Le Liban, qui, dans le passé, était l’une des destinations touristiques des plus prisées au monde, est devenu un traquenard pour des «aventuriers» naïfs. C’est le cas de ce groupe de citoyens algériens, pour qui le retour au pays relève du miracle après un séjour cauchemardesque à Beyrouth, la capitale du Liban. Chasse gardée de la France, ayant fait de la capitale libanaise «le petit Paris» où se côtoient toutes les religions, c’est assurément cette image qui a alléché les touristes du monde entier. Mais cette aventure peut se transformer vite en enfer, comme cela a été le cas pour deux Algériens. Ces derniers nous ont fidèlement témoigné des pénibles moments qu’ils ont vécus entre les mains des milices du Hezbollah et les services de sécurité officiels de ce pays. Pour Yacine Mechrouk, 34 ans, originaire de Aïn Bessem, dans la wilaya de Bouira, le scénario inattendu a été vécu au mois de mars dernier. «Nous avons vécu l’enfer, d’abord dans les cellules des milices du Hezbollah, puis dans celles des services du renseignement libanais où nous avons été transférés. Je n’ai jamais imaginé un tel scénario. Deux autres touristes algériens faisaient partie d’un groupe dont le voyage a été organisé par une agence de tourisme, All Tour, basée à Alger», a-t-il déclaré. Moqueries et humiliations à El Merkaz Les témoignages de ce jeune touriste, visiblement très affecté, laissant échapper des larmes en se rappelant des pratiques inhumaines qu’il avait subies, montrent à quel point il a été affecté. De simple touriste, il s’est retrouvé accusé de deux chefs d’inculpation, d'abord d’espion par le Hezbollah, et de terroriste par les agents de renseignement libanais. Les moqueries, les humiliations, le harcèlement et les pressions de tous genres ont constitué le lot de souffrance qu’il a subie sans répit durant plus de 48 heures. Tout a commencé dans l’après-midi du 24 mars dernier, au moment où il se préparait à rentrer au pays après un séjour touristique d’une semaine. «Nous étions hébergés dans un hôtel, en plein centre de Beyrouth, encadrés dans nos déplacements par des guides accompagnateurs de l’agence. C’était le dernier jour. Nous avions décidé de faire des achats au niveau d’un marché célèbre du quartier Raouché, vraisemblablement sous le contrôle des milices du Hezbollah. Contre toute attente, nous avons été interpellés par un individu à bord d’une moto, qui s’est identifié comme étant un élément de la branche armée du Hezbollah. Il a immédiatement fait appel à des renforts qui nous ont conduits manu militari dans les locaux de ce parti. Nous soupçonnons qu’une telle interpellation s’est faite par rapport à des prises de photo d’endroits purement touristiques, à l’image d’une façade d’une ancienne mosquée», se rappelle Yacine. Conduit dans un petit bureau appartenant à cette organisation, les questions pleuvaient. «Vous êtes des Irakiens, Palestiniens ou Syriens ?». «N’êtes-vous pas des espions agissant pour les services secrets de votre pays ? etc», se rappelle-t-il, en précisant que l’interrogatoire a duré plusieurs heures, avant que l’ordre ne soit donné par téléphone de les transférer vers le QG du Hezbollah. Arrivés au siège du commandement de cette organisation, «El Merkaz», les yeux bandés et les mains liées avec des serre-câbles en plastique, se rappelle amèrement notre interlocuteur, encore traumatisé. Au niveau d’El Merkaz, nos trois ressortissants algériens ont subi le même interrogatoire, mais avec plus de brutalité et d’arrogance. Toutes leurs affaires (téléphones portables, argent et pièces d'identité) leur ont été confisquées. «Les agents chargés de nous interroger ont aussi exigé de nous de leur divulguer les mots de passe pour accéder à nos pages Facebook», a-t-il indiqué. Toutefois, notre interlocuteur a précisé que leur séjour au niveau du centre en question a duré plusieurs heures, avant qu’ils ne soient livrés aux services de sécurité qui, à leur tour, sont passés à d’autres méthodes et procédures aussi musclées qu’humiliantes que celles du Hezbollah. «On nous a mis des cagoules sur la tête et nos mains étaient attachées encore lors de notre transfert. Là encore, ils cherchaient les raisons de notre présence au Liban, alors que toutes les formalités ont été faites par l’agence de tourisme en charge de voyage», ajoute Yacine. «Ils vérifiaient et cherchaient à nous coller dans un fichier de citoyens venus, selon leurs dires, préparer des attentats au Liban», a-t-il déclaré reprenant l’une des déclarations faite avec arrogance par un officier chargé de leur interrogatoire. Le supplice s’est prolongé jusqu’à une heure tardive de la nuit, avant que les trois infortunés touristes ne soient placés dans une cellule située au sous-sol du même édifice. Les conditions de détention étaient inhumaines, selon nos ressortissants, dont l’un d’eux exerce la fonction de juge. Ils ont été placés dans une salle pleine à craquer de prisonniers. «Nous étions conduits par une brigade ''spéciale'', qui nous a entassés dans une salle avec une cinquantaine de détenus, dont on ignorait le mobile de leur présence dans cet endroit. Nous étions jetés en pâture à une horde humaine hétéroclite, dans des conditions indescriptibles, où l’on dormait même dans les toilettes. Un détenu palestinien s’est approché de nous pour nous décrire le contexte infernal dans lequel il a été placé. Comme pour tous les autres, nous avons constaté de visu que les droits humains les plus élémentaires sont totalement bafoués. Certains prisonniers étaient complètement nus, d’autres subissent une sorte de délire diabolique. Bref, nous avons vécu l’enfer…», a témoigné Ali, 48 ans, résidant au quartier de Bab El Oued à Alger. Des touristes, pas des terroristes Ce dernier a déploré également que les agents de sécurité ont même refusé de lui restituer ses médicaments, pourtant atteint d’une maladie neurologique. «Depuis le moment de notre arrestation, nous avons exigé d'être mis en contact avec notre représentation diplomatique, conformément au droit international, hélas cela a été vain», ont-ils regretté. Dépassées les 48 heures de détention arbitraire et cauchemardesque, les trois touristes algériens ont été libérés en présence de l’attaché militaire de l’ambassade d’Algérie, avisée par les services de sécurité libanais qui n’ont probablement rien trouvé de suspect chez les Algériens. Un responsable a même «présenté des excuses» aux trois touristes. Libérés après avoir été humiliés par les autorités libanaises et les miliciens de Hezbollah, les trois touristes algériens ne sont pas au bout de leurs souffrances. Après avoir raté le vol à cause de leur maintien en détention, ils ont demandé assistance auprès de l’ambassade d’Algérie ou de la compagnie Air Algérie. En vain. «Nous avons trouvé toutes les peines du monde pour regagner le pays. Le chef d’escale d’Air Algérie a catégoriquement refusé de nous laisser embraquer à bord d’un vol direct sur Alger pourtant quasiment vide. Le préposé au guichet a exigé de nous le payement des pénalités pour changer le billet, bien que le chef d’escale ait été avisé en notre présence par l’attaché militaire», a déploré Ali en dénonçant énergiquement l’absence totale des représentants de l’agence de voyage. Silence radio des autorités Contactée par nos soins, la chargée de communication d’Air Algérie s’est référé à une réglementation qui indique que «tout passager ayant raté son vol est obligé de s’acquitter d’une somme de 11 000 DA, en plus du tarif initial de son billet». «Même s’il y a des places dans l’avion, le passager ne sera pas embarqué», a précisé Mme Bertouche dans une conversation téléphonique avec El Watan. Comme quoi, aucun cas de force majeure n’est pris en compte ! L’agence All Tour, organisatrice du voyage, ne s’est pas encore manifestée à ce jour, ignorant totalement le sort réservé à ses clients qui pourtant manquaient au retour de l’avion. Contactée à maintes reprises, aucun responsable de cette agence n’a souhaité s’exprimer sur cette affaire. Un fait illustrant l’absence de coordination entre les institutions du pays à l’étranger. Même topo au département de Abdelkader Messahel. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères n’a pas aussi souhaité donner suite à notre demande. Cette affaire rappelle d’autres désagréments subis par les touristes algériens à la frontière tunisienne pour cause d’une taxe de 30 DT imposée unilatéralement par ce pays pour quitter son territoire. D’autres Algériens ont été détenus arbitrairement dans des geôles libyennes. Ces dépassements sont devenus récurrents, en particulier chez «nos frères arabes». Les trois touristes ont pu regagner le pays en optant pour un vol avec escale à Frankfurt, en Allemagne.
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