Ce récit est dédié à ceux qui ont risqué, en toute connaissance de cause, leur vie plus d’une fois, sans échappatoire possible, au cours du périple du Dina. Ils ont poursuivi la lutte, par la suite, pour que le Maghreb vive libre et digne. Je dis bien Maghreb, car cette action a profité autant au Maroc qu’à l’Algérie. Il faut insister sur ce fait : sept Algériens, un Yougoslave, un Soudanais et moi-même, sommes associés dans ce drame et ces périls avec la perspective de 10% de chance de succès, pour que le Maroc reçoive ses premières armes et que plusieurs régions algériennes créent ou développent leurs unités de l’Armée de libération nationale», rapporte feu Nadir Bouzar, responsable de l’opération «Dina» dans son livre-mémoire de cette première expédition d’armes d’Egypte vers l’Algérie via le port de Nador, au Maroc. C’est dans l’esprit de commémorer la bravoure de cet équipage, qui a beaucoup donné à l’aurore de la Guerre de Libération, et à l’occasion du 43e anniversaire de la disparition de Nadir Bouzar, que l’Association des amis de Miliana art et culture a organisé, la semaine dernière, un hommage à ce moudjahid du Maghreb en présence des membres de sa grande famille, dont son épouse et ses enfants, ainsi qu’un panel d’historiens, dont Hassan Remaoun et Ahmed Ben Daoud. Récit d’une histoire peu connue «Nadir Bouzar, né au Maroc, a laissé derrière lui beaucoup d’exploits et surtout des témoignages saillants du fonctionnement de l’administration coloniale, à travers son livre J’ai cru en la France et de cette grande traversée de la Méditerranée avec cette lourde cargaison d’armes pour la libération du Maghreb», souligne Hassan Remaoun, sociologue et historien, présent à cette cérémonie. Dans son intervention, M. Remaoun s’est attardé sur le parcours de ce moudjahid qui a élu, en 1953, pour terre de refuge Le Caire. Cette ville était à cette époque-là une plaque tournante des mouvements de libération du Maghreb. Plusieurs figures historiques s’y sont réfugiées, on citera Habib Bourguiba, Salah Ben Youcef, Abdelkrim El Khatibi, Modamed Khider, Brahim Toubal, Said Ait Ahmed et une délégation du FLN, dont essentiellement Ahmed Ben Bella et Mohamed Boudiaf. Pour lui, il est important de recoller les morceaux de la grande histoire de libération et de rapporter tous ces événements, qui sont souvent très émouvants et très difficiles. Pour revenir à cette expédition d’armes, le voyage du Dina – un yacht qui appartenait à la reine Dina de Jordanie – commence le 28 février 1955 à partir du port d’Alexandrie en Egypte. Les 21 tonnes d’armes automatiques et individuelles, de grenades et de munitions, qui étaient à bord, devaient arriver au port de Nador dans un délai de 3 jours. Ce voyage a duré 30 jours. Une tempête a fait que cette noble aventure dura plus que prévu et que le bateau ait été obligé d’échouer en Libye avant de reprendre sa route vers Nador. La pièce manquante Si l’histoire du bateau Dina et de cette traversée de la Méditerranée est bien détaillée dans le livre de feu Nadir Bouzar, la pièce manquante est l’acheminement de cette cargaison du port de Nador jusqu’à la ville de Ghazaouet, à l’ouest de l’Algérie. Ahmed Ben Daoud, chercheur et professeur d’histoire à la faculté des sciences humaines et sociales à l’université Abou Bekr Belkaid (Tlemcen), a fait la lumière sur cette zone d’ombre de l’histoire de la Guerre de Libération, en rencontrant et recueillant le témoignage d’un des 17 moudjahidine algériens qui ont assuré cette mission. Il s’agit de feu Sayah Mohamed, dit «Si Slimane», officier supérieur de l’ANP en retraite. M. Ben Daoud, présent lors de cette journée de commémoration de feu Nadir Bouzar, a suscité l’émotion de tous les présents en narrant dans les moindres détails l’histoire de ces 17 personnes dans leur virée de Ghazaouet jusqu’à Nador en aller et retour. «Cette mission était commanditée par Larbi Ben M’hidi en personne. Ces braves enfants de l’Algérie ont marché à pieds, sans grande nourriture, sauf les fèves qu’ils cueillaient des champs par lesquels ils passaient, et sans argent pendant 3 jours. Ils ont dû traverser l’Oued Kiss, frontière naturelle entre l’Algérie et le Maroc. De peur d’être aperçus par les espions, ils ne pouvaient marcher que la nuit. Arrivés à Ouled Bouarfa, patelin à une poignée de kilomètres de Nador, ils ont attendu 10 jours avant de retrouver la première caisse d’armes, un signal de l’arrivée du Dina. Entre Marocains et Algériens, ils constituèrent une file indienne de 75 personnes, du bateau qui s’était échoué à quelques mètres de la plage jusqu’à la rive», raconte Ahmed Ben Daoud. Selon cet historien, l’opération d’acheminement des armes a duré toute la nuit et ces hommes qui ont défié tous les dangers, allant de la menace des espions jusqu’aux eaux glaciales de la mer déchaînée, méritent toutes les éloges et la légion d’honneur. Une fois la cargaison d’armes déchargée du Dina, elle a été planquée dans une maison et les héros se sont cachés dans une grange en attendant de reprendre, dans la soirée, la route avec les armes vers Ghazaouet. «Sur le chemin du retour, ces braves hommes ont dû affronter encore un nouveau défi : Oued Melouya, qui faisait 60 m de large, en forte crue. L’eau qui leur arrivait jusqu’au cou pouvait détériorer la qualité des armes et des munitions. Décision prise : couvrir le tout dans leurs habits et porter les armes par-dessus leur tête. L’eau était glaciale et la crue était forte. Le courant également. Reliés par une corde, ils ont réussi tant bien que mal à traverser l’oued. Leur mission était finie, lorsqu’ils arriveront enfin sur le sol algérien, où Larbi Ben M’hidi les attendait. Ils pouvaient enfin laisser derrière eux la faim, la peur, le froid et commencer une nouvelle étape de la Guerre de Libération déjà entamée», ajoute-t-il. Et de souligner un fait important dans l’histoire du bateau Dina et cette cargaison d’armes : la présence de Mohamed Boukharouba, alias Houari Boumediène. «Présent sur le bateau Dina, Houari Boumediène n’avait aucun rôle dans cette mission que gérait depuis son début Nadir Bouzar. Mohamed Boukharouba n’était qu’un élève de l’académie militaire du Caire qui revenait au pays sur ce bateau. Ce premier arrivage d’armes, au profit de la Révolution algérienne à l’ouest du pays, dans la Wilaya V, était une opération suivie, depuis l’Egypte et la Libye, par Ahmed Ben Bella, avec l’assistance des services secrets égyptiens, représentés par leur agent Fethi Dib, auteur du livre Nasser et la Révolution algérienne. Sur le bateau, c’était Nadir Bouzar le responsable et le transport des armes vers l’Algérie était chapeauté par Larbi Ben M’hidi. Toutes les histoires parlant de Boumediène en tant que capitaine ou responsable de l’opération Dina sont complètement fausses», conclut-il. Les 17 militants de Ghazaouet sont tous morts, sauf un seul. Il s’agit de Mouffek Bachir, qui est très malade et refuse d’apporter son témoignage sur cette opération. Ahmed Ben Daoud, qui ambitionne de trouver encore plus de détails sur ce volet obscure de la Guerre de Libération, a initié un nouveau module à l’université de Tlemcen, afin qu’il y ait plusieurs thèses de magistère et de doctorat sur l’armement durant cette période cruciale de l’histoire de l’Algérie. «Mon défunt mari était un fervent défenseur de la cause de l’indépendance des pays du Maghreb. Trahi par la France, qui malgré son émancipation et son niveau d’instruction très élevé, le considérait comme un indigène, il s’est révolté et a pris l’Egypte comme terre de refuge. Il voulait absolument prendre les armes, même si Ben Bella voulait faire de lui un ambassadeur de la cause algérienne dans les pays de l’Asie. Puis l’opération Dina est venue pour réaliser son désir de faire quelque chose de concret pour la Guerre de Libération», déclare Mme Bouzar. Elle est revenue sur les différents hommages qui lui ont été rendus durant sa vie, notamment celui du Maroc, où le roi Hassan II l’avait nommé, le 18 juillet 1962, secrétaire général de l’Office national des anciens combattants. Au-delà de sa vie de diplomate, elle est également revenue sur l’histoire de son emprisonnement par feu Ahmed Ben Bella. «J’étais jeune et nous n’avions qu’une petite fille. Des forces de l’ordre sont venues le chercher de la maison afin qu’il réponde présent à la demande de Ben Bella, président de la République à l’époque, de le voir. Depuis sa sortie, je n’ai eu aucune nouvelle de lui. Contrairement à ce qui est répandu, comme quoi il a été emprisonné, Nadir Bouzar a été placé dans une demeure par mesure de protection, vu que les services secrets égyptiens, notamment Fethi Dib, voulaient sa peau», ajoute-t-elle avant d’insister sur l’importance du projet de film sur L’Odyssée du Dina que le ministère de la Culture voulait, malgré les droits d’auteur que la famille Bouzar détient, coréaliser avec les Egyptiens. Un projet qui reste en suspens aujourd’hui, pour de soi-disant raisons financières, selon la famille Bouzar. L’hommage s’est terminé avec une visite du mausolée du saint patron de la ville de Miliana Sidi Ahmed Ben Youcef, où justement est enterré feu Nadir Bouzar.
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