jeudi 10 mai 2018

«Nous pouvons mettre en place un nouveau régime»

Dans les années 90', alors ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement Hamrouche, M. Hidouci a lancé le démantèlement du système d’économie administrée en poussant à la chute de l’Etat rentier. - Y a-t-il un parallèle entre la période pré-89 et celle que nous traversons aujourd’hui au plan économique ? A l’époque, le prix du baril avait considérablement chuté et le gouvernement avait mis en place un plan d’austérité... Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une analyse exigeante de la conjoncture politique et sociale nationale, ni de la géopolitique internationale. Sur le plan interne, un «contrat» écrit dans l’annonce du gouvernement et publié alors annonçait la règle du jeu des réformateurs vis-à-vis du pouvoir assumé par le Président. Nous n’étions pas tenus de nous déterminer par rapport aux acteurs monopolisant la force et la contrainte du pouvoir, ni en soumission, ni en révolution de rupture. Aujourd’hui, il me semble que la conjoncture se répète. Qui signe et négocie les contrats ? En cela, la situation institutionnelle est plus grave. Nous affrontons une perspective de rupture… Sur le plan international, il faut regarder les choses en face : le pouvoir mondial néolibéral somme notre pays de s’aligner sur ce que les Etats-Unis, uniques décideurs, en accord avec Israël, appellent au redéploiement du Moyen-Orient : chaque jour amène sa mauvaise nouvelle ; le redéploiement des takfiristes de Syrie vers nos frontières, les manœuvres suicidaires de l’Arabie Saoudite et du Maroc pour punir notre non-alignement sur l’hystérique guerre à l’Iran, l’appel incessant à sortir notre armée dans les pays amis,… tout ceci sans parler des tenaces appétits pétroliers. Sommes-nous prêts en tant que peuple à signifier notre souveraineté et notre organisation pour faire front ? Je ne le pense pas et je n’en dors plus…Vous voyez que face à ces soucis, la préoccupation sur le plan d’austérité du gouvernement devient de second ordre. Il y a bien un plan d’austérité qui devrait s’atténuer, si les créanciers néolibéraux ne l’imposent pas. Je signale qu’en 1989, il n’y avait pas de plan d’austérité ! C’est un cliché qui a la vie dure… - Face à la crise, le Premier ministre Ouyahia a décidé de recourir, entre autres, au financement non conventionnel. Comment jugez-vous les mesures prises par le gouvernement pour faire face à la chute du prix du baril ? Vous parlez de crise ; sur le terrain économique il n’y a pas de crise, il y a stagnation dans une totale médiocrité ; cette année ou avant, peu importe, tous les repères sont mauvais. Peut-on couper les fils qui nous tiennent solidement dans le sous-développement pour sortir de la crise ? Il n’y a aucun espoir avec le pouvoir actuel. Le Premier ministre a appliqué la loi voulue par le FMI à l’international et par les patrons accumulateurs de subventions et de crédits à l’intérieur. Pour le FMI, il faut que le budget soit en équilibre pour rassurer les créanciers étrangers. Pour les patrons, il faut avoir de bonnes réserves pour subventionner, signer des contrats juteux et fournir de la monnaie aux banques afin qu’elles prêtent aux patrons qui, paraît-il, manquent de liquidités. Pour en arriver là, le Premier ministre autorise la Banque centrale à émettre de la monnaie, c’est ce que vous appelez «non conventionnel». Pour y arriver, il jette à la poubelle le peu qui reste de la politique monétaire, mais on n’en est plus à ces détails. Mon avis sur ces mesures ? En tant qu’ancien ministre de l'Economie, je trouve cela révoltant. Il s’agit d'une parfaite opération d’usure, une opération calamiteuse que payeront directement les salariés, les retraités et les pauvres sous forme d’inflation, de dérèglement de la gestion des changes, de chute automatique des salaires. Cette manière d’équilibrer le budget est pire pour les citoyens que l’endettement des années 80/90. Le FMI a critiqué ces mesures et juge qu’elles «risquent d’aggraver les déséquilibres, accentuer les tensions inflationnistes». Partagez-vous les craintes du FMI ? Comme je l’ai dit, le FMI se soucie en premier lieu de «noter» la capacité du pays vis-à-vis des banques internationales. Il constate aujourd’hui, à l’expérience, car son administration commence à saisir les dangers des politiques d’endettement, que ces mesures mènent avec le temps à un blocage pire que celui qui est vécu aujourd’hui. Ils le disent, mais je pense qu’ils ne vont pas trop insister, car les prix du pétrole montent… Il faut les attendre l’année prochaine. - Le recours à l’endettement extérieur est-il inévitable à moyen terme, selon vous ? Nous avons combattu toute forme de monopole, nous avons réglementé la monnaie, en rendant indépendante la Banque centrale, mais sans «l’affranchir» du contrôle politique, nous avons réorganisé l’économie mais nous n’avons rien détruit, nous n’avons pas été libéraux, nous avons soustrait l’économie au commandement bureaucratique : les prix des marchandises ne sont pas imposés, mais nous n’avons pas ouvert la voie au commandement marchand,… Ces questions relèvent d’une grande importance, il faut les soulever avec responsabilité. Peut-être que le moment viendra. En «démantelant» les structures et mécanismes de commandement, nous nous sommes fait des ennemis, beaucoup d'ennemis. Profitant des années de guerre civile, la spéculation, le vol et l’irresponsabilité ont pris le pouvoir et ont tout démantelé ; regardez où nous en sommes… Mon opinion est qu’il faut exclure totalement le recours à l’endettement, d’autant que dans la crise mondiale d'aujourd’hui, des techniques plus saines sont disponibles : suivez ce qui se passe en Chine, en Russie, en Iran… - Quel bilan faites-vous des quatre mandats de la présidence Bouteflika ? Je ne pense pas que l’action de Bouteflika soit significative ; le vrai moment de la catastrophe est celui de la gestion des «janviéristes», début 1992. Bouteflika ne représente qu’une phase, mais le système n’a pas changé. - Un 5e mandat du Président est fort probable. Quelles conséquences cette nouvelle candidature peut-elle avoir sur l’Algérie ? Les acteurs du pouvoir, civils et militaires, choisiront un faux dirigeant dans la même logique. Pour une raison humanitaire, je ne le lui souhaite pas. S’il faut faire un bilan, c’est celui de la logique politique du régime : c’est une logique de fermeture, de barrière, qui ne produit que de la régression. - Le salut pour l’Algérie passe par la mise en place d’un Etat de la société civile... Quelque chose est en train d’arriver. Après une vingtaine d’années de discours réactionnaires, on ressent maintenant de plus en plus de signes d’un renouveau populaire. Par rapport à 1989, nous pouvons, si nous le voulons, penser à mettre en place un nouveau régime. Je me permets d’en parler, parce qu’en tant que réformateurs, nous avons pratiqué concrètement le pouvoir et nous avons compris ses tares, ses dynamiques et ses objectifs. Cette expérience, à un moment de défis fondamentaux, est utile pour celles et ceux qui affrontent la réalité aujourd’hui. En 2018, bien des choses se sont éclairées : nous ne sommes pas (encore) gravement endettés, si l’actuel chef du gouvernement cesse de tirer sur la monnaie ; nous nous sommes, à ce que je sais, correctement réarmés pendant les années riches auprès d’alliés performants, il faut encore que le lien «armée-peuple» soit réel… - La grande question des rapports entre l’Etat et la religion a connu d’importants développements qui montrent que notre vision de la séparation du commandement religieux et de l’Etat avait beaucoup de sens… Le débat peut-il être constructif aujourd’hui ? De même, le discours de l’alternative au régime monopolistique de commandement se clôture. Notre tâche est écrite, la société organisée doit être prête à faire émerger un Etat qui ne subordonne pas les citoyens, où la société civile ne s’agglutine pas aux passions d’accès au pouvoir et aux mécaniques illusoires des partis. - Certains analystes lient la crise actuelle à l’arrêt du processus électoral et à la guerre civile qui a suivi. Partagez-vous ce point de vue ? L’arrêt du processus électoral fut une décision catastrophique dont les citoyens payent encore le prix, mais ce n’est pas l’essentiel : l’essentiel, ce sont les valeurs universelles qu’il fallait réunir et asseoir dans la gestion étatique ; aucun gagnant de ces élections (hormis alors feu Aït Ahmed) ne se préoccupait de ces valeurs. Ayant réglé pacifiquement cette question, il y avait des chances d’en parler. Je dis bien des chances ! La guerre civile ressort d’une autre logique que celle des élections ; elle fut imposée pour une question d’accès au pouvoir de ce que seront les «janviéristes». Il s’agit là d’une mise en question directe impardonnable des valeurs universelles. - Mouloud Hamrouche est-il encore l’homme providentiel en cette période de vide politique ? Je n’ai pas mandat pour parler en son nom, d’autant que, comme vous le savez, je n’ai pas la liberté d’aller en Algérie et d’en parler. Cela étant, et pour revenir au régime souhaité des citoyens, la suppression des monopoles signifie pour nous l’absence de chefs charismatiques ; même si cela semble pratiquement difficile, il faut que les médias cessent de vendre aux citoyens le miracle du chef… Hamrouche peut être très utile, pour sa fidélité à la liberté et sa phobie de la corruption…

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