mercredi 25 avril 2018

«C’est indécent de parler d’un 5e mandat»

- A une année de l’élection présidentielle, la classe politique est en panne d’initiative, c’est comme si cette échéance électorale n’a pas d’importance. Quelles sont, selon vous, les raisons de cette situation ? Face aux graves menaces sur l’avenir de la patrie, la priorité des priorités du travail politique est de mobiliser toutes les forces du changement autour d’un programme de sauvegarde (himayate el watan) et non de se préoccuper du leurre d’élections gérées par une administration au service des tenants du pouvoir. Permettez-moi de vous faire une démonstration de la menace sur l’avenir, basée sur des instruments d’analyse rigoureux. Il s’agit d’un diagnostic des maladies de la société, de la situation du pouvoir et ses conséquences sur l’Etat, ainsi que les perspectives de l’économie. La société algérienne vit cinq maux : la perte de la morale collective, la violence qui devient l’instrument privilégié de règlement de conflits entre les individus, entre les groupes d’individus et même entre les groupes d’individus et l’Etat, la corruption très largement répandue, l’individualisme (akhti rassi) et le fatalisme (Allah ghaleb). La nature du pouvoir se caractérise par l’autoritarisme, le patrimonialisme et le paternalisme. Il s’agit, alors, d’un pouvoir mal informé de la situation réelle du pays, avec l’existence d’un gap énorme entre gouvernants et gouvernés et des institutions affaiblies. Ajoutez à cela la rente et la prédation dans son utilisation et vous aboutissez à un Etat déliquescent. Celui-ci se définit par cinq critères : l’institutionnalisation de l’ignorance et de l’inertie, le culte de la personnalité, l’institutionnalisation de la corruption, un nombre restreint d’individus qui prennent les décisions stratégiques à la place des institutions habilitées, l’émiettement des pôles au sommet de la hiérarchie de l’Etat. L’économie algérienne a connu une situation d’aisance financière exceptionnelle durant plusieurs années. Mais par la mauvaise gouvernance, cette situation d’aisance financière a généré, paradoxalement, une plus grande dépendance des recettes d’exportations d’hydrocarbures, comme le démontrent les chiffres suivants. La facture des importations est passée de 12 milliards de dollars en 2001 à 68 milliards de dollars  en 2014, auxquels il faut ajouter 8 milliards de dollars de transferts des bénéfices des sociétés étrangères exerçant en Algérie. Le prix du baril nécessaire pour équilibrer le Budget de l’Etat est passé de 34 dollars en 2005 à 115 dollars en 2011. Le budget de fonctionnement a enregistré une augmentation de 47% entre 2010 et 2011. Ce laxisme dans les dépenses est en place au moment même où le volume des exportations des hydrocarbures enregistrait une baisse de 25,6% entre 2006 et 2011, et continue de baisser depuis. A cette baisse du volume est venue s’ajouter une baisse des prix depuis 2014. Effectivement, les recettes totales des exportations des hydrocarbures sont passées de 63 milliards de dollars en 2013 à 27 milliards en 2016. D’où les ponctions sur le stock des réserves de change, qui sera épuisé au-delà de 2019. Ainsi, la priorité des priorités est la mobilisation pacifique pour la sauvegarde de la patrie. - Certains partis appellent le président Abdelaziz Bouteflika à briguer un 5e mandat. Pensez-vous que c’est inéluctable à la lumière des déclarations de la direction du FLN et celles du Premier ministre,  Ahmed Ouyahia ? Il est indécent et même irresponsable de parler d’un 5e mandat face aux menaces sur l’avenir de la patrie. La rente a été un moyen de se maintenir au pouvoir, mais elle devient de plus en plus l’accélérateur de la destruction de ce pouvoir. Le choix est évident : anticiper la catastrophe et s’allier avec les forces du changement pour la sauvegarde de la patrie ou ne rien faire et subir la catastrophe qui, si elle n’épargnera pas la patrie, n’épargnera pas le pouvoir en place. Il faut bien considérer que nous entrons dans une phase de la montée des inégalités en situation de pénuries de moyens de financement ! - Dans le cas où cette option s’avère réalisable, seriez-vous candidat à cette élection ? Je vous rappelle que j’avais réuni toutes les conditions exigées pour présenter un dossier de candidature valable en 2014 ; mais lorsque le chef de l’Etat en exercice a annoncé sa candidature, le résultat du scrutin était bien établi et se présenter n’aurait fait que donner l’illusion d’élections régulières. Je n’ai pas marché dans l’illusion hier, je ne le ferai pas demain. - Des cercles de l’opposition avancent, même si cela s’est fait timidement, l’idée d’un candidat unique. Etes-vous partisan de cette option ? Avec les démonstrations rigoureuses que je viens d’établir dans les réponses aux questions précédentes, il apparaît clairement que la priorité des priorités est la conception et la mise en œuvre d’un programme pour la sauvegarde et la prospérité de la patrie algérienne qui est très sérieusement menacée dans son avenir proche. Donc, j’appelle toutes les forces du changement à se réunir, indépendamment de leurs orientations politiques, en une conférence nationale pour la conception du programme de sauvegarde et de prospérité ainsi que l’établissement des feuilles de route de sa réalisation. Les expériences des patriotes algériens en 1953 et 1954 sont très instructives à ce sujet. - Lors de sa dernière conférence de presse, le Premier ministre a affirmé que la crise que vit le pays est pire que celle de 1986. Etes-vous de cet avis ? Les chiffres permettent de meilleures comparaisons entre deux périodes. En 1992, le pays connaissait un ratio du service de la dette extérieure de plus de 50% sur les six dernières années et un déficit budgétaire de -7% du PIB. En 1993, le ratio du service de la dette extérieure a atteint 86%, et au premier trimestre 1994, ce chiffre était de 114%, autrement dit, la totalité des recettes des exportations ne suffisait pas pour faire face au service de la dette extérieure, puisque celui-ci a dépassé les 100% ! Après une journée et une nuit de négociations au Club de Paris pour le rééchelonnement de la dette, le résultat final était : modalités de remboursement de 16 ans avec une période de grâce de 4 ans et des remboursements graduels à partir de la 5e année : 1,39% à la 5e année, 2,17% à la 6e année, 3,06% à la 7e année, 4,09% à la 8e année. Autrement dit, rembourser sur les huit premières années seulement 10,71% de la dette rééchelonnée, soit un allégement très confortable pour la conduite de politiques économiques innovantes, si la bonne gouvernance était au rendez-vous à partir de 1999. En plus d’une situation financière confortable héritée au départ, la gouvernance actuelle a connu une aisance financière jamais égalée auparavant, avec un prix du baril dépassant largement les 100 dollars américains, alors que le pays se trouve, aujourd’hui et pour longtemps, en situation de pénurie de moyens de financement de son économie et de son budget de façon structurelle. - Il a affirmé aussi que l’Algérie est sortie d’affaire grâce aux décisions du président Abdelaziz Bouteflika, entre autres, le paiement de la dette par anticipation et l’endettement interne… Le règlement de la dette extérieure a été réalisé en 2006, avec un paiement anticipé d’à peine 10 milliards de dollars. En 2005, les réserves en devises de l’Algérie s’élevaient à 56 milliards de dollars et représentaient 27 mois d’importations. C’était une situation financière confortable. Le peuple ne ployait aucunement sous le poids de la dette extérieure ! Cette réduction de la dette extérieure était rendue possible grâce à l’augmentation du prix du baril de pétrole, qui est passé de 54 dollars/baril en 2005 à 65 dollars/baril en 2006. Elle n’a pas eu de conséquence sur les réserves en devises qui sont passées de 56 milliards de dollars en 2005 à 77 milliards en 2006. De toutes les façons, la totalité de la dette rééchelonnée était programmée à un remboursement total à 2011 avec un prix du baril de 18 dollars !     

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