La fiscalité locale, un grand chantier qui n’a cessé depuis de longues années de donner le tournis à l’administration centrale, aux collectivités locales et aux contribuables. Du fait de la centralisation de la décision, l’administration se retrouve devant la titanesque mission de gérer à distance le rendement de plus de 1500 communes pour un territoire-continent ; les collectivités locales se plaignent de leur côté de ne pas avoir les prérogatives nécessaires pour gérer efficacement les communes, et les contribuables pataugent pour leur part dans de bureaucratiques et contraignantes procédures administratives fiscales. Résultat : un recouvrement fiscal des plus faibles et une répartition inéquitable des richesses. Du fait de la gestion approximative des richesses, de nombreuses communes se retrouvent en mal de ressources financières et donc dans des situations de non-développement, attendant les subventions et autres mannes de l’Etat pour pouvoir gérer les affaires courantes. Après moult études et une longue réflexion, la réforme de la fiscalité locale commence à prendre forme au niveau du ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales. Ce département en charge des collectivités a lancé un chantier de réflexion en vue de l’élaboration d’un code de la fiscalité locale qui promet de «révolutionner» la gestion de la fiscalité jusqu’alors sclérosée par le système de centralisation de la décision. Les services du ministère de l’Intérieur ont achevé à 90% la préparation d’un avant-projet de code de la fiscalité locale, dont le maître-mot est la modernisation et la délégation de la gestion de la fiscalité locale et dont nous avons obtenu des détails. «Nous constatons que la fiscalité n’est pas toujours bien maîtrisée par les cadres locaux, ils n’ont pas un pouvoir effectif sur la fiscalité locale, et c’est dans ce cadre qu’est née la réflexion autour de cet avant-projet de code de la fiscalité locale. Nous avons, dans le cadre de l’élaboration de ce dernier, recouru à une série d’études portant sur la réforme de la fiscalité locale effectuées par le CNES, le Ceneap ainsi que par un groupe de réflexion sud-coréen. Nous nous sommes aussi imprégnés de nombreux exemples étrangers (espagnol, français, chinois, sud-coréen, tunisien et marocain) pour aboutir à un projet adaptable à la situation de notre pays. Avoir un code de la fiscalité locale est en soi un grand changement qui facilitera et simplifiera le recouvrement de l’impôt local et consacrera la solidarité entre les communes.» Les collectivités élues décideront et géreront la politique fiscale locale «Ce projet de loi regroupe l’ensemble des dispositifs législatifs de la fiscalité locale en un code unique et cohérent, qui simplifie et modernise le mode de gestion des impôts et taxes locaux et partagés avec l’Etat, et implique les collectivités locales dans la mobilisation des ressources financières», explique Mme Guerrache, sous-directrice de la fiscalité locale au ministère de l’Intérieur. L’avant-projet de code, indique notre interlocutrice, propose «des actions de modernisation du cadre juridique des impôts et taxes, droits et redevances, existant déjà dans la législation ainsi que le renforcement de la compétence fiscale des assemblées élues». Les assemblées élues, ce qui est une grande première, auront à la faveur de ce code un droit de regard sur la politique fiscale locale. «Les assemblées vont discuter la politique fiscale de leur collectivité, elles vont établir des délibérations fiscales, ce qui ne se fait pas aujourd’hui, et elles pourront instaurer une dynamique d’attractivité des compétences entre les collectivités elles-mêmes», explique notre interlocutrice en indiquant que l’avant-projet de code va édifier le principe de solidarité entre les communes. C’est-à-dire qu’une commune disposant de ressources financières importantes pourra aider une commune sans ressources pour lancer des projets de développement. «Dans le cadre de la répartition équitable des richesses, nous avons pensé à une nouvelle forme de solidarité autre que celle que prévoit la Caisse nationale de solidarité. Il s’agira d’une solidarité horizontale entre des communes qui ont des gisements fiscaux importants et des communes moins pourvues en ressources en leur accordant des subventions. Nous avons 900 communes rurales qui n’ont pas beaucoup de ressources, cela leur permettra de se développer. La procédure actuelle pour avoir des subventions étant contraignante et les moyens de l’Etat n’étant plus ce qu’ils étaient, nous proposons cette forme de solidarité qui simplifiera la répartition équitable des richesses», note Mme Guerrache. Parmi les dispositions de l’avant-projet de code figure la création de commissions locales devant aider les services des impôts dans le recouvrement avec un allégement des procédures. Est aussi prévue une décentralisation de la gestion de la taxe foncière assortie d’une réforme de la valeur locative cadastrale. «Actuellement en Algérie, la taxe foncière arrive en cinquième ou sixième position dans les revenus de la collectivité alors qu’ailleurs c’est un gisement fiscal très important. Cela doit changer, notamment avec l’achèvement de l’opération de cadastrage. Nous avons d’ailleurs sur ce point précis pris en compte l’exemple espagnol, où le cadastre est fait à 100%, c’est même le meilleur d’Europe. Il nous faut arriver à cela afin de jouir entièrement des richesses foncières. Une étude sud-coréenne nous propose d’ailleurs de miser sur la taxe foncière et non pas la TAP», précise encore notre interlocutrice en plaidant pour une étroite collaboration entre les services des domaines, des impôts et les collectivités locales. Codification des droits et redevances revenant aux collectivités locales Ces dernières recevront d’ailleurs les formations nécessaires pour s’adapter à la mission de gestion des recouvrements des impôts. En termes de ressources, la commune dispose d’une assiette fiscale importante, mais qu’elle gagnerait à mieux connaître et gérer. Si des taxes et impôts locaux, comme la TVA et la TAP (taxe sur l’activité professionnelle), représentent 90% des ressources fiscales des communes, il existe d’autres formes fiscales dont les communes négligent la part de revenus. Il s’agit, entre autres, de la taxe foncière, la taxe de fêtes et réjouissances, la taxe de séjour, les plaques et affiches, les permis immobiliers. «La nouveauté dans le code c’est que ces taxes qui ne sont pas codifiées le seront, comme la taxe de fêtes et réjouissances ou la taxe de séjour. Ces droits et redevances vont faire l’objet d’une actualisation et d’une simplification. On a, par exemple, proposé de revoir la base taxable de la taxe de séjour. Il y a des hôtels qui sont taxés alors que d’autres structures d’hébergement ne le sont pas, pourquoi ne pas les intégrer et permettre aux collectivités d’avoir de nouvelles ressources», nous dit-on, en suggérant l’adaptation des niches fiscales à la conjoncture en imposant aussi une taxe de séjour chez l’habitant. Dans le cadre d’une gestion mixte, les collectivités locales auront le pouvoir de déterminer, en collaboration avec les services fiscaux, les taux des taxes dans le cadre des fourchettes définies par la loi. Les collectivités locales sont appelées à innover et créer leurs sources de revenus. Elles vont gérer directement les taxes particulières intégrées dans la catégorie des droits de place, de stationnement et de permission de voieries. Des prestataires privés pour collecter l’impôt local «On va intégrer tous les droits et redevances dans le code. Les permis de places existaient mais on va intégrer les panneaux publicitaires, les dépôts de gravats, les installations des échafaudages, l’utilisation du trottoir par un magasin ou une terrasse de café, l’accès au garage, au package… qui seront codifiés et entrés dans les droits que les communes vont percevoir. Jusqu’à présent, les communes négligeaient ce segment, mais dorénavant il y aura une revalorisation de cette partie du patrimoine», indique Mme Boukhdimi, sous-directrice patrimoine et sa valorisation au ministère de l’Intérieur. La commune aura un droit de regard sur tout service octroyé à un particulier suivant les particularités de chaque territoire. Des impôts et taxes seront aussi regroupés en familles d’impôts pour alléger leur collecte. L’APW pourra aussi instituer une politique fiscale et donner des orientations dans ce sens. La commune aura la possibilité de décider de réduire une redevance pour encourager une activité donnée. Plus loin encore, l’avant-projet de code prévoit aussi d’ouvrir la voie au partenariat public-privé pour permettre une meilleure collecte fiscale comme cela se fait en Espagne. «Il y aura la possibilité de solliciter des entreprises de service privées, notamment dans les petites localités où il est difficile de collecter l’impôt, parce que tout le monde se connaît. Le code ouvre le champ à la possibilité de déléguer le recouvrement à une entité privée qui n’a pas d’état d’âme et qui fera la collecte comme il se doit. On est en train d’étudier encore ce point pour déterminer dans quelle catégorie ces entités vont œuvrer.» L’avant-projet de code prévoit aussi la phase de modernisation consistant en un meilleur partage d’information fiscale, mais aussi arriver au paiement à distance de l’impôt. Un observatoire sur la fiscalité locale, composé d’élus, de cadres et d’experts, sera créé pour accompagner la réforme de la fiscalité.
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