A l’image de l’Ecole, base de notre système de formation, les secteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche vivent depuis plusieurs années un processus de régression qui les enfonce d’une manière inexorable dans une crise multiforme grave. Ces deux pôles majeurs de la production scientifique n’arrivent plus à remplir correctement les missions pour lesquelles ils sont conçus. Ainsi, non seulement l’Université peine de plus en plus à répondre aux besoins des entreprises et de l’administration en diplômés compétents, mais elle éprouve aussi la plus grande difficulté à assurer sa propre reproduction en tant qu’institution de création des savoirs et de leur transmission. Dans ce secteur, la primauté, trop souvent accordée aux logiques administratives au détriment de la pédagogie et de la science, banalise au quotidien les décisions intempestives de bureaucrates qui, assurés de leur impunité, se croient omnipotents. Le dévoiement de ses missions a alors plongé l’université dans la mauvaise gouvernance, le clientélisme et, fait encore plus grave, a entraîné la banalisation de la violence sous toutes ses formes. A cela s’ajoute une gestion privilégiant la quantité à la qualité (près de deux millions d’étudiants sont inscrits aujourd’hui). Le constat est particulièrement perceptible en sciences humaines et sociales, où des disciplines comme l’économie politique, la philosophie, l’épistémologie, la sociologie politique et tant d’autres modules fondamentaux pour la formation de la pensée critique sont pratiquement disqualifiés au profit de modules plus techniques et plus professionnels censés répondre à des objectifs concrets aux retombées immédiates. La régression a vite fait de s’étendre au secteur de la recherche en sciences humaines et sociales. Les mêmes injonctions politico-administratives y prévalent. Les mêmes orientations vers une recherche «prétendument utilitaire» sont imposées, risquant de transformer nos Centres de recherche en bureaux d’études au sein desquels la priorité est désormais donnée aux études répondant à des demandes ponctuelles aux effets immédiats. Or, l’efficacité de celles-ci n’est réelle que si elle se nourrit des résultats et perspectives ouverts par la recherche fondamentale dans son ensemble. A défaut, ces études seraient à l’image de la construction d’un édifice sans fondations. Ce constat est alarmant et devrait interpeller toute la communauté universitaire et, au-delà, l’ensemble de la société. Pour notre part, nous n’avons ni l’intention de nous soumettre à ces logiques que nous dénonçons haut et fort, ni le désir de nous complaire dans l’indignité. Nous sommes au contraire convaincus de la nécessité de protéger notre statut d’Enseignants et de Chercheurs libres. Il s’agit d’œuvrer à la reconnaissance de la légitimité scientifique et pédagogique dans nos universités et nos espaces de recherche, condition impérative pour que les véritables acteurs puissent s’exprimer et travailler librement face à l’hégémonie de certains responsables qui ignorent et bafouent les règles élémentaires de l’éthique universitaire. Persuadés de la nécessité de nous mobiliser en vue du rétablissement des libertés académiques, tout en agissant au mieux de nos compétences, des principes déontologiques et des valeurs qui régissent nos pratiques d’enseignants et de chercheurs, nous nous engageons à : 1. revendiquer l’autonomie pleine et entière des institutions d’enseignement et de recherche, dans le respect des lois de la République ; 2. exiger davantage de moyens à même de permettre l’amélioration de la qualité de nos enseignements et de nos travaux de recherche, ainsi que notre compréhension des changements sociaux et des enjeux à l’échelle nationale, régionale et mondiale ; 3. œuvrer à instaurer un environnement et un cadre relationnel stimulant aptes à améliorer la performance de tous les acteurs (étudiants, enseignants-chercheurs et administration) et à préserver nos lieux de travail de toute ingérence externe aux espaces universitaires ; 4. aider, à partir d’un large débat avec les chercheurs concernés, à l’élaboration de critères d’évaluation crédibles et transparents, en lieu et place de l’évaluation quantitative et administrative décidée de façon unilatérale par les responsables de la recherche. Aussi, nous portons à la connaissance de la communauté universitaire et à l’ensemble de la société la création d’un Collectif autonome de chercheurs et enseignants pour la défense et la promotion de la recherche en sciences humaines et sociales (CASHS). Nous appelons le plus grand nombre de nos collègues chercheurs, en Algérie et à l’étranger, à soutenir et rejoindre cette initiative à l’adresse suivante : collectifautonomeshs2018@gmail.com
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