lundi 7 mai 2018

Ali Yahia Abdennour empêché d’acquérir son appartement

Contrairement à beaucoup de ses «compagnons» de lutte qui ont accaparé le plus beau patrimoine immobilier algérois, Ali Yahia Abdennour est resté locataire d’un appartement qu’il occupe depuis l’indépendance. C’est un déni de droit doublé d’un règlement de comptes de basse besogne dont fait l'objet le vétéran défenseur des droits de l’homme, Ali Yahia Abdennour. Au-delà de la faute morale, c’est une privation de droit. En l’empêchant d’acquérir l’appartement qu’il occupe depuis 1962, le gouvernement — via une administration manifestement instrumentalisée — commet un impair à l’égard d’un homme qui sous d’autres cieux aurait connu le Panthéon de son vivant. Oui, Ali Yahia Abdennour, âgé de 98 ans, militant nationaliste, figure de la lutte pour l’indépendance nationale, député de l’Assemblée constituante, deux fois ministre, ténor du barreau pendant de longues années et célèbre défenseur des droits de l’homme,  ne possède pas de villa. Encore moins, propriétaire d’un simple appartement. Contrairement à beaucoup de ses «compagnons» de lutte qui ont accaparé le plus beau patrimoine immobilier algérois, lui est resté locataire d’un appartement qu’il occupe depuis l’indépendance. Cet appartement, devenu bien vacant depuis 2014, à la suite de la dissolution de l’UNIAL  — la société gérante — devait tout naturellement être racheté par le locataire comme les quatre autres locataires de l’immeuble «Lutécia» sis au 35, boulevard Bougara (El Biar). Mais il bute sur un refus de l’administration des Domaines. Alors que les quatre locataires ont régularisé leur situation depuis une année par l’achat de leur appartement auprès des Domaines, Ali Yahia Abdennour a été privé de ce droit le plus élémentaire. Voyant les autres locataires acquérir sans difficulté les appartements qu’ils occupaient, Ali Yahia Abdennour saisit officiellement le directeur des Domaines en date du 27 février passé pour «une régularisation» devant lui donner le droit de devenir propriétaire du logement. La direction des Domaines a, à son tour, saisi sa succursale de Bouzaréah, le 20 mars dernier, pour enquêter sur la nature du logement en question, sachant que le concerné avait déjà saisi la même instance en septembre 2014. Une saisine qui est restée sans suite. Heurté au plus au point par ce vil procédé, Me Ali Yahia Abdennour a décidé de porter l’affaire sur la place publique. Non sans une certaine gêne tant l’homme n’aime pas trop se mettre en avant quand il s’agit de son propre droit à lui. C’est dans une courte plaidoirie avec quelques journalistes qu’il évoque la privation dont il est victime. «Je condamne avec vigueur la direction des Domai-nes, qui me prive d’un droit élémentaire. C’est du sectarisme qui conduit à l’intolérance. Je condamne cette injustice, ceux qui l’ont inspirée et ceux qui l’ont appliquée. Il y a un déni de justice de la part du directeur des Domaines qui me refuse le bénéfice de la loi sur les biens vacants, au même titre que les autres (locataires)», s’élève le vieux militant nationaliste. «Le ministre des Finances qui a la tutelle des Domaines n’a pas corrigé cette faute qui relève du règlement de comptes. Le Premier ministre qui a couvert et ordonné cette injustice sait qu’elle offense le droit et l’égalité des citoyens devant la loi. Il s’attaque et tente de détruire les militants qui défendent les libertés quotidiennement bafouées (…)», accuse Ali Yahia Abdennour. Il évacue «son» affaire en quelques phrases pour revenir aux questions qui l’habitent depuis toujours. Celles du pays, de sa situation et de son devenir, et celle de ses concitoyens. C’est sa principale inquiétude. Incorrigible, il relègue vite au second plan le problème de son appartement, n’eût été le rappel incessant des journalistes au sujet du jour. «J’ai toujours refusé de parler de ma personne et de mes propres problèmes. Si j’en parle aujourd’hui, c’est pour dire qu’il s’agit d’une affaire d'injustice comme celle qui est infligée à beaucoup de mes concitoyens. C’est une injustice que je n’accepterai pas», fulmine-t-il.  «Ils vont faire traîner l’affaire, ils attendent ma mort et ensuite ils viendront s’emparer de cet appartement», craint-il. Rageant. Celui qui fut secrétaire général de l’UGTA, ministre des Travaux publics, puis de l’Agriculture, qui a vécu l’enfer dans les prisons coloniales a de tout temps refusé les privilèges et autres passe-droits. Au crépuscule de sa vie, on lui dénie le droit de racheter un appartement qu’il occupe depuis plus d’un demi-siècle.  Quel tragique retournement de l’histoire. «En 1966, Houari  Boumediène avait chargé le wali d’Alger de l’époque, Hadj Yala, de me trouver une villa. J’avais refusé. On m’a même proposé un terrain de mille m² et  j’avais refusé. J’ai toujours voulu d’un appartement décent comme le reste des Algériens», se rappelle Ali Yahia Abdennour. Sans aucune once de regret. Dès le départ, l’homme a choisi son camp naturel, celui des humbles. Manifestement, le pouvoir politique s’emploie à le priver de posséder un appartement qui pourtant lui revient de droit, pendant que d’autres accaparent impunément des biens de l’Etat. «Cette affaire pose le problème de l’application du droit dans notre pays. Elle est violée au profit des amis et pour servir la clientèle, elle est aussi violée pour punir les adversaires. Ils ont cherché, mais ils n’ont rien trouvé à lui coller, sauf le priver de son droit à un logement. C’est vraiment petit», vitupère un compagnon de Ali Yahia. A 98 ans, sans rien perdre de sa fougue ni de sa légendaire rectitude morale, le vieux de Michelet n’entend pas céder devant aucun chantage.

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