Durant la première quinzaine du mois de mai, au moins 31 personnes ont été tuées suite à des affrontements tribaux dans la région, rapporte l’AFP. L’enjeu réel de ces combats est le contrôle de la ville de Sebha, «carrefour de tous les trafics». Alors qu’un accord de principe vient d’être trouvé à Paris entre quatre des principaux protagonistes de la crise libyenne, prévoyant notamment l’organisation d’élections législatives et présidentielle le 10 décembre prochain, d’aucuns se sont montrés sceptiques quant aux chances réelles de voir une paix durable s’installer dans le pays. L’un des sujets de préoccupation qui reviennent avec le plus d’insistance à propos de ce processus politique, c’est sa capacité à intégrer le sud de la Libye que l’on décrit comme étant au bord de la guerre civile. Il s’agit d’un vaste territoire désertique appelé le Fezzan, et qui, avec plus de 550 000 kilomètres carrés, occupe quasiment le tiers du pays. Il vient compléter les deux autres grands territoires traditionnels qui dominent la géographie libyenne : la Tripolitaine au Nord et la Cyrénaïque à l’Est. Force est de constater que depuis la chute d’El Gueddafi en 2011, cette vaste étendue est en proie à une profonde instabilité et semble même renfermer tous les ingrédients d’une situation explosive. Durant la première quinzaine de ce mois de mai, au moins 31 personnes ont été tuées suite à des affrontements tribaux dans la région, rapporte l’AFP. L’enjeu réel de ces combats est le contrôle de la ville de Sebha, «carrefour de tous les trafics». «La lutte pour le contrôle du trafic de contrebande et des champs pétroliers oppose depuis des mois la tribu arabe d’Awlad Souleiman aux Toubous, vivant sur un territoire à cheval entre la Libye, le nord du Tchad et le Niger», précise l’AFP. D’autres combats opposent régulièrement, par ailleurs, Touareg et Toubous. Ces guerres tribales ne sont qu’une des facettes de la situation de chaos généralisé que traverse la Libye. La leçon de Tiguentourine L’état d’insécurité qui prévaut dans le Sud libyen est tel que cela rejaillit systématiquement sur tous les Etats limitrophes, dont l’Algérie. Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler que l’attaque de Tiguentourine du 16 janvier 2013, qui a été perpétrée avec de l’armement lourd en provenance de Libye, n’aurait pas été commise avec une telle facilité sans l’effondrement de l’Etat libyen et la porosité des frontières qui s’en est suivie. «On soupçonnait depuis deux mois et demi (avant l’attaque, ndlr) que Mokhtar Belmokhtar, dissident d’Aqmi et du Mujao, avait décidé de frapper un grand coup contre l’Algérie et les puissances occidentales. C’est, paradoxalement, à…Tripoli libérée que s’est tenue la première réunion regroupant Belmokhtar avec des éléments ayant quitté Aqmi pour rejoindre El Moultahimoune (Les Enturbannés), à leur tête le chef du commando d’In Amenas, Mohamed-Lamine Bouchneb, dit Taher, venu avec son organisation», écrit Mounir B. dans Liberté. Et d’ajouter : «Le choix de la Libye était non seulement évident mais judicieux. Alors que Belmokhtar était signalé au Mali, en Mauritanie ou au Burkina Faso, sous la protection bienveillante de son ami l’imam Chafi, c’est dans un Tripoli chaotique, encore sous la fièvre de l’après-El Gueddafi, que Belmokhtar est parti faire du shopping chez ses nouveaux amis salafistes libyens, qui avaient mis la main sur un arsenal impressionnant. La liste des courses de Belmokhtar était édifiante : missiles sol-air (Manpads), RPG7 nouvelle génération, mitrailleuses FMPK 6,65mm montées sur treuils pour 4x4, AK47…» («In Amenas : révélations sur une attaque terroriste» in Liberté du 19 janvier 2013). Voilà qui en dit long sur la mobilité des terroristes entre les deux frontières et le risque que représentent les groupes stationnés en Libye, entre ceux de Daech, Aqmi et le reste, ce qui explique les importantes saisies d’armes opérées régulièrement par l’ANP aux frontières de l’extrême-Sud. Le 19 mai, le MDN annonçait encore, dans un communiqué, l’arrestation de «trois individus à bord d’un véhicule tout-terrain» à Djanet. Ils avaient en leur possession «un pistolet-mitrailleur de type Kalachnikov, une quantité de munitions et 900 litres de carburant». Le rapport de Crisis Group sur le Fezzan Il tombe donc sous le sens que la dégradation de la situation sécuritaire en Libye, et tout particulièrement dans le sud du pays, impacte directement l’Algérie. Le très fragile GNA (gouvernement d’union nationale dirigé par Fayez Al Sarraj) reconnaît l’énormité de la tâche. Dans une interview accordée début mai à la radio RFI, le chef de la diplomatie libyenne, Mohamad Taher Siala, avouait : «La Libye est un pays très étendu sur un très grand espace. Il occupe une énorme partie du grand désert africain. Il n’est pas facile de contrôler toutes ces zones et nous sommes face à un problème de sécurité dans le sud du pays. La Libye possède des frontières avec cinq autres pays. Ses frontières énormes, au Sud, sont difficiles à contrôler.» Dans un rapport de l’International Crisis Group daté du 31 juillet 2017, consacré exclusivement à la situation dans le Sud libyen sous le titre «Comment le Fezzan est devenu la nouvelle frontière de l’Europe ?», on peut lire : «Alors que la région (le Sud libyen, ndlr) est richement dotée en ressources naturelles, elle souffre de l’absence d’une autorité centrale capable d’imposer l’ordre. Les incitations à la contrebande de tous types — personnes, pétrole, or, armes, drogues — dépassent de loin celles pour gagner de l’argent par des moyens légaux. Les tensions ethniques et tribales, amplifiées par le vide politique et la concurrence économique, ont été exploitées par des factions rivales pour contrôler le pays. Des forces extérieures — des puissances régionales, des mercenaires étrangers et des groupes djihadistes transnationaux — se sont également ingérées, rejoignant les conflits locaux ou utilisant le Sud comme zone de transit. Stabiliser le Fezzan au milieu d’une telle tempête sera difficile…» Cette zone est devenue également, note le rapport, une importante plateforme migratoire : «Les décideurs politiques européens voient de plus en plus le Fezzan, région vaste et peu peuplée du sud-ouest de la Libye, comme leur frontière contre les migrants et les réfugiés africains subsahariens qui empruntent la route de la Méditerranée centrale pour l’Europe. En 2016, plus de 160 000 personnes ont emprunté cette route depuis la Libye sur des bateaux de fortune ; la plupart étaient entrés par cette région, qui relie la frontière sud du pays à sa côte.» Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), quelque 700 000 migrants se trouvent actuellement en Libye. Une intervention militaire «risque d’alimenter davantage l’instabilité» Si le Sud libyen constitue un véritable casse-tête sécuritaire, l’ONG prévient contre toute tentation d’intervention militaire dans la région : «Certains étrangers, en particulier certains Etats européens, pourraient être tentés de contourner un tel dialogue (entre toutes les parties, ndlr) à la recherche d’une solution militaire plus rapide. Cela serait malavisé: toute tentative d’imposer une solution uniquement par la force militaire risquerait d’alimenter davantage l’instabilité. En particulier, recruter des hommes forts locaux ou cultiver des alliances avec des milices spécifiques risque d’exacerber les conflits préexistants.» Cris Group n’a pas manqué d’épingler au passage certaines officines étrangères qui n’ont fait qu’attiser la crise libyenne : «Enfin, aucune de ces étapes n’aura d’effet durable à moins qu’il n’y ait une plus grande harmonisation entre les parties prenantes internationales. En Europe, cela nécessite une plus grande coopération entre la France et l’Italie, les deux pays de l’UE qui, chacun pour ses propres raisons, se concentrent sur le Fezzan. De même, l’Union européenne, les Etats-Unis et d’autres pays devraient chercher à réduire les tensions entre les pays arabes du Golfe ou au moins limiter leur impact sur la Libye à un moment où l’Egypte et les Emirats arabes unis soutiennent Haftar, tandis que le Qatar et la Turquie soutiennent ses rivaux.»