vendredi 26 juin 2015

Beaucoup de mosquées échappent au contrôle du ministère

- Que pensez-vous des dernières mesures de l’Etat sur la prise de contrôle des mosquées dirigées par des salafistes ?

Il était grand temps de prendre cette décision. D’abord, il faut dire que le nombre de mosquées où prêchent des imams salafistes est beaucoup plus élevé que le chiffre déclaré par le ministre. Il y a, en effet, beaucoup de mosquées qui échappent au contrôle du ministère pour des raisons multiples.

Il est à noter que le ministre n’a rien dit à propos des mosquées gérées par des imams qui n’ont rien à voir avec la religion, c’est-à-dire qui n’ont pas de diplômes dans ce domaine et qui sont quand même permanisés par le ministère, et je ne comprends pas pourquoi. Ceux-là aussi doivent être nombreux. J’ajoute que le phénomène d’infiltration des mosquées par les soi-disant imams volontaires wahhabites remonte au début des années 1980, cela se faisait au vu et au su des autorités, pour des raisons que tout le monde connaît maintenant.

- Mohamed Aïssa, le ministre des Affaires religieuses donne l’impression de vouloir changer les choses en imposant certaines mesures, mais avoue que sans formation et contrôle, ce sera difficile. Comment sortir notre pratique de l’islam de la crise spirituelle ?

A mon avis, il faut de toute urgence changer radicalement les programmes de formation des imams et les programmes des facultés des sciences islamiques, pour donner la priorité à la philosophie et aux sciences humaines. Les matières religieuses et les textes religieux (Coran, Hadiths, et jurisprudence) doivent être enseignés dans leur contexte historique, forcément limité dans l’espace et le temps. Il faut relativiser le contenu de l’enseignement religieux.

Je pense aussi qu’il faut intégrer le soufisme dans ces programmes, et même dans les programmes scolaires de l’enseignement général, car le soufisme enseigne l’amour, l’ouverture sur l’autre, l’amour et l’acceptation de la différence, ce qu’on ne retrouve pas dans le discours religieux actuel, qu’ils soit officiel, intégriste ou autre. Cela ouvre un grand chantier de travail de longue haleine et qui nécessite un suivi et un contrôle sans faille.

- Le ministère des Affaires religieuses tente de réglementer dans certains domaines, mais se laisse emporter par les initiatives citoyennes incontrôlables comme les «plages islamiques». Pensez-vous qu’il fait face à la résistance de la part des prédicateurs autoproclamés, des comités de quartier et des mosquées ?

Je pense que cette histoire de «plages islamiques» n’est qu’une carte utilisée par certains clans au sein du pouvoir, afin de gérer des équilibres politiques intérieurs. C’est une histoire qui ressemble beaucoup à celle du phénomène Hamadache. Est-ce qu’on peut qualifier ces phénomènes d’«initiatives citoyennes» au vrai sens de cette expression ?

Personnellement, je ne  le pense pas, pour une raison très simple, c’est que le discours religieux qui se trouve être à l’origine de ces initiatives, est par essence contraire au concept même de citoyenneté. Je pense que le ministère, avant de régulariser quoi que ce soit en dehors du champ religieux qu’il gère, doit d’abord clarifier sa vision de la citoyenneté. Et avant ça, le ministère doit répondre à la question suivante : quel type d’Etat voulons-nous ? Un Etat pour les croyants qui exclut les autres, ou un Etat pour les citoyens qui défend les libertés fondamentales de tous sans exception ?

- Pourquoi une partie de la population soutient-elle Daech et ne s’en cache plus ? Inconscience, suivisme ou réelle conviction ?

Les gens qui soutiennent Daech, à mon avis, ne sont pas animés par une vraie conviction, mais plutôt par une manipulation religieuse soutenue par les médias que l’on connaît et qui sont directement ou indirectement financés par l’Arabie Saoudite et ses satellites. Le «daechisme» est tout à fait étranger aux traditions religieuses authentiques de l’Algérie. Je parle ici de l’islam de nos parents et grands-parents, un islam soufi et spirituel. Il est déplorable que des médias algériens fassent l’éloge de ces discours obscurantistes et leur donnent l’occasion de tromper le public qui n’est en général ni spécialiste, ni averti. Et il est encore plus déplorable que l’Etat ne fasse rien pour interdire cela.

- En Algérie, nous avons opté pour le rite malékite, pas toujours souple et adaptable à notre époque. Qu’en penses-vous ?

Tout à fait. Je pense que le système du fakih (juriste musulman), qu’il soit de rite malékite ou autre, est à revoir à la base, car il ne répond plus aux questions et besoins de l’homme moderne. Ce système ressemble à l’école maternelle ou primaire. Le monde a beaucoup évolué, il est arrivé au stade universitaire, mais les musulmans ne sont pas sortis de l’école primaire depuis plus de 14 siècles.

Je pense qu’il est grand temps de faire une nouvelle lecture des écoles de la jurisprudence musulmane, afin de les adapter aux grands principes et idées humanistes qui font l’unanimité du monde moderne. Nous devons aussi enseigner le soufisme autant si ce n’est plus que ce système juridique. Il est déplorable que nos zaouïas et nos facultés de sciences islamiques enseignent la jurisprudence de l’imam Malek et n’enseignent pas le soufisme de l’Emir Abdelkader, de Sidi Boumediène, ou encore du grand Ibn Arabi.

Notre société et le monde d’aujourd’hui ont besoin de l’enseignement des grands soufis beaucoup plus qu’ils n’ont besoin d’une jurisprudence qui n’est plus à la page du monde actuel. Je ne dis pas que nous devons jeter à la mer les livres de jurisprudence, mais j’insiste sur la nécessité d’une relecture très profonde de ces textes, à la lumière des nouvelles connaissances, afin de les adapter à nos questions et besoins actuels.

 

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