dimanche 27 mai 2018

Décapitée depuis 2015 : Grave dérive à la maternité de Constantine

La situation dans laquelle se trouve la maternité de Constantine est à déplorer bien avant la grève des résidents. Cette situation a connu son point culminant en 2015, quand la tutelle a imputé tous les dysfonctionnements au professeur médecin-chef, Madjid Barkat, tenant à témoin l’opinion publique. Samedi noir, hier, à la maternité du CHU Ben Badis Constantine. Les parturientes ont été refoulées au portail de l’hôpital, suite à l’abandon des lieux par le dernier maître assistant. Après des journées de travail acharné, le chef de service, le Dr Manar Lahmar, quitte la maternité accablé de fatigue, alors que quelques jours avant lui, d’autres maîtres assistants ont simplement démissionné. Sur place, toutes les admissions ou consultations sont interrompues, la situation est devenue physiquement intenable. Cette «extinction» de l’activité au niveau de l’établissement qui traite un flux surhumain de tout l’Est du pays est palpable depuis plusieurs semaines déjà. El Watan a enquêté. Une femme enceinte quitte la bâtisse en marmonnant des phrases incompréhensibles ; son ventre démontrait qu’elle était à terme. «Je suis au 20e jour du 9e mois, j’ai un goitre et j’ai des problèmes de tension ; je suis venue parce que je sais que ma situation nécessite une surveillance, mais la sage-femme m’a refoulée parce qu’il n’y a pas d’assistant disponible pour ma surveillance», déclare-t-elle à El Watan. Troublée, elle lève les yeux au ciel et poursuit : «Elle m’a expliqué que si elle me gardait et que j’avais une complication elle ne pouvait pas agir. Elle m’a même conseillé une clinique privée, mais je n’ai pas les moyens.» La future maman continue son chemin, se demandant ce qu’elle allait faire, et tandis qu’une poignée d’hommes patientent à l’extérieur du service de la maternité attendant que leurs épouses mettent au monde leur progéniture, d’autres, paniqués, raccompagnent celles qui n’ont pas été retenues. Les cas sont très nombreux. Durant ce même mois de mai, une patiente venue de Mila s’est rendue au CHU pour accoucher, mais elle a été refoulée par manque de personnel, elle a dû faire appel à ses connaissances pour être admise à Skikda. Qu’en est-il de celles qui n’ont pas d’argent pour se rendre dans des cliniques privées, celles qui n’ont pas de connaissances pour accoucher dans les wilayas limitrophes, ou encore celles qui ont des complications, comment font-elles ? Code rouge A certaines heures, la réception est vide, tout le monde peut pénétrer dans les lieux, monter aux étages, se balader dans les couloirs en toute tranquillité. Le climat est électrique, le personnel se scrute, les lits sont vides, on entend les mots «rapport», «menace», «garde», «faute», «conseil», «démission» dans tous les recoins du service. Les sages-femmes sont au bord de l’épuisement et la direction de la maternité ne sait plus où donner de la tête. Au contraire, la direction du CHU a tenté de banaliser la situation. A toutes les questions posées par El Watan, le directeur général, Kamel Benissaad, affirme que la situation est sous contrôle. Les faits sont têtus La situation est telle que la garde du mardi au mercredi n’a affiché aucune naissance. Selon des sources hospitalières, du mardi 16h35 au mercredi 11h40 l’hôpital a affiché 0 naissance alors que d’ordinaire en moyenne 20 bébés viennent au monde dans cette structure. La maternité n’avait aucune couverture médicale. Pire, durant la garde du jeudi au vendredi, les services de la maternité ne disposant pas d’assistant ont été dans l’incapacité de prendre en charge une patiente dont le bébé présentait une souffrance fœtale, et l’ont transférée à la maternité de Sidi Mabrouk qui a refusé, à son tour, de l’admettre.  Comment un service d’un hôpital aussi important que le CHU de Constantine peut-il fonctionner dans de telles conditions ? Le Dr Lahmar Manar, médecin-chef de la maternité, a reconnu que le taux d’intervention a baissé, il a expliqué à El Watan qu’il ne peut gérer que les cas graves : «On peut presque parler de médecine de guerre. La situation est difficile, il n’y a pas de mots. Nous nous donnons à fond, les membres du service travaillent jusqu’à l’épuisement. On gère, on opère. Ce matin, nous avons eu quatre cas graves et j’ai trois spécialistes qui opèrent dans les urgences. Dans cette situation particulière de grève, nous ne pouvons gérer que les urgences : le code orange et le code rouge». Certes, l’absence des résidents se fait sentir dans tous les services, mais le cas de la maternité reste un exemple terrifiant. Il faut savoir que la situation dans laquelle se trouve la maternité de Constantine est à déplorer bien avant la grève des résidents. Cette situation a connu son point culminant en 2015, quand la tutelle a imputé tous les dysfonctionnements au professeur médecin-chef, Madjid Barkat, tenant à témoin l’opinion publique. Le professeur fut limogé et l’administration a tout de suite engagé 60 milliards pour donner un nouveau visage à l’établissement. Trois années après, la maternité a fait peau neuve, mais seulement de l’extérieur. La décapitation du service a fini par rattraper l’administration qui a trouvé un bouc émissaire en la personne du médecin-chef. Cette même administration qui n’a jamais cherché à lui trouver un professeur remplaçant. Résultat : la prise en charge médicale est dramatique, alors que l’encadrement des résidents est quasi inexistant, puisque les futurs spécialistes exigent un encadreur de rang professoral. Enfin, nous avons appris que le Directeur de la santé et de la population (DSP) de Constantine a pris contact la semaine dernière avec le Pr Barkat pour lui demander de reprendre le service. Ce dernier a décliné l’offre. Echec et mat à l’administration.  

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