lundi 15 juin 2015

«Il n’y a aucune vision de l’Algérie du futur»

- Comment voit-on en France l’intérêt de la deuxième visite de François Hollande en Algérie ?

L’Algérie a été dès le commencement du mandat de Hollande un choix prioritaire pour des raisons politiques mais aussi économiques. Sous Sarkozy, le Maroc était prioritaire, la tendance s’est inversée. L’Algérie est perçue comme un pays offrant des opportunités économiques et financières fortes sous-exploitées. Sur le plan politique et sécuritaire, la France et l’Algérie convergent vers des intérêts communs.

Ce qui n’était pas le cas il y a 15 ou 20 ans. Enfin, sur le plan électoral, cultiver une bonne relation avec l’Algérie, c’est l’espoir de consolider la confiance de l’électorat français d’origine algérienne, qui a massivement voté pour François Hollande en 2012.

- Plusieurs voix de l’opposition algérienne voient d’un mauvais œil cette nouvelle virée algéroise du président français. Quelle en est la raison principale ?

Le contexte politique algérien est peu favorable à la visite de Hollande du fait qu’elle apparaît comme un soutien au président Abdelaziz Bouteflika. Or celui-ci est l’objet de critiques depuis sa réélection contestée en 2014. Ce voyage à Alger est forcément peu compréhensible par une partie de l’Algérie qui soupçonne la France de chercher à influencer le président Bouteflika, voire à s’ingérer dans les affaires politiques algériennes…

- Justement, certains n’hésitent pas à évoquer une implication directe de l’Elysée dans les supposées discussions de succession et de préparation de l’après-Bouteflika. Quel est le vrai dans tout cela ?

La faiblesse du pouvoir institutionnel en Algérie, du fait d’une élection présidentielle contestée et d’une absence chronique du président Bouteflika, favorise toutes sortes de fantasmes sur le voyage de Hollande à Alger.

On peut s’interroger sur l’intérêt stratégique d’une visite du président Hollande à Alger aujourd’hui ; en revanche la France et l’Algérie partagent des menaces communes au Sahel, en Libye et en Tunisie et il est nécessaire de rappeler et de consolider les moyens mis en œuvre pour les combattre.

L’Algérie est devenue l’un des rares pays stables et forts de la région, son attractivité est d’autant plus importante que les Etats s’effondrent ailleurs (Libye, Syrie, Irak, Yémen, etc.). On ne s’en rend pas compte en Algérie, mais vu de l’extérieur, c’est un pays devenu stratégique.

- Restons sur les éternelles luttes de clans, réelles et imaginaires, au sein du pouvoir algérien. Que signifie pour vous le soutien apporté à Saadani par le président Bouteflika et Gaïd Salah, chef d’état-major ?

La réélection de Bouteflika a gelé pour un court moment la question de sa succession. Elle revient dans le débat. Il y a trois approches aujourd’hui en Algérie. Il y a ceux qui souhaitent, à l’instar de Benflis, une transition politique avec un changement des règles du jeu politique : nouvelle Constitution, élections législatives et présidentielle anticipées, afin de légitimer les institutions politiques discréditées.

Pour eux, Bouteflika et son entourage sont des obstacles dangereux, car leur immobilisme gangrène l’Etat et risque de provoquer son effondrement. Pour l’entourage du président Bouteflika, la question primordiale est de trouver un successeur qui permettrait la continuité.

Si l’Algérie était Cuba, ce serait le frère du Président qui prendrait la relève ; mais comme cela n’est pas possible, il faut donc prendre le temps d’un quatrième mandat pour trouver l’oiseau rare. Le seul problème est que sous Bouteflika, l’Algérie a surfé avec un baril à 100 dollars, il a chuté de 50 dollars depuis quelques mois. Le modèle de redistribution ne peut plus fonctionner.

Enfin, il y a un troisième courant, porté par Ouyahia. Il serait un président équilibriste, un peu comme Chadli Bendjedid. Il offre à tous les appareils sécuritaires des garanties. Le problème est que sur le plan politique et économique, il n’y a aucune vision de l’Algérie du futur. On gère les tensions et on évite les conflits au sein de l’Etat.

- Et quel est le poids politique du Premier ministre,  Abdelmalek Sellal, dans l’actuel jeu du pouvoir ?

Il est difficile de répondre à cette question. Le Premier ministre gère les affaires quotidiennes de l’Etat. Sa nomination n’est pas liée à un rayonnement politique ou à son influence politique, mais surtout à sa proximité avec le Président et à sa loyauté.

- Les partis de l’opposition – avec ses différents courants et tendances – sont, encore une fois, exclus de la prise de décision concernant l’avenir politique de l’Algérie…

C’est le grand problème de l’Algérie politique, la faiblesse de l’opposition. Elle est structurelle. Et pourtant, sans elle, il est difficile de faire évoluer la pratique du pouvoir en Algérie. Quant à la société civile, elle a peu d’influence sur les décisions politiques. Alors s’il n’y a pas d’opposition, il ne reste qu’une scène atrophiée, dans laquelle jouent toujours les mêmes acteurs au risque de faire fuir tous les spectateurs vers d’autres lieux comme l’islamisme et le salafisme.

- Vous avez certainement suivi les procès relatifs aux grands dossiers de corruption en Algérie. Qu’est-ce qui vous a marqué le plus ou qui a attiré votre attention ?

La corruption a toujours été présente en Algérie. Sous Bouteflika, elle est devenue un objet médiatique, un enjeu politique et une lutte judiciaire. Il faut dire qu’entre 1999 et 2014, l’Algérie a exporté pour environ 700 milliards de dollars d’hydrocarbures ! Aucune institution politique n’a pu exercer un contrôle démocratique sur ce montant. La corruption est le mode de régulation du partage de ces profits. Tous les secteurs sont concernés.      

- Comme vous l’avez indiqué dans un précédent entretien, la rente des hydrocarbures est l’élément décisif et capital qui définirait la nature et le degré d’implication de l’armée algérienne dans les orientations politiques et économiques de l’Algérie durant les quelques années à venir. Voyez-vous des changements concrets dans ce sens après la chute des prix du pétrole ?

Les revenus issus des hydrocarbures chutent en raison de la baisse du prix du pétrole. De grands pays pétroliers sont sortis du marché, comme la Libye et en partie l’Irak, d’autres arrivent, comme l’Iran. L’armée algérienne a bénéficié d’un budget conséquent au cours de la dernière décennie.

L’Algérie est devenue le huitième importateur mondial d’armes. La modernisation de l’armée est en marche. Le problème est l’adéquation entre les menaces qui pèsent sur l’Algérie et l’outil sécuritaire. La menace est-elle régionale en Algérie ou intérieure ? La cohésion nationale n’est-elle pas la première forme de sécurité pour un Etat ? Or qu’en est-il de la cohésion nationale en Algérie ?  Les problèmes économiques et politiques sont aussi dangereux que les djihadistes.

- Puisqu’on évoque l’armée, quel rôle peut encore jouer l’Algérie sur le double plan diplomatique et militaire dans la région, particulièrement dans le dossier libyen ?

L’offre algérienne en Libye est en concurrence avec de très nombreux acteurs extérieurs, comme le Qatar et la Turquie; voisins de la Libye comme la Tunisie, l’Egypte et le Maroc ou international (ONU). Il est difficile pour l’Algérie d’avoir une influence décisive. Par contre, l’Algérie et la France œuvrent à construire un corridor dans le Sahel permettant de sécuriser des pays inquiets, notamment le Mali et le Niger, mais aussi à sécuriser les infrastructures pétrolières et gazières de l’Algérie.

La Libye est comparable au Liban sous la guerre civile. Elle est l’objet d’un conflit qui la dépasse. Pour l’Algérie, à défaut de pouvoir peser en Libye, il est nécessaire de ne pas combattre Daech. Il y a de très nombreux anciens gueddafistes dans cette organisation et beaucoup ont gardé de l’estime pour la position critique de l’Algérie sur l’intervention de l’OTAN.


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire