dimanche 20 mai 2018

Les ravages du système rentier

La rente pétrolière est-elle la source de la crise multidimensionnelle que traverse le pays depuis plusieurs années déjà ? D’éminents professeurs en économie, en histoire et en sociologie le confirment. Ayant contribué au dernier numéro de la revue Naqd, paru sous le titre «Economie de rente et culture rentière», Daho Djerbal, historien et directeur de publication de cette revue, Youcef Benabdallah, professeur en économie, Rachid Sidi Boumedine, sociologue de l’urbain, et Amor Khelif, professeur en économie et directeur de recherche en énergie, ont relevé les ravages du système rentier en Algérie. Invités du forum de l’association RAJ, qui reste l’un des rares espaces de débat libre dans un pays où tout est fermé, les intervenants ont réussi, durant près de trois heures, à situer la source du mal national. «La question de la rente est structurelle. Elle est très importante dans la constitution des formes du pouvoir», explique d’emblée Daho Djerbal. Selon lui, la rente pétrolière en Algérie a, non seulement, «bloqué toute forme de développement», mais elle a produit «un système clientélaire et liberticide». «Quand on parle de la rente, on parle quasiment du non-développement. Elle est un facteur de blocage», lance le responsable de la revue Naqd, avant de donner la parole à Youcef Benabdallah pour un diagnostic approfondi de la situation globale. Ce dernier relève, d’emblée, l’existence de la différence entre la rente, qui est le fruit de l’exploitation des potentialités naturelles, et la production. «L’Algérie a produit sa propre crise» Rappelant l’évolution de la part des hydrocarbures dans le budget de L’Etat, qui a connu une forte progression durant les cinquante dernières années, l’économiste précise que le pays est «dans un consensus rentier», où l’Etat dispose de ses propres ressources et la population est sous-fiscalisée. «La question de la rente nous attend depuis 50 ans. Si on ne la règle pas, on ne mettra pas le pied à l’étrier», tranche-t-il. Youcef Benabdallah retrace, dans la foulée, la régression nationale qui a commencé à partir des années 1980. «Au début des années 1970, il y avait un Etat avec des velléités développementistes. A l’époque, il y avait une volonté de concilier le développement et l’émancipation des classes populaires. Mais le pari n’a pas été gagné en raison de la structure du système et ce qui est arrivé en 1986 (chute du prix du pétrole). Nous avons été piégés par la dette», précise-t-il. Ainsi, ajoute-t-il, une nouvelle forme de l’Etat s’est constituée. «Cet Etat se désengage de la sphère productive et abandonne son projet des années 1990. Il devient un Etat clientéliste, distributeur de la rente pour acheter la paix sociale, mais surtout son maintien», souligne-t-il. Et de conclure : «L’Etat a produit sa propre crise, parce qu’il est profondément rentier.» Corruption de la population L’Etat clientéliste ou néo-patrimonial, soutient de son côté Rachid Sidi Boumedine, souligne les conséquences du système qui a pu même corrompre la population. Intervenant sur la question de la production pétrolière, Amor Khelif relève la faiblesse de la production de Sonatrach qui ne produit que 40% du capital pétrolier. Cette situation n’est pas venue par hasard. Elle est, selon lui, la conséquence d’une politique mise en œuvre depuis 1986. «La loi sur les hydrocarbures de 1971 a institué le monopole de l’Etat sur les sous-sols. L’Etat transfert ce monopole à Sonatrach. En revanche, la loi interdit l’accès des compagnies étrangères aux gisements», explique-t-il. Le directeur de recherche en énergie revient sur les différents amendements de la loi qui ont conduit à la libéralisation de l’amont de la production et la démonopolisation de l’activité du gaz et du pétrole. Revenant sur la loi de 2005 qui avait suscité la polémique, Amor Khelif affirme que «malgré son retrait, une bonne partie des mesures de ce texte ont été mises en œuvre». Conséquence : recul de la production de Sonatrach. Le gaz de schiste est un désastre La casse de Sonatrach s’est poursuivie, ajoute-t-il, avec la mise à la retraite massive des cadres et des compétences à partir des années 2000. «A cela il faut ajouter la fuite des cerveaux vers les compagnies étrangères», dit-il. Critiquant l’achat d’une vieille raffinerie par Sonatrach en Italie, l’économiste dénonce l’option de l’exploitation du gaz de schiste. «Economiquement, le gaz de schiste est un désastre», souligne-t-il, précisant également que «le développement des énergies renouvelables est une demande de l’Union européenne qui s’inquiète du tassement des réserves en gaz naturel».

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