Le tribunal a surtout retenu contre le jeune blogueur la très lourde accusation d’«entretien avec les agents d’une puissance étrangère et intelligence de nature à nuire à la situation militaire ou diplomatique de l’Algérie ou à ses intérêts économiques». Que cette puissance étrangère soit Israël et que le procès se tienne une dizaine de jours à peine après les massacres de Ghaza au lendemain de l’inauguration de l’ambassade américaine, cela a fait du verdict comme un tir de riposte contre l’Etat hébreu. Merzoug Touati a risqué la perpétuité, comme demandé dans le réquisitoire du procureur général. Son tort est de s’être entretenu avec des juifs. «Nous détestons tous Israël, surtout après les massacres qu’il vient de commettre, mais il n’y a aucune loi qui interdit de communiquer avec un Israélien», lance Me Salah Dabouz, l’un des avocats de la défense, au côté de Me Hemaïli, dans un procès qui a été celui de la «main étrangère», «dénichée» dans des discussions privées entre «amis» virtuels. Récit d’un procès politique inédit. La salle d’audience est à moitié vide. La mobilisation a affreusement manqué. Dans la salle, une poignée de journalistes, des représentants de la Laddh, un député, un maire, un représentant d’Amnesty International, un syndicaliste, des parents et amis du détenu et une nuée de policiers et de gendarmes sur le qui-vive. Le procès débute avec une fausse note : les jurés n’ont pas été convoqués. Il a fallu les appeler individuellement puis les attendre pendant deux heures et demie pour qu’enfin le procès débute avec les excuses du juge Aït Ali Mohand Saïd. Le procès est observé par la Laddh. «Tu veux démentir l’État algérien ?» «A chaque fois qu’il se passe quelque chose, le gouvernement accuse la main étrangère. J’ai voulu alors faire mon enquête», explique Touati, visiblement amaigri après sept grèves de la faim, vêtu d’un survêtement et chaussé de claquettes. Le blogueur prend exemple de la déclaration publique de Abdelmadjid Tebboune, alors ministre du Logement, qui avait accusé «la main étrangère» d’être derrière les événements de Béjaïa en janvier 2017. L’ancien futur Premier ministre avait situé l’origine de cette «main étrangère» en France, au Maroc et en Israël. «Tu veux démentir l’Etat algérien ?» charge le représentant du ministère public. Animateur de deux pages d’information créées sur le Net, aujourd’hui fermées, Merzoug Touati s’est déclaré journaliste devant le juge. Le tribunal l’accuse d’avoir fourni des renseignements à «l’ennemi» juif représenté surtout par deux noms : un certain Kîiba Hassan, porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien pour le monde arabe, et le profil «virtuel» d’un juif algérien de Tlemcen, se présentant sous le nom d’Ariel Taboune, de Nedroma. Les discussions avec celui-ci tournaient notamment autour des biens des juifs en Algérie et de questions ethniques. Elément-clé dans l’affaire, la justice a refusé de convoquer ce juif de Tlemcen en tant que témoin. L’énigmatique juif de Nedroma «Pourquoi est-ce que des gens qui sont en Algérie ne sont pas convoqués? Si l’instruction est sérieuse, Ariel Taboune serait le principal accusé, pour avoir proposé de l’argent pour semer la zizanie entre Amazighs et Arabes» considère, dans sa plaidoirie, Me Dabouz. Argent que Merzoug Touati a refusé. L’avocat n’a pas caché devant le tribunal son soupçon que derrière le profil d’Ariel Taboune se cacherait un «policier». Il a de ce fait demandé de le convoquer, de libérer le détenu et de refaire l’instruction. Demande rejetée par le tribunal. La liste des «agents ennemis» est complétée par les noms d’autres juifs (Eddy Cohen, Hassan Kliba) et un religieux chrétien libanais (Gabriel Guettaf), sollicité pour intervenir dans l’affaire de Slimane Bouhafs, l’Algérien de confession chrétienne condamné à cinq ans de prison. «Je l’ai sollicité pour qu’il fasse quelque chose pour quelqu’un qui a été emprisonné injustement», répond Touati. «Tu ne t’es pas demandé que ce pays (Israël, ndlr) est l’ennemi de l’Algérie et du monde ?» demande le président de l’audience à l’accusé, avant d'ajouter : «Tu as dépassé les lignes rouges.» La justice n’a pas apprécié qu’il ait publié des entretiens avec des personnalités politiques citées dans l’arrêt de renvoi, comme Mouloud Mebarki, cadre du MAK. On l’accuse aussi d’avoir partagé des renseignements avec des personnes recherchées, des Algériens de Ghardaïa «en fuite» au Maroc (Abouna Salah, Skouti Khodir, Bazen Khoudir). Des «recherchés» que l’on accuse d’appartenir à un mouvement séparatiste du M'zab. «Fekhar aussi a été accusé d’appartenir à un mouvement d’autonomie de Ghardaïa. Il a été libéré, l’enquête n’a pas confirmé l’existence de ce mouvement», rétorque, au prétoire, Me Dabouz. «Y a-t-il une loi qui interdit de s’entretenir avec des recherchés ?» interroge-t-il. Chakib Khelil, Saadani et les autres «Chakib Khelil a été interviewé par la presse alors qu’il était recherché», rappelle l’accusé. De quels renseignements partagés s’agit-il ? Des informations concernant les événements de Ghardaïa et de ceux de la Kabylie. «Ce sont des informations connues de tous, elles sont dans la presse nationale. Vous pensez qu’Israël ne connaît rien de nous et qu’il attend de moi que je l'informe ?» se défend le blogueur, qui, à son arrestation, faisait fonction… d’aide-maçon. «Les renseignements concernant les composantes ethniques de l’Algérie sont dans les manuels scolaires», ajoute-t-il. Concernant le Printemps noir de la Kabylie, Me Dabouz rappelle aux magistrats que les résultats de la commission d’enquête Issad sont publics et que celle-ci a conclu que «des victimes sont tombées par des balles tirées dans le dos». En un mot, Merzoug Touati n’a rien dit que l’opinion nationale, voire internationale, ne sache déjà. Le procureur insiste aussi sur l’accusation d’«incitation des citoyens à s’armer contre l’autorité de l’Etat». De quoi s’agit-il ? Merzoug Touati assume sa vidéo, faite après le déclenchement des émeutes du 2 janvier 2017 à Béjaïa, appelant à manifester «pacifiquement» contre la loi de finances. «Cette loi de finances affame le peuple et la manifestation est un droit», se défend-il. «Qui es-tu pour appeler à manifester ?» revient à la charge le procureur. «Un citoyen», répond tout bonnement l’accusé. Me Dabouz rappelle que l’ex-secrétaire général du FLN «Amar Saadani a accusé, le 5 octobre 2016, le général Toufik d’être derrière les événements de Ghardaïa, de Touggourt et de Ouargla, mais il n’a pas été poursuivi. Un homme a été accusé et condamné pour avoir livré un secret d’Etat et on a fini par lui donner la direction de Sonatrach. Et pour Merzoug Touati, on demande la perpétuité !» s’exclame l’avocat. Me Dabouz relève «l’incompétence» de la police à enquêter dans une affaire d’«intelligence avec l’ennemi», qui devrait relever des services secrets et dans laquelle Merzoug Touati se voit endosser le rôle de «James Bond amateur», caricature l’avocat, pour illustrer l’absurdité de la situation. Dans sa plaidoirie, il dénonce un «Etat policier», ce qui n’a pas été du goût du magistrat. «Ce ne sont pas des propos à tenir ici», objecte le juge Aït Ali Mohand Saïd. «Je suis libre et si on veut me poursuivre qu’on le fasse. C’est une censure de plaidoirie ?» lui répond l’avocat qui a dénoncé, dans la foulée, un «dossier bâclé». «Pourquoi veut-on diaboliser Merzoug Touati ?» a-t-il interrogé après s’être élevé contre la fuite du dossier d’instruction. «Le dossier a été publié intégralement par Ennahar et c’est parti du bureau du juge d’instruction.» «C’est un verdict très sévère et nous allons faire appel», commente Me Dabouz, qui tente de consoler la mère du condamné qui se tient difficilement debout en quittant le tribunal, en fin de journée de jeudi, tremblante et abattue. Dehors, la rue est déserte.
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