dimanche 20 mai 2018

«Tant que les expulsions se font en dehors d’un cadre légal, les abus sont possibles»

- Vous dénoncez, dans votre dernier communiqué, le traitement réservé aux migrants subsahariens. Qu’en est-il exactement ? Il faut rappeler que ces opérations de «rapatriement» n’ont pas cessé depuis 2014 ; les premières ont touché les migrants nigériens suite à un accord passé avec le gouvernement du Niger et à sa demande. Près de 28 000 migrants de ce pays ont été ainsi rapatriés vers le camp de transit d’Agadez au Niger, selon les chiffres donnés par le ministère de l’Intérieur et confirmés par l’Organisation internationale des migrants (OIM) et les autorités nigériennes. Bien que ces opérations aient été présentées comme des opérations de rapatriement ou de retour volontaire et à titre humanitaire, on a assisté après chaque campagne au retour de ces migrants dans les mêmes proportions et parfois plus, ce qui contredit l’adhésion de ces derniers à cet accord, car il s’agit en fait d’expulsions massives, collectives et forcées, ce qui est en soi contraire au droit international et c’est ce que nous avons dénoncé dès le début et nous avons évoqué les responsabilités partagées du gouvernement algérien et de celui du Niger. - Vous considérez que les «expulsions massives» doivent cesser, car elles n’ont rien d’humanitaire. Pouvez-vous revenir sur les dernières opérations, leur ampleur et leur impact ? Oui, ces dernières années, elles ont repris de plus belle et elles touchent tous les migrants subsahariens sans aucune distinction ; les migrants sont arrêtés suite à des rafles, parfois la nuit ou tôt le matin dans leurs abris de fortune par les services de sécurité et regroupés au chef-lieu de chaque wilaya et puis envoyé dans des centres de transit via des bus et camions transportant leurs affaires en attendant leur expulsion vers le sud à Tamanrasset, et puis aux frontières vers le Niger. L’opération a été massive, on parle de centaines à Oran, Béjaïa, Alger, Annaba et partout dans les villes algériennes ; on parle de 1500 juste pour la dernière semaine. Pour notre part, il s’agit d’expulsions en bonne due et forme, car elles sont forcées et contraires au droit international et à la convention des réfugiés pourtant ratifiée par l’Algérie. Elles sont périlleuses, car elles exposent ces migrants, surtout les plus vulnérables, femmes et enfants, à des dangers contre leur santé, leur sécurité et parfois même contre leur vie. Bien que s’agissant de «migrants illégaux», il faut préciser que tout refugié est d’abord migrant et quand on décide de fuir son pays, on n’a même pas le temps de réfléchir aux papiers. Pour la plupart, ce sont des réfugiés économiques ; pour certains, ils fuient les guerres, pour d’autres la pauvreté ou les conditions climatiques défavorables. C’est pour cela que nous disons que ces expulsions doivent cesser, car non seulement elles sont illégales, mais elles exposent les migrants à toutes sortes de dangers. Je voudrais juste rappeler qu’à l’occasion de certains incidents et rixes qui ont eu lieu par-ci par-là, à chaque fois c’est le migrant qui est interpellé et expulsé. Lors du dernier incident ayant opposé des travailleurs migrants à des nationaux à Blida, on n’a pas vu de procès mettant en accusation des Algériens, ce qui est grave, car de telles pratiques participent à la stigmatisation des migrants. - Les autorités parlent de risques sur la sécurité du pays... Chaque fois qu’on veut attenter aux droits et aux libertés, on brandit la menace et la sécurité, ce sont les mêmes arguments qui sont utilisés partout par les gouvernements au monde, notamment en Europe pour lutter contre l’immigration et attenter aux droits humains. Pour ce qui nous concerne, et en tant qu’ONG nationale, nous sommes conscients des dangers qui guettent le pays suite à l’instabilité de notre voisinage. Les risques d’instrumentalisation et d’infiltration à travers les réseaux de trafic d’êtres humains, de passeurs et de terrorisme et crime transnational existent bel et bien, et il est tout à fait légitime de lutter contre ces menaces, et c’est même du devoir du gouvernement d’assurer la sécurité nationale. Nous appuyons tous les efforts de lutte contre le trafic d’êtres humains et contre les réseaux de passeurs, mais nous refusons l’amalgame avec les droits des migrants et des refugiés qui sont eux-mêmes des victimes. Seulement, quand on interroge les chiffres, sur les 28 000 migrants expulsés, combien de passeurs ou de réseaux ont-ils été démantelés ? On n’a pas plus de visibilité sur la question. - La LADDH a réitéré dans son dernier communiqué son plaidoyer pour «la mise en place en urgence d’un cadre national légal conforme au standard international des droits humains à même de permettre aux migrants d’accéder au statut de réfugiés, à une protection légale et au droit de recours»… Depuis des années que nous menons un plaidoyer pour la mise en place du cadre légal, d’une loi d’asile à même de protéger les refugiés et de permettre aux migrants qui le désirent et qui remplissent les critères d’éligibilité définis par cette loi d’accéder à ce statut, le traitement doit être au cas pas cas, non collectif. Le gouvernement a pris plusieurs engagements dans ce sens. Il s’est engagé à mettre en place le registre national des migrants et la loi l’année dernière. On s’est félicité suite aux déclarations des ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Seulement, à ce jour, ces engagements tardent à se concrétiser. Tant que ces opérations d’expulsion ou de rapatriement se font en dehors d’un cadre légal national, tous les abus sont possibles car les intervenants ne sont pas outillés par la loi qui doit servir de cadre et de balise. Les migrants doivent avoir toute l’information à ce sujet et la possibilité d’accès au statut de migrant travailleur et de refugié et la possibilité de recours devant les juridictions nationales ou régionales. Le gouvernement pense que si en ignorant la question il évitera ce qu’il craint les «boat people», alors seule la loi conforme aux standards internationaux des droits humains peut endiguer le phénomène qui en réalité est mondiale et qui engage la responsabilité de tous les pays, car en fait aucun pays au monde ne peut s’ériger en donneur de leçons sur la question, vu que tous les gouvernements expulsent, refoulent et stigmatisent les migrants. L’Algérie a tout à gagner de cesser ces opérations en attendant de mettre en place le cadre légal, car c’est son image qui ne cesse de se ternir et c’est toute la sympathie et l’admiration des populations africaines envers ce pays qui a été de tout temps le berceau des opprimés et des leaders africains qui risquent d’en subir le coup.  

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