Presqu’inexistante avant 1980, l’dition en tamazight émerge. Quels rougaes emprunte la publication ? Récit Le mouvement berbère a eu un grand mérite : permettre l’émergence d’une offre éditoriale très engagée. Presque inexistante à la veille du Printemps berbère d’avril 1980, l’édition en langue berbère a connu ses premiers balbutiements au lendemain de cette date phare. Le pionnier Rachid Aliche (1953-2014) a signé avec son roman Asfel, publié en 1981, l’acte de naissance du roman berbère. Titulaire d’un DES de physique-chimie obtenu à l’université d’Alger et d’un DEUG en lettres décroché à l’université Lyon II, Alliche a trouvé un éditeur dans cette dernière ville : les éditions Fédérop dirigées par Bernard Lesfargues (1924-2018). L’éditeur d’origine occitane, décédé en février dernier, a publié également le deuxième roman de Aliche, Faffa. Si le futur animateur de la chaine II, disparu précocement, a pu trouver un éditeur français pour ses textes, l’effort éditorial de ces années de plomb sera soutenu exclusivement par des associations berbéristes. «Outre leur caractère militant et revendicateur, des associations se sont mobilisées pour prendre en charge la production littéraire berbérisante. Ainsi, le Groupe de Vincennes qui a fondé en 1972 le Bulletin d’Etudes Berbères, remplacé par la revue Tisuraf en 1976, a édité un nombre considérable d’articles, des recueils de poésie, des études ethnographiques. La coopérative Imedyazen éditera en 1983 l’un des premiers romans écrits en kabyle, à savoir Askuti de S. Sadi», précisent Mohand-Akli Salhi (Univ. Tizi-Ouzou) et Amar Ameziane (INALCO), dans une étude publiée en janvier dernier sous le titre : «Le livre littéraire kabyle Edition et éditeurs». Le travail éditorial engagé principalement dans l’émigration (France) sera «relocalisé» en Algérie avec l’ouverture pluraliste de 1988. Pour Mohand-Akli Salhi et Amar Ameziane, en Algérie, l’édition associative a participé à l’élan éditorial à la faveur de l’ouverture du champ politique algérien au lendemain des événements d’octobre 1988. Ainsi l’association partisane Asalu a édité quelques ouvrages à Alger (Iḍ d wass d’Amar Mezdad et Askuti publié d’abord en France). «Asalu était le premier journal en langue berbère, mais il était aussi une maison d’édition qui a publié avant Askuti des textes de Mammeri et Tusnakt s wurar de Hend Sadi», a affirmé dans une précédente déclaration à El Watan Ramdane Iftini, réalisateur et ancien membre du premier Conseil national du RCD. La mise en page, très artisanale, est assurée sur la PAO personnelle du responsable installée au siège du parti situé à la rue du 19-Mai (faculté centrale, Alger). Le travail éditorial n’était guère aisé. Les initiateurs feront face à plusieurs difficultés, dont des soucis techniques : difficultés typographiques dues à l’absence d’une police de caractères en tamazight. Cette difficulté a été aplanie grâce au dévouement d’un étudiant qui «reprenait à la main le texte» pour mettre les points pour la marque d’emphase. Tiré sur les presses de l’édition de la défunte ENAP à 5000 exemplaires, Askuti sera vendu à 60 DA. Et connaitra un grand succès. Littérature «mineure» Mohand-Akli Salhi et Amar Ameziane signalent que la dimension associative de l’édition a persisté jusqu’aux débuts de l’institutionnalisation de la langue amazigh début 2000 : «On assiste depuis à une professionnalisation progressive de l’édition, notamment depuis la création en Kabylie de maisons d’éditions privées, comme El Amel Éditions, Tira Éditions, les Éditions Achab, l’Odyssée, Le Savoir, La pensée, etc. Ces dernières sont tenues, en majorité par des militants de la cause berbère. Cela s’est accompagné d’un passage progressif de l’édition à compte d’auteur à l’édition privée et étatique.» Pour les deux chercheurs, la littérature en langue berbère (plusieurs variantes, avec le kabyle dominant), occupe une place marginale et souffre d’un manque de visibilité institutionnelle et sociale. «Ce statut de littérature “mineure” exerce un impact considérable sur le champ champ éditorial», constatent-t-ils. Conséquence : le militantisme de facto de ses agents : «Dans un contexte où, jusqu’à une période très récente, éditer en berbère était une entreprise économiquement risquée, l’acte éditorial en berbère est un choix foncièrement et explicitement militant. Ceci est aisément perceptible dans le profil militant de la quasi-totalité des éditeurs privés et visible dans leurs choix éditoriaux, dans leur discours et, parfois, dans la dénomination de leur maison d’édition.» Il a été relevé également une localisation gégraphique spécifique de ces maisons d’édition: la majorité d’entre elles sont domiciliées dans les villes berbérophones (Tizi-Ouzou, Bejaïa, Bouira) et accessoirement à Alger (Casbah, Baghdadi). «La localisation est déterminante dans le choix des publications. Les éditeurs algérois (Casbah, Baghdadi), qui évoluent dans un espace culturel où dominent les littératures arabophone et francophone, ne publient que de manière sporadique des ouvrages en berbères», précisent les deux auteurs. Ce travail éditorial, engagé au tournant des années 2000, a vu l’émergence d’un profil d’éditeur. Mohand-Akli Salhi et Amar Ameziane évoquent la figure de l’éditeur-écrivain qui s’est ajouté celle de l’éditeur-traducteur : «Pour bon nombre d’éditeurs, l’acte éditorial constitue le prolongement logique de leur activité d’écrivains (…)Pour Achab, Tazaghart, Nekkar, Mezdad (édition à compte d’auteur), traduire de l’arabe (Tazaghart) ou du français (Achab, Nekkar) constitue un moyen d’enrichir la littérature kabyle du point de vue linguistique, thématique et stylistique, en l’ouvrant à d’autres horizons culturels. Néanmoins, la stratégie des uns et des autres n’est pas identique : Alors que les Éditions Achab publient des traductions d’auteurs algériens francophones, à l’instar de Mohamed Dib et de Nabile Farès dont il a traduit Yahia pas de chance, les Éditions Tira et les Edition Tamagit publient des traductions d’auteurs connus ou inconnus d’autres horizons culturels.» Editeurs militants Le profil des éditeurs a eu un impact direct sur leurs catalogues : Tazaghart, Nekkar, Achab, Arkat et Mouzaoui éditent le plus de littérature, alors que Ramdane Achab, linguiste et universitaire, édite essentiellement des ouvrages de linguistique, des outils de langue (dictionnaires, manuels) et accessoirement de la littérature, signalent les auteurs. Cette situation amènent les éditeurs et leurs auteurs et traducteurs à adopter des» stratégies diverses» dans l’espoir, explique-t-on, qu’elles leur ouvrent les portes de la visibilité dans un champ littéraire algérien marqué par l’hégémonie des littératures arabophone et francophone. Militants et universitaires, et parfois même auteurs confirmés (Tazaghart et Achab), ont trouvé le filon pour conquérir de nouveaux lecteurs : encourager traduction d’ouvrages littéraires venant d’autres aires culturelles dominantes. Ce dernier effort engagé par les éditeurs privés trouve un écho chez les institutions. Parmi les derniers textes traduits et publié est celui de l’officier supérieur de l’ALN et responsable de l’armement et du ravitaillement général pour la région Ouest durant la Guerre de Libération, Mohamed Boudaoud. Publiés d’abord en français chez Rafar, les mémoires de Boudaoud seront traduits en tamazight à l’initiative du Haut-Commissariat à l’amazighité (HCA). Lors d’un café littéraire organisé au siège de cette institution, l’auteur, l’éditeur et son jeune traducteur, Naït Chabane Takfarinas, n’ont pas caché leur fierté de voir ce texte paraitre dans cette nouvelle version destinée au lectorat amazighophone. «Je devais traduire mon livre en tamazight, ma langue maternelle», estime Boudaoud. La situation de l’édition en tamazight s’est beaucoup améliorée ces dernières années. Sauf qu’avec la crise les choses risquent de se dégradée : absence de subventions étatiques, manque de lectorat, désengagement des éditeurs, etc. Tarek Djerroud dont la maison d’édition (Tafat) a publié des titres en tamazight est pessimiste. «L’univers de l’édition en Algérie est au milieu d’une grosse tempête. Sans armes, ni moyens financiers», regrette-il dans un texte écrit pour El Watan. Evoquant les difficultés auxquelles font face les éditeurs, pas seulement ceux qui publient des auteurs amazighophones, il fait néanmoins un souhait : «Organiser des formations à l’intention des éditeurs et des libraires est primordial. Une saine collaboration entre les acteurs de la filière est condition sine qua non pour la pérennité du livre et de la lecture en général.»Sera-t-il entendu ?ci.
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