Si pour certains professionnels, le projet de loi modifiant le code de justice militaire, en débat à la commission juridique de l’Assemblée populaire nationale, constitue «une avancée considérable» en matière de procédure judiciaire militaire, pour d’autres, il peut être «exceptionnel», si la réforme est poussée plus loin, «pour passer d’un tribunal de conviction vers celui de droit». Selon ce projet de loi, les infractions contre la sûreté de l’Etat commises par des civils ne relèvent plus de la compétence du tribunal militaire. En débat à la commission juridique de l’Assemblée populaire nationale (APN), le projet de loi modifiant et complétant le code de justice militaire comporte d’importants changements qui, visiblement, ont été inspirés des événements auxquels ont été confrontés les tribunaux militaires durant ces dernières années, mais aussi dictés par la nécessité d’intégrer le tribunal au sein de l’organisation judiciaire nationale, et mise en conformité avec la Constitution de 2016. Que prévoit le nouveau dispositif ? Le premier amendement concerne la disposition la plus controversée du code de justice militaire. Il s’agit de l’article 134 relatif «aux infractions aux consignes générales» qui, en raison de l’absence d’une définition légale claire de celles-ci, est devenu un outil de sanction très élastique appliqué aussi bien pour des sorties sans permission que pour des comportements banals du simple fait d’arriver en retard. Habitué du tribunal militaire, Me Ahmed-Tayeb Touphaly qualifie cet article de «point noir» et explique que les affaires jugées sur la base de ces infractions «remontent majoritairement» à la Cour suprême. «Les juges de cette Haute cour sont perdus devant de tels dossiers. Ils ont juste un numéro de texte. Une infraction est basée sur trois éléments constitutifs : l’élément moral, qui est l’intention, l’élément matériel, qui est le comportement, et l’élément légal, qui est le texte. Or, les trois ne peuvent exister si l’infraction en question n’est pas définie légalement. Revoir l’article 134 est une avancée considérable», déclare l’avocat. En fait, l’amendement de cet article introduit la notion de définition des «consignes générales». De ce fait, il est clairement expliqué que «le domaine de cette infraction sera limité à la préservation, la protection et la sécurité des moyens, documents et des personnes. Il est proposé de «renvoyer à la voie réglementaire le soin de définir le domaine des consignes générales dont la violation pourrait constituer une infraction pénale passible de poursuite». L’autre amendement extrêmement important pour les professionnels du droit militaire est la suppression pure et simple de l’article 18 du code, considéré par certains comme étant une «atteinte flagrante au droit à la défense». Tout en garantissant ce droit par un avocat inscrit au barreau ou par un militaire agréé par l’autorité militaire, cet article précise néanmoins qu’«en matière d’infractions spéciales d’ordre militaire prévues dans le code, le défenseur choisi par l’inculpé ne peut assister, défendre ou représenter ce dernier tant au cours de l’instruction qu’à l’audience que s’il y a été autorisé par le président du tribunal militaire permanent saisi. Dans le cas contraire, le défenseur est désigné par le président». Les infractions aux consignes générales désormais définies par la loi Par ailleurs, le projet de loi introduit pour la première fois le principe du double degré de juridiction, tel qu’énoncé par la Constitution de 2016, en consacrant des juridictions d’appel à travers la création de cours militaires auprès de chaque région (militaire) chargées de cette mission, présidées par un magistrat civil, du rang, d’au moins, de président de chambre à la Cour, assistés par deux magistrats militaires. Le projet de loi fait état d’une modification de la composante du tribunal criminel. Ce dernier devra être présidé par un magistrat ayant le grade de conseiller à la Cour, qui siégera avec deux assesseurs militaires. Le projet de loi a institué une chambre d’accusation auprès de chacune de ces Cours d’appel, «conformément à la règle légale de l’incompatibilité pour un magistrat de connaître deux fois une même affaire». Elle est présidée par un magistrat civil du rang des Cours, ayant le grade de président de chambre à la Cour. Ce qui est une avancée considérable, précise Me Touphaly. «Lorsque nous faisons appel contre une décision du parquet et que le président du tribunal rejette notre demande, il ne peut décider autrement lors du procès, sinon il se déjugera. Avec cet amendement, la situation est autre. Nous avons deux niveaux de recours contre les décisions du parquet…», dit-il. Cependant, ajoute notre interlocuteur, il aurait fallu donner un mandat un peu plus long au président de cette chambre, pour lui assurer une meilleure protection. L’autre nouveauté apportée par ce projet de loi est le réaménagement des dispositions afférentes aux infractions d’ordre militaire et aux peines qui leur sont applicables, notamment avec l’introduction des dispositions prévues par le statut général des personnels militaires de 2006, «qui prennent en charge les peines accessoires liées à la position statutaire des militaires, ainsi qu’au retrait des peines accessoires en conformité avec les dispositions qui stipulent que les sanctions statutaires, professionnelles et disciplinaires sont cumulables et indépendantes des sanctions pénales». Pour Me Touphaly, cet amendement est très important pour les militaires, qui souvent pour une sanction de un mois de prison se retrouvent radiés et leur carrière brisée. Le projet d’amendement du code de justice militaire prévoit aussi la limitation de la compétence des juridictions militaires uniquement aux infractions militaires et celles de droit commun commises par le personnel militaire et civils du ministère de la Défense nationale à l’occasion de l’exercice du service et/ou dans les enceintes militaires ainsi qu’aux infractions commises par une personne étrangère à l’armée dans une enceinte militaire». De ce fait, «les infractions contre la sûreté de l’Etat commises par des personnes civiles» relèveront des juridictions de droit commun. De même qu’il est «maintenu et confirmé le principe du contrôle exercé par la Cour suprême et les pouvoirs du ministre de la Défense nationale en matière de mise en mouvement de l’action publique devant les juridictions militaires». Dans l’exposé des motifs de ce projet de code, il est précisé que ces amendements vont permettre à la justice pénale militaire de sortir de «la justice d’exception» pour aller vers celle de la «spécificité», en s’adaptant en grande partie au code de procédure pénale en usage dans les juridictions civiles. Mais, il reste beaucoup à faire et le débat doit être plus approfondi et enrichi au niveau de l’Assemblée nationale, afin de lever toutes les discordances qui entachent encore la justice militaire. «Le tribunal militaire doit être un tribunal de droit et non de conviction. Sa réforme est importante. Il aurait été plus juste qu’il ne siège pas en tant que tribunal criminel lorsqu’il doit juger des délits et des infractions», conclut Me Touphaly.
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