«Parce que l’Homme est doté d’un sens de la Justice, la Démocratie est possible ; mais parce qu’il est enclin à l’injustice, Elle est nécessaire.» Reinhold Niebuhr. Ce n’est pas une nouvelle version du fameux western de Sergio Leone Et pour quelques dollars de plus… avec Clint Eastwood et Lee Van Cleef dont les rôles sont respectivement un manchot chasseur de primes et un ancien officier supérieur qui aime la chasse à l’homme pour le plaisir qu’elle lui procure ; mais un nouveau feuilleton de bas étage où une administration cynique et aux «ordres» refuse l’application du Droit conformément à la loi en vigueur à un Algérien de 98 ans qui a consacré 75 années de sa vie, d’abord pour sortir du joug colonial de mai 1945 à juillet 1962, ensuite pour ouvrir la voie aux pluralismes politique, syndical et culturel, au multipartisme, à l’alternance au pouvoir, au respect des droits de l’Homme, à la défense des libertés collectives et individuelles bafouées, à la liberté d’expression, au refus de la violence pour prendre ou se maintenir au pouvoir. Ce vieil homme n’est autre que Ali Yahia Abdennour qui, à 24 ans, témoin des massacres à ciel ouvert de 45 000 Algériens un certain 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata commis par une armée «issue de la Révolution de 1789» contre une population civile, adhère à la section PPA-MTLD de Miliana où il était enseignant. La crise de 1949 l’éloigne du PPA-MTLD et au lendemain du déclenchement de la Révolution armée, il rejoint le FLN en février 55 à Diar Saâda où il habitait et enseignait. Il s’investit alors dans la lutte syndicale, d’abord secrétaire du syndicat des dockers, ensuite il fera partie du noyau qui crée l’UGTA en février 1956. Le 24 mai de la même année, cinq membres du secrétariat de l’UGTA sont arrêtés par les services français, dont Aïssat Idir, le secrétaire général. Ce dernier sera sauvagement torturé lors de ses différents internements. Il décédera le 13 juillet 1959. Le 7 janvier 1957, à quelques jours de la Bataille d’Alger et en pleine préparation de la grève des Huit jours qui devait coïncider avec l’ouverture de la 11e session des Nations unies à New York, Ali Yahia Abdennour est arrêté par la DST de Bouzaréah. Il y passera 15 jours dans ses locaux avant d’être conduit aux camps d’internement d’abord à Berrouaghia, ensuite à Paul Gazelles (Aïn Oussera), et enfin celui de Bossuet au sud de Sidi Bel Abbès. Dans ce dernier camp, il aura parmi les quelque 2000 codétenus algériens un compagnon de fortune, un certain Mustapha Benouniche (le premier numéro d’El Moudjahid dont l’éditorial a été écrit par Abane Ramdane assisté de Benyoucef Benkhedda, sera imprimé dans sa maison à Kouba fin juin 1956). A la libération de Ali Yahia Abdennour du camp Bossuet en novembre 1960, il est expulsé d’Algérie. Il se rend d’abord en France avant de rejoindre Tunis où il est désigné en juin 1961 premier responsable de l’UGTA dont le siège était dans la capitale tunisienne. Du 4 au 15 décembre 1961, Ali Yahia Abdennour représentera l’UGTA au 5e Congrès syndical mondial à Moscou. Devant plus de 1000 délégués représentant les organisations syndicales de 89 pays, il prononcera un discours qui fera date et sera fortement applaudi. Cette apparition publique, largement couverte par les journaux Le Monde et Le Figaro notamment, lui coûtera le plasticage de son appartement sis à Diar Saâda par le commando Delta de la tristement célèbre OAS. Heureusement, certains voisins qui ne partageaient sans doute pas les idées morbides de cette organisation destructrice avertit les membres de la famille de Ali Yahia Abdennour. Il n’y eut, heureusement, que des dégâts matériels : l’appartement est inhabitable ! Au lendemain de la signature des Accords d’Evian le 19 mars 62, Ali Yahia Abdennour rentre à Alger. Son logement de Diar Saâda a été dynamité. Où ira-t-il ? C’est son fameux compagnon de fortune du camp Bossuet, Mustapha Benouniche, qui lui cèdera les clefs du logement du 35 Bd Bougara qu’il occupera à ce jour. Pour rappel, Mustapha Benouniche a été obligé de quitter sa maison de Kouba (la légendaire imprimerie clandestine d’El Moudjahid) suite aux menaces incessantes de l’OAS. Une fois l’indépendance acquise, il rejoindra sa villa de Kouba et concédera son logement où il était locataire temporaire à son compagnon de lutte Ali Yahia Abdennour. Ce dernier y habitera sans interruption à la même adresse, à l’exception des séjours «4 étoiles» dans les geôles du pouvoir post-indépendance pour des motifs purement politiques liés à la défense des droits de l’homme entre autres. D’abord du 2 octobre 1983 au 14 mai 1984, ensuite du 10 juillet 1985 au 9 juillet 1986, et enfin du 15 décembre 1986 au 27 mars 1987. Pour être exhaustif sur le parcours de cet infatigable militant nationaliste et défenseur des causes humanitaires, il faudrait plus d’un livre. Malheureusement, plus d’un demi-siècle après l’indépendance chèrement payée, et du haut de ses 98 années bien remplies, il semblerait que des gangsters tapis derrière une certaine administration sourde et aveugle jouiraient à revoir ce presque centenaire reprendre son bâton de pèlerin pour se battre pour l’acquisition de son logement. Pas à Neuilly, Genève, Alicante, Dubaï ou près de Central Park à New York. C’est juste au 35 Bd Bougara à El Biar où des politiques de tous bords dans ou en dehors du système, civils ou militaires, des journalistes et des anonymes en quête de réactions aux événements touchant au pays «y débarquent» ! Car son analyse immaculée et concise est une aubaine. Sans secrétaire ni assistant, il décroche lui-même son téléphone fixe dont le numéro est largement diffusé. Il ne sait pas dire non aux sollicitations diverses : la participation ou l’animation de conférences, la signature d’appels ou de déclarations, le soutien à des candidatures électorales, la défense d’un détenu politique quelle que soit sa chapelle… Ce logement où il vit depuis 56 ans «pour mieux tisser ce lien social qui est mon oxygène», comme il le dit pour partager d’un sourire le constat de sa longévité, est-il convoité pour sa baraka et en faire une zaouïa pour les prochaines joutes électorales ou seulement pour défoncer ce défenseur qui a osé à maintes occasions en Algérie ou à l’étranger dénoncer les dénis de droit et les violations qui en découlent inexorablement ? Même si la question reste posée, le déni peut être corrigé «d’en haut» sans privilège aucun, juste en appliquant la Loi. De quoi s’agit-il au juste ? A l’indépendance du pays en juillet 1962, Ali Yahia Abdennour est locataire d’un logement au 35 Bd Bougara à Alger. Ce bien immobilier, qui appartenait à une famille de juifs d’Algérie, était géré administrativement par l’UNIAL (Union immobilière algérienne), une société de droit français créée en novembre 1961. Quelques années après, sa filiale algérienne a été dissoute car l’UNIAL est une Société anonyme, et le droit algérien ne reconnaît pas cette forme de société. Malheureusement, une société immobilière fantoche mais apparemment bien soutenue par quelques décideurs prend le relais, continuait à percevoir les loyers et a entamé une procédure judiciaire pour expulser 5 locataires, dont Ali Yahia Abdennour. Ce dernier, conforté par une décision de justice en sa faveur en date du 27/04/2017 jumelée avec un mémorandum dûment établi par la direction des Domaines de l’Etat de la wilaya d’Alger qui affirmait que «les appartements de l’immeuble Lutecia sont des biens vacants relevant du domaine privé de l’Etat et l’UNIAL ne dispose pas de la qualité lui permettant d’engager une action en justice contre Ali Yahia Abdennour car les documents exhibés n’ont aucune valeur juridique», sollicite ces mêmes Domaines de l’Etat pour l’acquisition de son appartement. Nenni !!! Cette administration pousse le ridicule dans une correspondance datée du 20 mars 2018 et signée par son directeur de la wilaya d’Alger, demandant à Ali Yahia Abdennour de préciser «si le bien n’est pas situé dans une exploitation agricole». Rien que cela ! Ne soyons pas naïfs, cela n’est en réalité qu’une énième cabale menée contre le vétéran des défenseurs des Droits de l’Homme pour le punir et l’aviliser comme cela a été fait auparavant à des grands noms de notre Histoire. Qui se souvient de la cabale menée contre le premier président du GPRA, Ferhat Abbes, lorsqu’il réclama la restitution de sa pharmacie une fois élargi de son assignation à résidence de 1976 à 1980 ? On lui demandera de payer une grosse somme aux impôts pour bénéficier de la mainlevée alors que la période mentionnée pour son imposition était en réalité celle où il était assigné à résidence! A croire qu’en Algérie le ridicule ne tue pas, on en vit. Il peut même être lucratif. Par Hanafi Si Larbi
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