Consacrée aux travailleurs, la journée du 1er Mai est une occasion pour faire une halte et un bilan des acquis sociaux, menacés par un projet de loi portant code du travail, qui confirme la régression en matière de protection des travailleurs et des libertés syndicales. Depuis sa première mouture en 2014, puis sa deuxième en 2015, ce projet de loi de quelque 670 articles a été totalement rejeté aussi bien par les syndicats autonomes que par l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), parce qu’il ouvre la voie à l’emploi précaire, renforce les prérogatives du patronat et diminue considérablement les droits des employés. Au mois de février dernier, le gouvernement, par la voix du ministre du Travail, Mourad Zemali, rassurait les syndicats en appelant à «un dialogue social» sur la question, sans pour autant aller jusqu’au bout de ses promesses, au moment où l’Intersyndicale, fortement opposée à ce projet de loi, finalisait son «livre de propositions» à remettre aux pouvoirs publics. Pour ce regroupement de syndicats autonomes, le projet de code du travail est «un ensemble de restrictions du droit syndical et un élargissement des emplois précaires à travers la mise en place des contrats à durée déterminée, le travail de sous-traitance...» Président du Snpsp (Syndicat national des praticiens de santé publique) et membre de l’Intersyndicale, Lyes Merabet affirme que le projet de loi «n’est en réalité qu’une série d’articles assurant la protection du patronat. Le secteur privé a de tout temps été réfractaire à l’exercice syndical ; il n’y a qu’à voir les statistiques de la représentation syndicale dans le secteur économique pour se rendre compte de cette réalité. Si dans la première mouture de ce texte, cette protection de l’employeur n’était pas visible, dans la seconde, elle est bien claire. La relation de travail qui était collective sera, grâce à ce projet de loi, individuelle, alors que le volume de travail, les congés, les repos, etc., seront fixés par l’employeur, comme le travail des enfants sera permis dès 6 ans, dans le cadre artistique par exemple. C’est carrément une régression totale des droits des travailleurs». Pour M. Merabet, «cette tendance, qui n’est pas propre à l’Algérie, est le fruit de la pression exercée par le patronat et des lobbys financiers». Le syndicaliste constate aujourd’hui, après un combat qui dure depuis plus d’une année, que «c’est la confusion la plus totale entre le gouvernement et son ministre du Travail. Il y a une année, nous avons rencontré l’ex-ministre, qui nous a présenté son inspecteur général, en tant qu’interlocuteur pour discuter de ce projet de loi. Mais, il est parti, tout comme son inspecteur général, et son successeur n’a pas pris la peine de poursuivre la démarche qui a été mise au placard». M. Merabet regrette que l’Exécutif «se mette en position d’attente, ponctuée par un tâtonnement du terrain, pour tester la réactivité du front social. Il y a des situations synonymes de crise, qu’il faut prévenir à travers le dialogue et la concertation. Mais ce n’est pas le cas, et je pense que le gouvernement a profité de ce répit pour passer au peigne fin la liste des organisations syndicales, dont certaines ont été exclues, alors qu’elles se sont conformées totalement à la loi». Pour sa part, Amar Takdjout, secrétaire général de l’Union de la wilaya d’Alger et de la fédération de textile, de l’Ugta, explique que la première mouture de ce projet de loi a été distribuée à toutes les fédérations de la centrale syndicale, pour une large discussion sur son contenu. «Une commission a été chargée de faire des propositions, mais une année après, il y a eu une deuxième mouture du projet de loi qui comporte des articles très contestés qui fragilisent davantage le monde du travail, à travers un embrigadement de l’action syndicale et les restrictions du droit des travailleurs. La généralisation des contrats à durée déterminée et le travail temporaire sont totalement contraires au droit syndical. Ce système de flexibilité du travail est en porte-à- faux avec les acquis sociaux. C’est un nivellement par le bas, pour adapter les lois à l’économie de l’informel. On a instauré une législation de l’informel à celui qui ne respecte pas la réglementation, ne paie pas ses impôts et ses cotisations, etc. Nous constatons que le patronat a pris la part du lion dans ce projet de loi.» Pour expliquer pourquoi un tel projet de loi, M. Takdjout n’exclut aucune thèse, mais fait remarquer que l’Union européenne, par exemple, a fait le forcing pour que la législation du travail soit en faveur des IDE. De ce fait, il préconise un débat plus large sur la question, y compris au sein même de l’Ugta. «Les syndicats autonomes ont réagi, certes, mais beaucoup ont préféré attendre probablement après 2019. Les contestations sociales autour de la loi sur la retraite ont donné à réfléchir. Peut-être que pour le gouvernement, il n’est pas judicieux de remettre le feu à la paille en ce moment. Après 2019, il y aura une plus grande visibilité et une ligne de conduite.» Le représentant de l’Ugta estime qu’il faudra «créer une alternative, engager des discussions pour trouver les moyens d’opérer une profonde réflexion pour une vraie réforme du code du travail pour le rendre plus favorable aux travailleurs. Il n’y a pas d’économie forte sans protection de l’emploi. L’Algérie n’est ni l’Allemagne ni la France, pour copier leurs lois. Ce projet de loi est incohérent. Il ne protège ni l’emploi ni les employés. C’est un texte explosif qui risque d’enflammer le front social». Une conclusion qui met à nu les déclarations du ministre du Travail qui, il y a quelques semaines, le présentait comme «une autre garantie pour la protection des droits syndicaux et des travailleurs».
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