourrit le doux rêve qu’un jour son destin croisera celui de… l’Algérie. Par une sorte de réflexe pavlovien, il est cité parmi le cercle fermé des prétendants à la magistrature suprême à chaque crise du régime.

Personnage à la fois controversé et fascinant, Ouyahia surjoue sur sa capacité à survivre à tous les coups tordus et sa disponibilité à aller au charbon, quitte à se griller. Il s’est, au fil des années, construit une réputation d’homme insubmersible par sa faculté d’adaptation qui lui fait avaler y compris des couleuvres pour rester dans les bonnes grâces. Il a ainsi accepté de secourir le candidat Bouteflika en pleine tornade créée par la démission de Ali Benflis, en 2003.

Humilié en 2006 par le même Bouteflika qui lui avait organisé la fronde au Parlement, il répond à son appel deux ans plus tard pour manager la révision de la Constitution et la suppression du nombre de mandats présidentiels. Ouyahia fut aussi l’homme-clé pour la «vente» du 3e mandat de Bouteflika. Il pensait, naïvement peut être, qu’il allait enfin «rencontrer son destin». «Un 4e mandat ? Est-ce une bonne chose pour l’image de l’Algérie ?» C’est cette petite phrase au ton présomptueux qui envoya au tapis le stratège Ouyahia en septembre 2012.

Après 13 ans de pouvoir, Abdelaziz Bouteflika venait de signifier vertement à son serviteur qu’il avait encore de «beaux restes» pour prétendre à un 4e mandat. Amer, Ouyahia lâcha sa fameuse formule assassine contre Bouteflika : «C’est l’argent sale qui commande en Algérie et il commence à devenir mafieux.»

Le destin fuyant d’un  vice-roi

Enième mise au placard d’un personnage ambitieux qui a trouvé sur son chemin un «homme de pouvoir» insatiable, comme le décrit l’un de ses anciens proches collaborateurs. Nouvelle traversée du désert pour Ahmed Ouyahia, qui prend son mal en patience sachant qu’on finira par solliciter ses services malgré la double sanction qu’il a essuyée au RND et au Premier ministère. Ironie de l’histoire, limogé par Bouteflika pour avoir jugé de trop le 4e mandat, Ouyahia est rappelé pour faire campagne en 2014 avec la casquette de ministre d’Etat, chef de cabinet du Président.

Inutile de chercher de justifications à ces virages à 180°. Ahmed Ouyahia est convaincu que c’est le prix à payer pour un hypothétique destin national. Il a pourtant une réputation qui lui colle à la peau et dont il tire de la fierté : celle d’être un soldat fidèle de l’armée, ou plus exactement des «Services» qu’il ne se lasse pas de défendre. Jeudi dernier, il ne s’était pas gêné d’encenser son ami «Si Toufik» et «le DRS grâce auquel l’Algérie a pu vaincre le terrorisme». Il a aussi tendu une planche de salut au soldat Gaïd Salah au centre d’une grosse polémique en réduisant sa lettre de félicitations à Amar Saadani à un non-événement.

Au final, il a contenté tout le monde. Mais il a jeté une grosse pierre dans le jardin du clan présidentiel en excluant avec beaucoup de malice la succession héréditaire et monarchique qu’on prête au frère du Président. Ahmed Ouyahia a-t-il enfilé le costume du parfait présidentiable du régime ? Pour de nombreux observateurs, cela ne fait aucun doute. Mais dans la vie comme en politique, la mort peut survenir à tout moment. Et pour Ouyahia, c’est cette fois ou jamais.

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