Elles louent des appartements pour ensuite les sous-louer à des groupes de femmes. Surcharge, abus, violence mais aussi arnaque. El Watan week-end a rencontré quelques-unes de ces locataires qui racontent leur cauchemar. Récit. «Je partage ma chambre avec plusieurs autres femmes. Je n’ai pas le droit de fermer la porte de la chambre ni même mes valises ou mon armoire. Je n’ai non plus le droit de rester à la maison. L’heure de retour est fixée à 20h. Pas de possibilité de passer la journée à la maison en dehors du week-end. Pas de douche tous les jours et surtout interdiction de recevoir de la visite. Et la nourriture doit être gardée dans ma chambre.» C’est la loi de la location… par place. Nadia, 26 ans, fonctionnaire dans une entreprise publique, loue depuis un an chez une femme, la quarantaine, dans un deux pièces au centre-ville d’Alger. Dans cet appartement, elles sont huit personnes à se retrouver chaque fin de journée. Il ne s’agit pas d’une nouvelle tendance. Depuis des années, des jeunes filles ou des hommes partagent la location d’un appartement. Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui il s’agit de sous-location. On loue un appartement, puis on le sous-loue à plusieurs personnes au même temps. D’ailleurs, la «propriétaire» de l’appartement où Nadia est installée est aussi locataire ; elle sous-loue par place à d’autres femmes. Et ça lui rapporte énormément d’argent. Comme Nadia, elle paye sa place 10 000 DA par moi et elles sont quatre au minimum. Et la vie n’est pas rose. «Nous partageons à quatre la même pièce, une chambre dont la porte n’a ni clé ni passe. La locatrice principale éteint la lumière à 21h et elle garde un œil sur tous nos faits et gestes, y compris l’heure de sortie et de rentrée», témoigne-elle. Pas trop le choix dans la mesure où dans la capitale ou dans d’autres grandes villes, l’offre de location est presque inaccessible pour les salariés et étudiants. Ces femmes se retrouvent souvent obligées de recourir à la sous-location. Sur les réseaux sociaux, l’offre abonde. Mais à quel prix ? Abus Les femmes qui proposent une location ne sont pas toujours les propriétaires ; elles sont locataires principales puis sous louent à d’autres femmes par place, à des prix élevés qui varient entre 8000 et 25000 DA la place. Les chambres sont surchargées, il y a quelquefois jusqu’à six femmes dans une seule pièce. Les commodités se limitent à un matelas ; quand c’est le «luxe», un canapé et une armoire collective. Dans les quartiers «huppés» de la capitale, les prix sont beaucoup plus élevés mais aussi le nombre d’occupantes, car les locataires principales sont plus souples dans certaines conditions. Hanane, 27 ans, animatrice, loue chez l’une d’entre elles : «On vit à 18 femmes dans un appartement de type F3. La locataire principale occupe un étage, elle a aussi l’appartement en face où elle a installé d’autres sous-locataires. On paye chacune 15 000 DA par mois.» «La seule différence avec les autres, c’est qu’elle nous permet de rentrer à l’heure qui nous convient», ajoute-t-elle. Pour vivre dans ce genre de location, il faut aussi se soumettre aux conditions imposées par la locataire principale, un règlement intérieur qui ne laisse place à aucune intimité et qui frôle parfois les atteintes à la dignité humaine.Les sous-locataires sont souvent victimes d’abus de la part des propriétaires ou des locataires principales. Certaines d’entre elles ne donnent pas le double des clés jusqu’à ce qu’elle gagne la confiance de ces femmes, quelquefois jamais. «Je n’oublierai jamais ce jour où la propriétaire m’a obligée à sortir à 6h du matin alors que j’avais une forte grippe. Je l’ai suppliée de me laisser à la maison et de m’enfermer dans la chambre, si elle le désirait, jusqu’à son retour, mais elle n’a pas voulu», nous confie Nawel, la trentaine, institutrice. Cette dernière louait chez une autre femme, la cinquantaine, la propriétaire de la maison. «On vivait à quatre dans la même pièce, on y mettait toutes nos affaires, y compris la nourriture. L’accès à la cuisine était limité, surtout le soir quand tous les membres de la famille se réunissaient, ses deux filles et son fils étudiant», nous confie encore Nawal. Elle poursuit : «Elle ne se gênait pas pour recevoir ses invités dans notre chambre en notre absence et à nous demander de faire le nettoyage intégral de la maison même les jours de semaine et à des heures tardives.» «Un jour, en revenant de chez mes parents, j’ai trouvé les cadenas de mes valises ouverts. Quand j’ai demandé des explications à la locataire principale elle a répondu que les cadenas étaient strictement interdits chez elle», nous confie Nadia. «Il ne fallait rien laisser d’important dans la chambre, car je ne connaissais pas toutes les filles, ni même la locataire principale», ajoute encore Nadia. Violence La violence verbale et parfois physique s’ajoute à l’ambiance. Souvent, des bagarres éclatent entre les filles et la propriétaire. «Les vols sont fréquents», selon Nadia, «On vit sous tension. J’ai vu des filles se tirer les cheveux, échanger des coups... et la locataire principale n’arrête pas de râler pour des futilités (ménage, lumière, douche, factures...» Pis encore, ces propriétaires ne se gênent pas pour louer à la nuit à des inconnues à des prix prohibitifs (500 à 2000 DA), parfois en les installant dans la même chambre que les «permanentes». Un genre d’hôtel. Une des filles témoigne : «Un jour, nous avons essayé de lui faire comprendre que nous ne voulions pas d’inconnue dans la chambre.» Réponse : «Vous n’êtes pas chez vous, vous n’avez droit qu’à votre petite place !» Tout est permis pour amasser de l’argent. Un véritable business. Avec un simple calcul, le bénéfice est estimé à 100 millions de centimes par an ! Si la locataire principale loue un appartement de type F3 à 45 000 DA par mois pour ensuite le sous-louer à plusieurs jeunes filles, la rentabilité est plus qu’assurée. On s’enrichit même. Un F3 sous loué à six filles, trois par pièce, à 15 000 DA chacune, la locataire empoche 90 000 DA par mois, plus d’un million de dinars annuellement. En sous-louant la place à 15 000 Da, avec 18 filles dans l’appartement, comme dans le cas de Hanane, la locataire principale gagne jusqu’à 270 000 DA par mois. Comme elle en tient deux, ce qui fait 540 000 DA par mois. Chaque année, elle empoche 6 480 000 DA, alors qu’elle a investi 3 120 000 DA dans les deux appartements, pour une année, bénéfice : 3 360 000 DA ! Choix Vu les conditions de vie, pour ces femmes c’est un cercle vicieux duquel elles peinent à se tirer. «On est obligées de passer par là. Comme je consacre le tiers de mon salaire au loyer, je ne peux faire des économies pour louer pour une année», explique Nadia. Le seul point positif qui fait que ces filles subissent et acceptent ces conditions : elles ne sont pas contraintes de payer une avance de 12 mois. Parfois, quitter est aussi difficile. De peur de voir leurs affaires séquestrées, la plupart partent sans avertir, comme l’a fait Nawel : «Lorsque nous avions décidé avec ma copine de chambre de quitter, sachant que cette femme avait un très mauvais caractère, nous avons dû sortir nos affaires la nuit par la fenêtre et le lendemain matin nous sommes parties...» Souvent, ce sont des étudiantes, nouvelles dans la ville ou qui ont quitté la maison des parents pour être indépendantes. «On patiente, on cherche ailleurs de meilleures conditions, mais finalement elles se ressemblent toutes», nous confie Hanane. S’agit-il d’une pratique légale ? Non. Pour Kamel Bouguessa, sociologue et avocat, il s’agit d’une «spéculation commerciale qui n’est pas légale». Les locataires principales et les propriétaires sont en position de force et en abusent. Aucune des femmes que nous avons rencontrées n’avait de contrat de location ou de sous-location. Surnom Autre point à soulever : les «propriétaires» se présentent avec des surnoms. Pas question de révéler leur vraie identité à leurs «clientes». Mais elles exigent par contre, comme première condition, le paiement cash et une copie de la pièce d’identité des sous-locataires. «Quand j’ai demandé à la locataire de me donner elle aussi la copie de sa carte d’identité, elle s’est emportée et m’a répondu que le notaire connaissait déjà son vrai nom. C’est là que j’ai senti l’arnaque», témoigne encore Hanane. Et ce n’est pas facile de gérer des situations pareilles lorsque le vrai propriétaire découvre le «dortoir» Les filles racontent leur cauchemar lorsque la vraie propriétaire débarque le soir et les somme de quitter les lieux sous 48 heures. «Un jour une femme a débarqué en pleine nuit et m’a demandé combien nous étions dans l’appartement. Elle était accompagnée de son mari et d’un huissier de justice. Elle a demandé à la locataire principale de vider l’appartement dans les plus brefs délais. Finalement c’était la vraie propriétaire de l’appartement qui venait d’apprendre que la locataire principale sous-louait sa maison», nous raconte Nadia. Évidemment, elles quittent les lieux sans mot dire. Elles ne sont pas dans leur droit. Et ça arrive souvent. Mais pas de remboursement ni pour les sous-locatrices encore moins pour la soi-disant locataire, même si le contrat existe parfois. Législation Ce que prévoit la loi ? Dans le code civil, un locataire n’a pas le droit de sous-louer sans l’accord écrit du bailleur (art. 505). En outre, il doit y avoir un contrat de sous-location entre le locataire principal et le sous locataire (art. 506). «Quand on sort du droit, c’est de la sous-location informelle. Les gens ne respectent pas le contexte juridique de la sous-location, ni même les commodités de la vie quotidienne (douche, lumière, etc.) donc il faut un règlement intérieur», nous explique maître Bouguessa. Mais en réalité, «la sous-location reste floue car il n’y a pas beaucoup d’articles la dessus», argumente encore M. Bouguessa, qui ajoute : «Ces conditions sont des abus de la part des propriétaires et des bailleurs. Elles permettent au bailleur de dépasser ses droits. La situation de crise, la loi de l’offre et de la demande est presque inexistante. Il n’y a pas de négociation, il y a plutôt de la dictature. La loi de l’offre et de la demande est bafouée pour celles qui peuvent avoir l’offre de leur côté. Il n’y a pas d’égalité, car dans l’échange il doit y avoir un minimum d’égalité et d’arrangement.» Comment protéger ces locataires ? Déjà, il faut assainir les conditions qui font que ces femmes acceptent cette «humiliation». Nawel raconte comment des agents immobiliers la harcèlent. Au moins, dans ces pièces surchargées et des conditions draconiennes, il n’y a pas de harcèlement sexuel. «Souvent les agents me posent des questions du genre êtes-vous célibataire ? Où travaillez-vous ? Avec qui comptez-vous louer ? Je me souviens d’un agent immobilier qui a même osé m’appeler ‘chérie’ lorsque je l’ai rappelé pour fixer un rendez-vous pour la visite, et un autre qui m’a rappelé plusieurs fois la nuit, il voulait discuter au téléphone». Parfois c’est le risque de tomber sur des personnes louches et dangereuses qui fait que ces femmes n’ont pas d’autre choix que d’accepter cette arnaque. Tinhinane, 30 ans, a eu le malheur de vivre une expérience dont elle a eu du mal à se tirer, lors d’une rencontre avec le propriétaire d’un immeuble où il louait des studios pour «célibataire sérieux», comme mentionné dans son annonce sur un site internet. «Dès mon arrivée, l’agent immobilier m’a mise en contact avec le propriétaire, qu’il m’a demandé d’attendre devant une épicerie. Au bout d’un moment, un homme arrive et me demande de le suivre. Avant de me faire entrer dans sa propriété, il se présente comme étant un ancien patriote. Il m’a d’abord posé quelques questions sur ma profession et mon origine,… Une fois dépassé le portail, on est dans une cour. Je le suis toujours, d’abord un couloir où du linge est étendu, puis on entre chez lui et il me présente une femme comme étant son épouse. A ma grande surprise, je me suis retrouvée face à des réduits en plein travaux : il avait fait de chaque chambre deux studios avec lit, petites armoires, douche et portes communicantes, y compris avec la pièce qu’il occupe avec sa compagne. «Je ne loue qu’à des femmes célibataires et je suis très sélectif», dit-il d’un ton agressif. «J’ai voulu partir, mais il m’a retenue, puis il m’a laissée avec sa compagne et lui a demandé de me parler en kabyle alors qu’elle n’arrivait pas à placer un mot en cette langue. Pendant deux heures d’échange, l’homme part puis revient. Avec sa compagne, ils ont utilisé tous les arguments possibles pour me convaincre de verser un cautionnement d’un mois de location : 25 000 DA. Il voulait l’argent immédiatement ! Il a même sorti un cachet et un paquet de documents et assuré qu’il allait me faire lui-même le contrat de location sur place !»
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