Le fondateur de BRTV fait le bilan, 18 ans après sa création, du premier média berbérophone. - Comment vivez-vous la célébration du Printemps berbère et du Printemps noir cette année ? C’est toujours un moment émouvant, un rendez-vous avec la mémoire, où nous rendons hommage à ceux qui ont mené le combat pour la culture et la langue amazighes. Les acteurs du Printemps berbère ont cassé la peur et la chape de plomb qui entouraient les questions culturelles et identitaires en Algérie depuis 1962. La date du 20 avril 1980 a été un point de non-retour pour la cause berbère, laquelle est intimement liée au combat démocratique dans notre pays. Le Printemps noir s’inscrit dans la même perspective. Des jeunes gens se sont sacrifiés pour dénoncer l’injustice et le déni identitaire. Ils ont poursuivi le combat de leurs aînés et ils s’attendent à ce qu’on finisse le leur. Aujourd’hui, nous pouvons être sûrs qu’ils ne sont pas morts pour rien, avec les nouveaux acquis et étapes franchies ces quelques dernières années par tamazight. - Que pensez-vous justement de l’officialisation de Yennayer comme fête nationale et de l’annonce de la création d’une Académie algérienne de la langue amazighe ? Pour moi, il s’agit de l’aboutissement du combat culturel qui dure depuis l’indépendance pour se réapproprier ces éléments qui font partie de la personnalité algérienne et la complètent. Tout cela a été obtenu grâce aux luttes et aux résistances des militants amazighs. Même s’il s’agit de réalisations imparfaites, il faut les considérer comme des acquis qu’on devrait consolider et perfectionner en restant vigilants. Il faut poursuivre cette dynamique de réconciliation de l’Algérie avec son identité et son histoire. Désormais, la cause berbère a changé de dimension. - Que voulez-vous dire précisément ? Le combat a dépassé l’étape revendicative pour la reconnaissance et l’officialisation de notre culture et de notre langue par l’Etat algérien, qui sont déjà acquises. Maintenant, on doit accompagner et encourager la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe et sa promotion partout en Algérie. Il faut par exemple maintenir la pression sur le gouvernement pour qu’il consacre un budget plus conséquent au ministère de l’Education nationale afin qu’il puisse avoir les moyens nécessaires au développement de tamazight et rendre son enseignement obligatoire à tous les enfants d’Algérie. - BRTV a été le premier média audiovisuel en tamazight. Quelle a été sa contribution à la cause berbère ? Depuis son lancement, BRTV joue un rôle éducatif et de vulgarisation culturelle. Nous essayons, avec les moyens dont nous disposons, de contribuer au rayonnement international de notre langue et de notre culture. Berbère Télévision a été, pendant plusieurs années, la seule passerelle médiatique qui existait entre les Amazighs du monde entier. Sa mission première a été et restera toujours la promotion de tamazight dans toutes ses dimensions : culture, langue et histoire. Ce n’est pas une chaîne de divertissement à proprement parler et encore moins une chaîne commerciale. C’est un outil de lutte qui sert à consolider les acquis du combat culturel amazigh en Algérie, partout dans la terre de Tamazgha et ailleurs dans le monde. Nous participons à la création de meilleures conditions, morales et matérielles, de transmission de la langue et de la culture amazighes aux générations futures. Nous donnons la parole à tous ceux qui veulent s’exprimer et travailler dans ce sens, à travers des émissions diverses et des programmes de proximité qui ont pour objectif de rappeler qui nous sommes et à quoi nous aspirons. C’est un travail de production incessant afin de soutenir notre culture et la documenter avec des thèmes différents (langue, musique, films, histoire, politique, sport, etc.). - Vous dites que Berbère Télévision n’a pas vraiment d’appétit commercial. Quel est alors le modèle économique qui lui permet d’exister ? C’est un cas quasiment unique au monde. Berbère TV a été la première chaîne privée sans objectifs commerciaux. Elle a été lancée uniquement au service d’une cause et d’une culture. Nos téléspectateurs l’ont bien compris. Ils nous ont toujours soutenus et nous sont restés fidèles. Je ne remercierai jamais assez les familles berbères qui vivent en France et au Canada car elles continuent à payer un abonnement pour voir nos programmes. Il y a également des annonceurs qui nous accompagnent dans cette mission, depuis plusieurs années pour certains. Nous organisons aussi des événements culturels dont les bénéfices vont à la chaîne. Toutes ces sources financières lui permettent de continuer à exister et à se développer. BRTV est gratuite sur satellite en Algérie et en Afrique du Nord depuis 2002. - Vous situez-vous dans une logique de concurrence avec les autres chaînes amazighes comme TV4 en Algérie et Tamazight TV au Maroc ? Pas du tout. Nous sommes contents qu’il y ait eu création de ces deux médias publics amazighs. Quand Berbère Télévision a été créée, aucun de ces pays n’avait de chaîne en langue amazighe, d’où notre slogan de l’époque «La seule chaîne qui vous parle berbère». Vu mon parcours professionnel —expert-comptable et commissaire aux comptes — je n’étais pas forcément destiné à créer un média. C’est pour résorber cette carence flagrante que je l’ai fait. BRTV s’inscrit dans la continuité du combat pour la culture et la langue amazighes des années quatre-vingt. J’ai eu cette idée en 1997 ; le projet en lui-même m’a pris trois ans de réflexion et d’étude. Lors du lancement de la diffusion, le 1er janvier 2000, nous avons commencé d’une manière très modeste mais avec des objectifs bien précis. Le plus important consistait à envoyer un signal très fort aux Etats d’Afrique du Nord pour qu’ils bougent et réagissent. Normalement, ce n’était pas au privé de répondre aux attentes de leurs peuples. En lançant BRTV, nous savions pertinemment que nous allions obtenir la réponse espérée avec la création de chaînes publiques en tamazight par ces Etats. Nous avons voulu provoquer cela, tout en traçant le chemin indiquant ce qu’un média audiovisuel berbère doit faire. Maintenant qu’elles existent, nous concentrons nos efforts pour améliorer les programmes et les adapter aux nouvelles donnes. - Quel bilan faites-vous de vos dix-huit années d’existence ? Nous avons lancé la chaîne avec seulement notre détermination et notre foi dans notre peuple. Mais actuellement nous disposons dans nos serveurs de 58 000 heures de programmes produits par nos équipes. Nous pouvons, en quelques minutes, retrouver les contenus (images, interviews, etc.) qui concernent n’importe quel écrivain ou artiste amazigh, avec la possibilité de remonter jusqu’aux dix-huit dernières années. Le travail qui reste à faire, et qui nécessite évidemment beaucoup d’argent et de compétences, c’est celui de la fiction, qu’elle soit télévisuelle ou cinématographique. Mon rêve est de pouvoir réaliser des séries et des longs métrages autour de personnages historiques auxquels l’ensemble des Algériens et des peuples nord-africains pourront s’identifier : Massinissa, Jugurtha, Koceïla, La Kahina, Tariq Ibn Ziyad, etc. Ce genre de fictions nous permettrait de présenter des regards algériens sur notre propre histoire au lieu de les importer. - Pour ce faire, comptez-vous vous installer en Algérie ? Nous voulons plutôt créer de l’activité en Algérie à travers notamment un bureau à Alger et un studio de production cinématographie à Béjaïa. Nous voulons être plus proche de l’information (politique, économique, culturelle et sportive), produire des documentaires, des séries télévisuelles et des films sur des sujets liés à notre culture et à notre histoire. - Avez-vous entamé des démarches auprès des autorités compétentes pour avoir les autorisations nécessaires ? C’est en cours. Sur le plan politique, que répondez-vous à ceux qui reprochent à Berbère TV de privilégier, dans sa répartition des taux de parole, les différentes tendances du MAK y compris l’aile indépendantiste ? Je peux vous répondre en toute tranquillité par rapport au rôle de BRTV dans le débat politique. Nous avons fondé notre ligne éditoriale sur le droit à la différence, à la liberté d’opinion et au débat démocratique. Nous avons résisté à toutes les pressions et tentatives de récupération politique depuis les premiers mois de notre existence, c’est-à-dire avant même l’émergence du MAK. Plusieurs personnalités politiques, dont je tais l’identité, sont venues nous solliciter en nous expliquant qu’il fallait les privilégier. C’était clairement des démarchages pour faire la promotion de certains courants politiques par rapport à d’autres, ce que nous avons toujours refusé par respect pour nos téléspectateurs qui ont des opinions politiques différentes. Comme pour les autres partis et mouvements politiques, nous refusons catégoriquement que Berbère TV soit taxée d’être pro-MAK. Ce mouvement ne reçoit aucun traitement de faveur de la part de nos équipes, qui se contentent de donner des informations factuelles sur ses activités. Nous considérons que notre terre n’est pas que la Kabylie, c’est aussi les Aurès, Cherchell, Cirta, Ksar Chellala, le Hoggar, le M’zab, le Rif, l’Atlas et toutes les autres régions d’Afrique du Nord. BRTV a été créée pour être au service de la culture amazighe et de ses enfants. Son creuset, c’est de faire rayonner notre cause. Nous sommes dans les racines profondément ancrées dans notre passé. Notre credo est de voir notre langue consacrée sur la terre de Tamazgha, fidèles que nous sommes aux ardents combattants de la cause amazighe.
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