mardi 3 avril 2018

Les craintes d’une mauvaise utilisation…

En absence de mécanismes juridiques et politiques de protection des libertés individuelles des citoyens, la loi relative aux données personnelles ne peut constituer une protection contre toute mauvaise utilisation par une quelconque partie, fut-elle juge ou autorité publique. Président de l’Uba (Union des barreaux d’Algérie), Me Ahmed Sai fait partie des défenseurs de ce texte qui, d’après lui, est en application dans de nombreux pays. «Cette loi comporte des dispositions assez importantes, notamment en matière d’exploitation et la destruction des prélèvements d’Adn, par exemple, qui ne relèvent plus du ressort de la police judiciaire, mais du juge lors d’une instruction. C’est un pas supplémentaire dans la garantie de la protection des données, surtout que ce texte a prévu un organe autonome dépendant de la présidence de la République pour gérer et contrôler cette base d’informations personnelles.» L’avocat estime, par ailleurs, que les dispositions relatives au casier judiciaire «apportent une nouveauté très intéressante. Désormais, la réhabilitation, par exemple, est garantie par la force de la loi…». Sur la question de la protection des informations personnelles, il relève que les nouvelles dispositions donnent suffisamment de garanties. Dans le cas où le citoyen constate une mauvaise utilisation de celles-ci, il peut saisir le procureur et engager une poursuite, de même que ce citoyen peut voir le contenu des données qui le concernent. L’autre garantie de protection est le fait que l’autorité qui gère toutes ces informations soit mise sous la tutelle de la Présidence, et que ce soit le chef de l’Etat qui la préside. Membre du barreau d’Alger, Me Sadek Chaib estime que ce texte est purement technique et permet à l’Algérie de s’adapter au développement des nouvelles technologies de l’information. Selon lui, «nous n’avons rien inventé. Ce n’est que du copier-coller, de ce qui existe par exemple en France. Cependant, il faut reconnaître qu’il ne suffit pas de mettre l’organe chargé du contrôle des données sous l’autorité de la Présidence, pour s’assurer du bon usage. Il faut des mécanismes juridiques de protection pour définir qui est en droit d’y accéder, d’en faire usage et dans quel but. De toute façon, c’est la pratique sur le terrain qui nous renseignera sur le respect ou non de la confidentialité des données personnelles des justiciables». La députée RCD, Fetta Sadat, avocate et membre de la commission juridique de l’APN développe un avis plus tranché. Elle commence par rappeler que nos voisins ont depuis longtemps cette réglementation. La Tunisie l’a adoptée, dit-elle, en 2004, alors qu’au Maroc, elle est en application depuis 2009. «Nous comprenons que l’Algérie veuille rattraper le retard sous le pression de ses partenaires. Cependant, nous avons le droit de nous demander comment les autorités agissaient avant, avec cette base de données ? Le citoyen a-t-il été livré durant des années à l’arbitraire ? Maintenant, il y a certes cette loi, mais la garantie de la protection des données ne peut être effective que sur la base d’un Etat de droit. Or nous en sommes loin», révèle l’avocate. Pour elle, la composition de l’organe chargé du contrôle des données pose une série de problématiques. «Cet organe est présidé par le chef de l'Etat, qui à son tour désigne trois personnalités. Nous savons comment se font généralement ces choix, et dans quel but ils sont retenus. Nous avons dit que les trois magistrats membres de cet organe doivent être élus par leurs pairs, mais on a estimé que c’est au Conseil supérieur de la magistrature de les désigner. Pourtant, l’élection est un élément qui garantit la protection et la crédibilité. Il est même prévu la désignation de représentants de chacune des deux Chambres du Parlement, après consultation des groupes parlementaires. De fait, ils ont exclu les partis de l’opposition qui n’ont pas de groupes parlementaires. Mieux encore, le texte prévoit un mandat de 5 ans pour les membres de cet organe, renouvelables. Nous avions dit qu’il faudrait préciser renouvelable une seule fois, mais la proposition a été refusée, et nous allons voir des membres qui peuvent rester éternellement au sein de l’organe. De plus, il est impossible que cette instance soit autonome financièrement, ou politiquement», souligne Me Sadat. L’Algérie «n’a pas enrichi la loi pour la rendre plus efficace et s’est contentée de copier mot à mot la loi française, qui s’applique dans un environnement plus propice. Une loi doit répondre aux aspirations des citoyens, sinon elle sera sans effet. Pour toutes ces raisons, nous avons voté contre cette loi, mais elle est passée grâce à la majorité parlementaire», conclut Me Sadat, dont l’avis est partagé par une bonne partie des avocats avec lesquels nous nous sommes entretenus. La crainte de voir cette base d’informations mal utilisée, ou à d’autres fins que celles pour laquelle elle a été collectée, est très persistante, d’autant que l’environnement politique plombé par des pratiques malsaines et face à une justice dépendante des plus puissants ne favorise pas le respect et surtout la protection des libertés individuelles en général, et la vie privée des Algériens en particulier.

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